Review: “Les Origines du plan Marshall”
Annie Lacroix-Riz analyse le « mythe de l’aide américaine » à l’Europe après la Seconde Guerre mondiale et le cheminement vers l’imposition de l’hégémonie américaine.
17 Octobre 2023

Le plan Marshall ? Il s’agissait, selon la croyance largement répandue en Occident et soutenue officieusement en Allemagne de l’Ouest, d’un programme de reconstruction désintéressé par les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Le programme présenté publiquement le 5 juin 1947 par George C. Marshall, alors secrétaire d'État américain, visait à aider les économies européennes – encore en difficulté sous les destructions de la guerre – à se remettre sur pied, tout en « empêchant la propagation du communisme ». C'est ainsi que cela est expliqué, par exemple, sur le portail Internet « Lebendes Museum Online » (LeMo), parrainé par la fondation du gouvernement allemand « Haus der Geschichte der Bundesrepublik Deutschland ». Selon cela, de 1948 à 1952, Washington a, de manière altruiste, mis à disposition des sommes énormes – environ 12,4 milliards de dollars américains – en valeur actuelle de 157 milliards d’euros – pour améliorer les conditions de vie en Europe occidentale. Le Plan Marshall, un miracle humanitaire ? Quiconque est sceptique quant à cette historiographie semi-officielle trouvera des informations de fond complètes dans le livre récemment publié par l'historienne française Annie Lacroix-Riz sur « Les origines du plan Marshall » ou, comme le décrit le sous-titre, « le mythe du plan Marshall ». Aide américaine.

L'analyse de Lacroix-Riz, toujours aussi minutieuse, met en lumière les années 1941 à 1946, période pendant laquelle les États-Unis imposent leur « ascension vers l'hégémonie mondiale ». Le général français Paul-André Doyen, chef de la délégation française auprès de la Commission d'armistice allemande depuis le 6 septembre 1940, avait déjà prédit dès juillet 1941 la disparition du Reich allemand : les États-Unis, véritables vainqueurs de la Première Guerre mondiale, sortirait de la Seconde encore plus puissant, tandis que les pays européens, qui autrefois auraient pu encore être ses rivaux, seraient sérieusement affaiblis. Le monde « devra se plier à la volonté des États-Unis dans les décennies à venir ». Doyen avait raison.

Au cours de la période mentionnée ci-dessus, les États-Unis ont jeté les bases nécessaires – non seulement sur le plan militaire, mais surtout économique. Des étapes importantes, telles que le Land-Lease-Act, qui réglementait – à partir de 1941 – la livraison de matériel de combat stratégique aux pays alliés, officiellement sur la base d'un bail ; puis les résultats de Bretton Woods en juillet 1944, qui assurèrent la domination du dollar américain ; et enfin, notamment pour la France, les accords Blum-Byrnes de mai 1946, qui imposent l'accès des produits culturels américains, notamment des films, au marché culturel français. Toutes ces étapes ont contribué de manière décisive à ouvrir la voie aux produits et aux capitaux américano-américains vers l’Europe. Le plan Marshall n’était que la cerise sur le gâteau. Cela a encore accru les ventes de produits américains vers les pays d’Europe occidentale, les liant encore plus étroitement aux États-Unis, garantissant finalement l’hégémonie américaine.

Bien que Lacroix-Riz se concentre initialement sur la France, elle fournit de nombreuses informations importantes sur la préhistoire trop souvent ignorée des relations d'après-guerre entre l'Allemagne de l'Ouest et les États-Unis, remontant à la période entre les deux guerres mondiales et les remontant même à la Seconde Guerre mondiale. Guerre mondiale. Il est vrai que la politique de Washington d’après-guerre était orientée vers l’établissement de liens les plus étroits possibles avec l’Europe occidentale à grande échelle. Ainsi, environ un quart des fonds du plan Marshall sont allés à la Grande-Bretagne, un cinquième à la France, 11 pour cent à l'Italie, 8 pour cent aux minuscules Pays-Bas et seulement 10 pour cent à la jeune République fédérale d'Allemagne. Cependant, dès la guerre, écrit Lacroix-Rix, les entreprises et les financiers américains étaient en mesure de garantir que les plans importants du Département d’État « étaient centrés sur l’Allemagne ». Lacroix-Rix cite de nombreuses anciennes relations transatlantiques de cette période – le groupe Ford n’étant que le plus important d’entre eux.

Ceux qui liront « Les origines du plan Marshall » acquerront de nouvelles perspectives sur le parcours de vieilles connaissances, comme Carl Joachim Friedrich, qui s'est fait connaître comme le père de la soi-disant théorie du totalitarisme, mais qui a également formé des fonctionnaires. pour les autorités d'occupation américaines en Allemagne à l'Université Harvard. Ou du banquier Kurt von Schröder, connu en Allemagne pour avoir organisé la rencontre fatidique avec le futur chancelier du Reich Adolf Hitler le 4 janvier 1933 à Cologne-Lindenthal, mais pas nécessairement pour ses contacts transatlantiques. On y trouve aussi des passages révélateurs concernant des personnalités considérées comme le socle de l'UE, comme Jean Monnet, qui avait contribué à négocier les accords Blum-Byrnes, un « modèle d'élites atlantistes », note Lacroix-Rix.

Avec « Les origines du plan Marshall », Lecroix-Rix présente une autre analyse, qui révèle les strates politiques et économiques plus profondes de l'histoire européenne du 20 ème Century – such as her earlier works, including “Le choix de la défaite : les élites françaises dans les années 1930”; “L’intégration européenne de la France : La tutelle de l’Allemagne et des États-Unis“ or “Les élites françaises entre 1940 et 1944 : de la collaboration avec l’Allemagne à l’alliance américaine“. Anyone seeking to know which interests have formed the continent, making it what it is today, will find many answers in the in-depth analyses of this French historian.

Annie Lacroix-Riz: Les origines du plan Marshall. Le mythe de «l’aide» américaine. Armand Colin. Malakoff 2023. 576 Seiten. 29,90 Euro.

Annie Lacroix-Riz : "Les vraies ambitions américaines derrière le Plan Marshall" - Propos recueillis pour Marianne par Etienne Campion - Publié le 04/12/2023

Dans " Les Origines du plan Marshall : Le mythe de "l'aide" américaine " (Armand Colin), grâce à un gros travail sur des archives, l'historienne Annie Lacroix-Riz remonte aux sources de l'évènement fondateur de l'assujettissement économique des États-Unis sur l'Europe.

Marianne : Quelle est la genèse du Plan Marshall ?

Annie Lacroix-Riz : Le Plan Marshall, dernière mouture des prêts américains après la Seconde guerre mondiale, est lancé à la veille d'une crise de reconversion gravissime, alors que la " reconstruction " de l'Europe avance.

Depuis la victoire soviétique de Stalingrad, Washington prépare fébrilement l'après-guerre, et refuse toute discussion sur les " zones d'influence " respectives futures que revendiquent ses " alliés " anglais et russes. Le veto ne frappe pas seulement Staline et ses " buts de guerre " déclarés en juillet 1941 (la fin du " Cordon sanitaire "), mais Churchill : il n'y aura plus qu'une " zone d'influence ", américaine, à l'exemple des bases " partout dans le monde " (URSS incluse) exigées par le chef de l'US Air Force en 1942. Et, au second semestre de 1943, s'annonce la surproduction généralisée. Tous les services américains, patronaux et étatiques, s'efforcent de parer au retour de la crise de transition entre guerre et paix de 1920-1921 ou des années 1930.

Or, comment vendre des produits à ceux contre lesquels on a édifié un mur douanier ? L'Europe, Allemagne en tête, a résisté en renforçant son autonomie commerciale : elle a multiplié les accords bilatéraux, et usé du " clearing " : système de troc commercial évitant le paiement en or et devises fortes, évinçant la zone dollar d'Europe.

Les milieux économiques britanniques se déchiraient depuis la fin du XIXe siècle sur le libre-échange, funeste à leur industrie, qui ne dominait plus le monde. Ils optent pour la protection à la conférence du Commonwealth à Ottawa de 1932, avec leur " Préférence impériale ", à droits faibles entre membres du Commonwealth et élevés contre l'extérieur. À défaut d'avoir pu toucher des " réparations " et d'avoir soldé ses énormes dettes de guerre de Première Guerre mondiale, le Royaume-Uni a limité l'étranglement commercial américain, et il assure en 1939 le tiers du commerce mondial. Les États-Unis ont dans la décennie 1930 accumulé les pertes de marchés, avec sept ans de déficit commercial : la conférence d'Ottawa est leur avec sept ans de déficit commercial : la conférence d'Ottawa est leur catastrophe extérieure la plus sévère du XXe siècle. Il leur faut donc abattre la " zone sterling ". L'historiographie anglophone converge à ce sujet. Malgré les apparences idéologiques, la question russe, ancienne (le conflit a commencé quand la Russie, dans les années 1890, a poussé des antennes en Chine du Nord), est secondaire : la priorité américaine absolue du XXe siècle est britannique.

Quel était le véritable objectif des Américains ?

Régler leurs problèmes économiques récurrents en contraignant le monde entier, par des mesures incontournables, à recourir en permanence aux produits et aux capitaux américains. L'objectif a été fixé après que les États-Unis sont devenus le premier producteur industriel mondial (1890). Le secrétaire d'État Hay l'a énoncé par ses " notes sur la Porte ouverte " en Chine de septembre 1899 : les rivaux européens et japonais en Chine n'élèveront aucun obstacle contre les États-Unis, nonobstant leurs " accords " pour se partager la Chine dépecée. Les Américains doivent disposer de matières premières à très bas prix, provenant des empires européens, sans droits de douane ni autres obstacles coloniaux. Ils vendront au monde entier leurs matières premières et produits finis excédentaires. Ils placeront partout, dans des conditions de rentabilité exigeant contrôle de la conjoncture sociopolitique, leurs énormes capitaux excédentaires.

Les deux guerres mondiales, qui les érigent, endettement de l'Entente à l'appui, en grande puissance européenne, étendent leur revendication au monde. Wilson, auteur des fameux " Quatorze Points " de janvier 1918, n'était pas un idéaliste pacifiste, rêvant d'établir la paix mondiale permanente via " une association générale des nations " (point 14), et de réduire " les armements au minimum compatible avec la sécurité intérieure " (point 4).

Les trois points fondamentaux sont plus clairs : " liberté des mers " en temps de paix comme de guerre " (point 2) ; égalité commerciale pour " toutes les nations " pacifiques par " suppression, autant que possible [sauf aux États-Unis] de toutes les barrières économiques " (point 3) ; " règlement librement débattu de toutes les revendications coloniales ", compte tenu des " intérêts des populations en jeu " et des " revendications équitables du gouvernement [...] à définir ". C'est la guerre contre les riches empires, que Washington ne peut pas encore gagner, sous couvert d' " anticolonialisme " libérant les peuples colonisés jamais pratiquée dans la conquête puis la gestion des zones conquises.

Le programme Roosevelt, ou Charte de l'Atlantique (non négociée), d'août 1941, réclame la même chose plus violemment, Londres étant à genoux. La liberté commerciale absolue, exigée par ses articles 4 et 5, sonne le glas de la Préférence impériale et de la discrimination envers les produits américains. L'article 3 condamne à mort l'Empire anglais : Roosevelt n'évoque plus que la spoliation des peuples. Pour Churchill, symbole de l'Empire britannique par tous ses postes étatiques depuis l'avant-1914, c'est une humiliation spectaculaire. L'Angleterre a déjà dû céder de premières bases coloniales (Caraïbes et Terre-Neuve) en 1940 et scandinaves en 1941 (elle y était puissance hégémonique), avec des baux à 99 ans. Identique au programme Wilson, celui de Roosevelt voit ses chances de succès démultipliées par la vulnérabilité des partenaires européens.

Les mesures incontournables suivent, avec le diktat de Bretton Woods de juillet 1944, rédigé par le Trésor de Morgenthau et White dès l'été 1942 : Fonds monétaire international (américain) faisant du dollar la monnaie unique du commerce extérieur mondial et fixant les taux monétaires des États membres (pour interdire les dévaluations concurrentielles) ; Banque internationale pour la reconstruction et le développement incarnant les " prêts liés " aux seuls achats de produits américains ou de " zone dollar " : les deux éléments sont inséparables, les acheteurs de produits américains ne pouvant rembourser les dollars empruntés qu'en empruntant puisque, à l'exception des matières premières (qui leur échapperont bientôt), ils ne vendent presque rien aux États-Unis, ne gagnant de dollars que par leur modeste commerce " tiers ".

C'est la cause du " dollar gap " de l'après-Deuxième Guerre mondiale. Les Anglais ont résisté moins d'un an au " Prêt-Bail ", entre loi américaine de mars 1941 et signature de février 1942, après avoir dû renoncer à leurs propres exportations dès septembre 1941. La France " gaulliste " suit dès la phase emprunteuse d'Alger (1943).


 

Comment s'est construite l'historiographie qui a donné lieu au " mythe " de l'aide américaine ?

Elle a bénéficié de deux facteurs essentiels.

D'abord, la censure de fait de l'énorme production " révisionniste " américaine des années 1960-1990, qui écarte les explications idéologiques centrées sur l'URSS et décrit les pratiques de l'impérialisme américain, au sens défini avant 1914. Elle demeure inconnue en France, par non-traduction systématique des travaux accumulés. En 1984, un historien spécialiste de la Deuxième Guerre mondiale, Yves Durand, en a présenté un panorama dans Naissance de la guerre froide 1944-1949 (Paris, Messidor, 1984). L'historiographie dominante des relations internationales, pratiquement seule diffusée, a verrouillé l'issue, en ridiculisant ces analyses et en dénonçant l'appartenance de ces historiens à la " Nouvelle gauche " américaine (New Left) - argument aussi dépréciateur que celui de " complotiste " aujourd'hui.

Ensuite et surtout, l'historiographie française des relations internationales s'est massivement "atlantisée", dans des conditions, particulièrement taboues, exposées dans l'ouvrage. La ligne américaine de conquête des esprits est inséparable de celle des marchés, définie dès 1941 et mise en œuvre par l'Office of Strategic Services (prédécesseur de la CIA), peuplé d'étoiles universitaires des sciences sociales (Robin W. Winks, Cloak & Gown. Scholars in the Secret War, 1939-1961, 1987). Cette conquête, organisée dans chaque pays de la zone américaine, est stipulée par l'article 5, sur le financement français d'initiatives stipulée par l'article 5, sur le financement français d'initiatives américaines d'enseignement, du " Mémorandum d'accord " général franco-américain, pièce majeure des accords Blum-Byrnes du 28 mai 1946 américain.

Elle s'est simultanément étendue aux milieux politiques et syndicaux, phénomène désormais ignoré, alors qu'était autrefois notoire ici le rôle majeur, depuis 1945-1946, du corrupteur en chef, Irving Brown, leader de l'American Federation of Labor (AFL) et financier du syndicalisme anticommuniste, en France, dans ses colonies et partout ailleurs.

Cette conquête et le silence y afférant sont décrits par la politiste britannique Frances Stonor Saunders à propos du Congress for Cultural Freedom (Congrès pour la liberté de la culture) mis en place en 1949-1950. Les tribulations françaises de ce livre de 1999, The cultural Cold War : the CIA and the world of art and letters (1999), illustrent le barrage élevé contre toute contestation de la Doxa : Qui mène la danse ? La CIA et la Guerre froide culturelle, traduit en 2003, par Denoël, épuisé (par miracle, vu le silence de la grande presse), n'a jamais été réimprimé. On ne le trouve qu'à des tarifs de marché noir jusqu'à 800 euros en 2021, au minimum actuel de 250 euros.

Qu'étaient les accords Blum Byrnes ?

Un "millefeuille", largement secret, excluant tout changement d'alinéa, qui conditionne un nouvel emprunt à la banque d'État américaine (Eximbank) de 500 millions de dollars. Son gros morceau, le " Mémorandum d'accord " général, règle les dettes de guerre (à l'exclusion de toute dépense de " reconstruction ") et l'achat forcé de " surplus " et de Liberty Ships bons pour la casse, à un coût prohibitif et révisable. Il est aggravé d'une foule d'annexes confidentielles, et complété notamment par un " Mémorandum sur les créances maritimes " (exclusivement françaises), annulées, perte du somptueux paquebot Normandie comprise, et par une " déclaration sur la politique commerciale et diverses questions communes ".

Sont glissés ici deux trésors : " le droit d'utiliser librement et sans redevance les brevets allemands " de zone d'occupation française, la réciproque étant refusée aux Français.

Et " la réparation égale à celle assurée aux ressortissants français " des dommages de guerre occasionnés aux Américains par les bombardements américains.

Les " accords séparés " sur le cinéma, aux clauses publiées, sont souvent confondus avec l'ensemble. Ils prévoient une submersion du cinéma français par l'américain (déjà entièrement amorti par ses ventes intérieures), qui pourra occuper les écrans français jusqu'à 13 semaines sur 13 d'un trimestre, c'est-à-dire 365 jours par an. Le maximum possible concédé au cinéma français est de 4 semaines sur 13, le reste étant réservé à Hollywood, au détriment d'autres importations cinématographiques, escomptées en 1945. Les milieux du cinéma français réclamaient la révision drastique de l'accord décennal calamiteux de mai 1936, sous le cabinet de Léon Blum, assurant déjà la majorité aux films américains… Enfin, en lien direct avec les tractations franco-américaines entamées depuis l'été 1945, une série de mesures secrètes sont adoptées : franchise fiscale en France pour les ressortissants américains ; accords civils (aéronautiques), secrets jusqu'en 1970 ; accords militaires, toujours classifiés, comportant accès aux bases coloniales françaises ; rapatriement des bénéfices en violation du contrôle des changes, etc. À l'exception du document général privé de ses annexes rectificatives secrètes, tout a échappé à la ratification parlementaire et à la connaissance du public.

Qui était les plus atlantistes au sein de la classe politique française ?

Tous les partis anticommunistes, avec une forte avance initiale de la SFIO, en raison de sa dépendance financière précoce envers les États- Unis (l'entre-deux-guerres). La capitulation initiale sur la question Unis (l'entre-deux-guerres). La capitulation initiale sur la question allemande qui en résulte l'a isolée, face au PCF et à la droite d'apparence gaulliste : le MRP de Bidault savait que sa fermeté publique sur le démembrement, la démilitarisation de l'Allemagne, et surtout les " réparations ", en charbon et en force de travail (les prisonniers de guerre allemands), ligne officielle de la France très populaire, fondait sa force.

Devenu atlantiste dès 1945-1946, Bidault, ministre des Affaires étrangères de De Gaulle depuis la Libération, déclarait secrètement depuis l'été 1945 aux Américains que tout abandon officiel de cette ligne l'affaiblirait, en dressant le PCF en champion de la souveraineté nationale. L'ère de la Troisième force fait ouvertement basculer dans l'atlantisme le MRP, fort peu gaulliste de fait, qui rattrape à marches forcées son retard sous la houlette de Robert Schuman : le successeur de Bidault en juillet 1948 (qui " avale " les accords tripartites (occidentaux) de Londres, instrument de la reconstruction prioritaire et du réarmement allemands), est maintenu à ce poste sur exigence américaine jusqu'en décembre 1952.

Comment résumer la position de De Gaulle face au Plan Marshall ?

De Gaulle veut maintenir l'Empire, comme toutes les forces politiques non communistes, et déteste l apolitique allemande des États-Unis identique à celle de l'après-Première Guerre mondiale. Il a refusé la tutelle allemande quand les élites françaises s'en accommodaient fort bien, des années 1930 à l'Occupation. Elles se sont ralliées en masse à la Pax Americana entre 1941-1942 et 1944, et, par la force, à de Gaulle, incontournable à l'intérieur. Victime de la vindicte américaine depuis 1940, il supporte aussi mal l'hégémonie américaine que l'allemande. Il tente de limiter les effets des accords de prêt " insignables " qu'il a dû confier dès Alger (1943) à Jean Monnet, créature des États-Unis depuis les années 1920, " un traître " selon lui. Mais il doit laisser les chefs privés de l'économie et leurs délégués étatiques (des Finances au premier chef) balayer toute objection.

De Gaulle adhère, pour des raisons sociopolitiques revendiquées à Alger, fin 1943, à l'intégration de la France dans la sphère d'influence américaine : c'est un homme du statu quo intérieur. Mais c'est un " souverainiste ", isolé : il n'est soutenu, contre Washington, que par les communistes et l'URSS. Impuissant contre la colonisation de la France attendue des tractations financières franco-américaines en cours depuis l'été 1945, résolu à ne pas s'y associer, il démissionne le 20 janvier 1946. Il invoque les insupportables intrigues des partis, PCF en-tête, il prétend l'empire intact et la question allemande réglée - et envoie un porte-parole à l'ambassade américaine annoncer, deux jours avant, qu'il abandonne la pétaudière pour préparer son retour politique. À l'époque du RPF, il soutient le Plan Marshall supposé écraser le " péril rouge ", empêcher l'invasion de l'Armée rouge et contribuer au " relèvement " de la France. Sur la question allemande, il se retrouve de fait en compagnie du PCF contre la Communauté européenne de Défense, en 1950-1954. Il a été le seul dirigeant occidental à dire non à Washington, plus que jamais entre 1958 et 1969 : le politologue Kees Van der Pijl l'a montré en 1984 en décrivant la formation, depuis la proclamation de la Porte ouverte, d'une " classe dirigeante atlantique " docile à tout caprice américain. The Making of an Atlantic Ruling Class (Londres, Verso, 2012) n'est toujours pas traduit.

Tag(s) : #Annie Lacroix-Riz, #Plan Marshall
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