Version complétée et mise à jour  

C'est du joly !

Un message d'Annie Lacroix-Riz

      à propos des beaux résultats accumulés par ses confrères et leur « recherche historique récente », du genre de ceux qui ont permis à son "fact chéqueur" Hervé Joly de nous pondre la révélation que c'est sans doute par civisme et patriotisme "responsable" que le patronat français s'était finalement résolu à collaborer avec les nazis ...

 

Cher Dominique,

       Surtout, accompagner le texte que tu as affiché du lien électronique de l’article de Joly . Supposé vanter « la recherche historique récente » et définitivement enterrer les vieilles lunes historiques, celles qui avaient osé faire peser des « soupçons » (ah, bon, des soupçons seulement ?) sur « le patronat » («  Hitler serait arrivé au pouvoir en 1933 grâce au soutien des grandes entreprises allemandes ; en France, le patronat aurait préféré Hitler au Front populaire »), M. Joly attaquait en effet… un romancier passionné d’histoire et largement reconnu, Éric Vuillard, sur L’ordre du jour, qui avait valu à ce dernier son prix Goncourt,. Car il ressortait de ce roman sur un aspect de l’Anschluss qu’Hitler avait joui d’emblée du soutien formel des chefs des grands Konzerne bancaires et industriels. En revanche, silence radio sur celles et ceux qui auraient écrit qu’ « en France, le patronat aurait préféré Hitler au Front populaire ». Qui, qui a fait peser de tels « soupçons »?

      Depuis trente ans en effet, M. Joly assaille avec un mépris frisant l’insulte tout ce qui contrevient en histoire, en littérature ou en politique au statu quo patronal qu’il chérit, comme en témoignait sa thèse. Témoigne de son goût pour l’insulte stricto sensu  son lien Twitter : https://twitter.com/RV_Joly , qu’un correspondant m’a envoyé après avoir lu la tribune du Monde, avec ce commentaire : « un poème de débilités sans fin ». On y lit en effet une suite de réflexions du genre « café du commerce » contre toute prise de position tenue, à tort ou à raison, pour à « gauche ».

        Pour ceux qui auraient des doutes sur les intentions de M. Joly, ce « fil » fera toute clarté. Car le plus drôle est que les lecteurs du Monde, dignes héritiers de ceux du Temps, organe du Comité des Forges (par contrôle de plus de 80% du capital depuis 1933-1934), ont, pour la majorité de ceux qui s’expriment par la voie électronique, vilipendé M. Joly pour… son « gauchisme » : écrire que le « patronat s’arrange[..] des pouvoirs réactionnaires » (qu’en réalité il met en place avec une application sans faille et un déluge de moyens financiers, voir Le choix de la défaite, Paris, Dunod-poche, 2024) serait, horresco referens, du dernier cri gauchiste. Bref, M. Joly a été mal compris par le lectorat de « référence », il lui faudra, dans l’avenir, être plus clair dans ses attaques. L’atmosphère y prête…

        Ce sociologue de droite, consacré historien par ceux qu’il a servis depuis la seconde moitié des années 1990, s’est gardé de préciser les noms des porte-parole de « la recherche historique récente » susceptibles d’apporter de l’eau à son moulin : il n’y en a pas, même en Occident, parmi ceux qui font effectivement de la « la recherche historique ». Il a donc cru bon d’attaquer un littéraire connu pour ses positions progressistes, et qui a une fois de plus « récemment » décrit les mortifères pratiques du capital financier (cette fois-ci, le français et l’américain) dans son remarquable « récit historique » sur la guerre d’Indochine, Une sortie honorable. Cet ouvrage avait valu à l’auteur une recension du Monde certes malveillante mais beaucoup plus subtile que celle de M. Joly : des vacheries y ternissaient un apparent éloge (voir ici).

       D’où on déduira que « le journal de référence » n’apprécie guère Éric Vuillard. Il ne peut cependant dire ouvertement ce qu’il en pense parce que, quoique « de gauche », c’est un auteur à gros succès. C’est pourquoi il a vu en M. Joly un délégué plus explicite.

 

De : Annie Lacroix-Riz
Envoyé : vendredi 21 juin 2024 17:40
À : Eric Vuillard
Objet : Les découvertes de « la recherche historique récente »

Cher Eric,

      Mes très bienveillants collègues profs ont délégué contre mes travaux, en mars 1997, après la parution de l’article longtemps censuré « Les élites économiques françaises et la collaboration économique : la banque, l’industrie, Vichy et le Reich » (https://www.cairn.info/revue-revue-d-histoire-de-la-shoah1-1997-1-page-8.htm), Hervé Joly, sociologue d’origine, franchement réactionnaire, selon lequel les historiens marxistes de « l’Est » et de « l’Ouest » qui décrivaient l’idylle du patronat allemand avec Hitler, avant et pendant le régime nazi, appartenaient à un « clan gauchiste ». C’est une citation de sa thèse Patrons d’Allemagne. Sociologie d’une élite industrielle. 1933-1989, Paris, Presses de Sciences Po, 1996, ISBN : 978-2724606881, 360 p., p. 162, et chap. 4, « L’élite industrielle en 1945: une élite nazie? », en aucune façon, assurément : voir le CV de ses travaux sur le lien https://triangle.ens-lyon.fr/spip.php?article3461.

      Ledit lien signale aussi son article de Libération de mars 1997, http://www.liberation.fr/france/1997/03/18/zyklon-b-la-france-n-a-pas-fourni-les-camps-le-groupe-francais-ugine-a-bien-fabrique-l-insecticidema_199613, usant d’un argument chimique sur le Zyklon qu’il a reconnu erroné dans un article de la Revue d’histoire moderne et contemporaine de 2000 (« L’implication de l’industrie chimique allemande dans la Shoah : le cas du Zyklon B », Revue d’histoire moderne et contemporaine , 47-2, avril-juin 2000, p. 368-400. Article consultable en ligne sur HAL SHS et Gallica). Pas grave…

     Grand protégé de Patrick Fridenson ‑‑ lui-même pilier de l’histoire économique pro-patronale et devenu avocat télévisuel sonore, en 2011-2012, d’un Renault pas si collabo que ça (pendant la guerre, qu’il n’avait précisément pas étudiée) ‑‑, M. Joly est d’une insolence rare envers les parias, mais il est délicieux à l’égard des puissants « highly acclaimed ». Le rôle de persécuteur de dissidents qu’il a joué à leur service, dans Libération et ailleurs, a beaucoup contribué à sa conversion officielle à la carrière d’historien : j’en rends compte dans L’histoire contemporaine toujours sous influence et dans divers ouvrages, dont Industriels et banquiers français sous l’Occupation (que je vais mettre à jour pour un poche, à paraître en janvier 2025). Vous êtes aujourd’hui dans le collimateur, comme « l’historiographie marxiste, notamment en République démocratique allemande » (voilà bien un argument absolument démontré et convaincant). Et ailleurs, il n’y en a pas?, mais non, à « l’Ouest », ils ont disparu de « la recherche historique récente ». Vous est donc réservé le rôle de momie, avec, en sus, l’allusion perfide que, victime des fariboles de la vieille « historiographie marxiste » morte et enterrée, vous, littéraire et non historien, vous ne connaissez rien à l’affaire : cet assaut est très flatteur.

      H. Joly n’a jamais dépouillé les archives originales policières et judiciaires françaises de l’énorme dossier politique du grand patronat français, sans parler des archives étrangères, notamment allemandes, aussi explicites (vous pourrez le vérifier en le lisant). Mais il poursuit sur sa lancée quasi trentenaire selon laquelle « les historiens », c’est tout le monde sauf les défunts marxiste de « l’Est » et de « l’Ouest » – y compris la relique française qui travaille sur le sujet depuis les années 1990, solitaire, je l’admets. Sans parler d’historiens spécialistes de l’Allemagne dont M. Joly ne dit mot, et il y en eut, même parmi des historiens américains « bien-pensants » et « acclamés » (voir mon manuel de concours de recrutement des historiens, Industrialisation et sociétés (1880-1970). L’Allemagne, Paris, Ellipses, 1997).

voir la video tropicale

      Concernant la France, l’historienne que je ne suis pas ‑‑ tous « les historiens » étant censés converger sur l’innocence politique du grand patronat ‑‑, placée, quoique clandestinement, à vos côtés, s’est sentie moins seule… Cet éminent représentant de « la recherche historique récente » devrait lire Le choix de la défaite (récemment mis à jour et augmenté, et pour pas cher désormais, https://www.dunod.com/histoire-geographie-et-sciences-politiques/choix-defaite-elites-francaises-dans-annees-1930-0) et De Munich à Vichy (pas si vieux que ça).

      Il va de soi cependant que, s’il avait pris la peine de confronter pareilles horreurs au dépouillement des sources, M. Joly ne bénéficierait pas d’une prestigieuse « tribune » dans Le Monde, tribune de caractère, convenons-en, plus électoral ou idéologique que scientifique, dans une conjoncture où s’impose un soigneux lessivage de l’histoire politique accablante du grand patronat français. À cet égard, le record de son propos est atteint via la présentation comme « ancien résistant déporté » de Georges Villiers, grand industriel lyonnais fort collaborateur et nommé par Vichy maire de Lyon, à la place d’Herriot, avant son opportune démission-Pax Americana de 1943 (on trouvera précision-démenti à ce sujet dans Industriels et banquiers français sous l’Occupation, dans Les élites françaises, 1940-1944 (https://www.dunod.com/histoire-geographie-et-sciences-politiques/elites-francaises-entre-1940-et-1944-collaboration-avec) et dans La Non-épuration en France de 1943 aux années 1950 (https://www.dunod.com/histoire-geographie-et-sciences-politiques/non-epuration-en-france-1943-aux-annees-1950-0), index Villiers Georges).

      Dans la vie, il faut choisir. Nous constatons tous les jours, avec une intensité accrue depuis deux ans, que, pour beaucoup d’intellectuels français, universitaires compris, transformés par le « journal de référence » en uniques « spécialistes » de tel ou tel sujet brûlant, à l’exclusion des parias, le choix est fait, définitivement fait. Ce qui, la chose datant de fait de plusieurs décennies de martèlement très « atlantique », a éminemment contribué à mettre nos sciences sociales nationales au niveau de notre enseignement de mathématiques, de français, etc. Quo non descendamus

      Jugeant particulièrement bas cet assaut contre la vérité historique, qui vous prend pour cible, je compte rendre cette lettre publique.

Amitiés,

Annie

Tag(s) : #Annie Lacroix-Riz, #Histoire, #Eric Vuillard, #Hervé Joly, #Collaboration
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