Correspondances historiennes.

Grâce à Annie Lacroix-Riz, nous sommes désormais en mesure d'ouvrir une nouvelle rubrique : celle de son courrier du coeur, tel qu'elle l'entretient avec son humour et sa rigueur coutumière, et avec quelques figures plus ou moins obscures de notre appareil idéologique petit-bourgeois.

 

      Et pour notre plus grand divertissement.

 

De: "annie lacroix riz"
À: "Fabien ESCALONA" , "Pauline Graulle"
Cc: "Thomas chopard" , "Damon Mayaffre"
Envoyé: Dimanche 2 Avril 2023 15:42:10
Objet: Canailleries sans péril vu la conjoncture

 

Madame, Messieurs,

Je viens, grâce à l’information d’un correspondant, de vous lire :  https://www.mediapart.fr/journal/politique/310323/comment-la-grande-famine-ukrainienne-de-1933-est-venue-percuter-la-gauche-francaise. J’ai donc pu constater votre avis commun sur mes travaux, abordés de fait via Wikipédia  (cf. ci-dessous), et l’appel, un de plus, à la censure médiatique, dont, si j’ai bien compris, il est absolument scandaleux qu’Aude Lancelin se soit dispensée. Médiapart, étendard, en politique extérieure, de la « gauche américaine » ou « gauche Bretton Woods », concept qu’éclairera un ouvrage à paraître (voir, pour la période antérieure, le chef-d’œuvre censuré de fait par la non-réédition en français, de Saunders Frances Stonor, The cultural Cold War : the CIA and the world of art and letters, New York, The New Press, 1999, réédition, 2013 ; édition anglaise, Who paid the piper?, London, Granta Books, 1999 ; Qui mène la danse, la Guerre froide culturelle, Denoël, 2003 (épuisé)), souhaite donc faire aussi bien que L’Obs, qui s’est débarrassée de Mme Lancelin pour insuffisante discipline générale et atlantiste. Nous parvenons ces temps-ci aux cimes de la liberté de la presse.

Outre cet appel caractérisé à ma censure par tout média (je n’ai accès à aucun des médias « reconnus », comme vous le savez parfaitement), vous vous référez à ma fiche Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Annie_Lacroix-Riz, notoirement rédigée par un certain « Guise », surnom discret d’un membre anonyme de l’Action française, et grand amateur de son pair Olivier Dard, éminent conférencier du même groupement. Mon collègue chercheur Damon Mayaffre, victime du même Guise, pour avoir osé évoquer « les 200 Familles », vous le confirmera, ces méthodes ayant été traitées dans Le Canard enchaîné. Ma fiche Wikipédia est irrecevable sur le plan déontologique, et je présume que vous ne l’ignorez pas.

Pour ce qui est de votre média, la censure de mes travaux est systématiquement et strictement assurée depuis l’origine, et, assurément, vous ne pourrez mieux faire en matière de verrouillage. Il serait pourtant opportun, du simple point de vue de la déontologie, que je puisse répondre à votre article infondé, unilatéral et, pour tout dire, ignominieux , afin que votre lectorat ait une meilleure perception des prétendus « micro-détails » forgés par le « jeune historien ». Ce dernier est d’ailleurs accoutumé aux assauts contre ses aînés ( ?) ou aînées, politiste(s) ou historienne(s) (https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/01/26/helene-carrere-d-encausse-une-grande-connaisseuse-de-la-russie-en-plein-brouillard_6159463_3246.html). Je le soupçonne cependant de ne m’avoir jamais lue, ce qui est la règle des références de https://fr.wikipedia.org/wiki/Annie_Lacroix-Riz. Il n’est pas nécessaire de lire les historiens parias ou « controversés » (dans le cadre de quels débats), le consensus régnant à leur sujet.

Votre photographie daterait de 1933? Vous le savez, il n’y en a guère ou pas, la masse venant de celles de la famine, incontestable, de 1921 : voir à ce sujet le travail de Douglas Tottle, qui a poussé à l’hystérie la grande spécialiste médiatique américaine de l’Holodomor, Anne Applebaum, Red Famine, Stalin ’s War on Ukraine, New York, Penguin,  2017, p. 213-214) et mon « échange » avec Jean-Jacques Marie, ci-joint. Le préciserez-vous à vos lecteurs? Quant à l’impossibilité de prendre des photos à cause de la censure de Staline (pourquoi, celle des camps de concentration aurait-elle été autorisée), c’est une plaisanterie : j’ai fait le point sur la question dans une interview parue dans « Arrêt sur images » en 2014, et dans le texte « La campagne internationale sur “La famine en Ukraine” de 1933 à nos jours » de 2016.

      Je saurais gré à M. Chopard, qui, à ma connaissance, ne travaille pas sur « la famine en Ukraine » mais sur la persécution des juifs, de me préciser sur la base de quels travaux signés par moi il m’accuse de « négationnisme pur », auquel je suis supposée me livrer par mon insistance sur « des micro-détails » : à quels « micro-détails » est-il fait allusion, à ceux mentionnés à mes étudiants de concours de la question d’agrégation-CAPES de 2006-2009, https://www.historiographie.info/ukr33maj2008.pdf, ou à d’autres compléments produits à plusieurs reprises depuis lors, et disponibles sur la Toile (dont certains ci-joints)? Si M. Chopard a, entre-temps, travaillé sur « la famine en Ukraine », je le remercie par avance de me faire connaître ses écrits.

      Par ailleurs, M. Chopard pense-t-il que l’accusation de « négationnisme pur » est moins susceptible de poursuites que celle de « négationniste pure »? Ou plutôt, et plus probablement, lui-même et vous, tablez-vous sur le consensus politique, en aucun cas scientifique, qui écrase et pourrait écraser davantage dans la période à venir les dissidents, qui ne sont émouvants qu’à l’Est de l’Europe, consensus qui, évidemment, pourrait même, par les temps qui courent, vous permettre, journalistes et historien, de me traiter de nazie ou de « rouge-brune »? La prochaine étape pourrait être le recours, contre mes travaux et moi-même, à la loi Gayssot du 13 juillet 1990, pour antisémitisme, ce qui ne manquerait pas de piquant, puisque je suis juive « quatre quartiers », avec un grand-père déporté et assassiné à Auschwitz. Mais, par les temps qui courent, tout est possible en matière de bourrage de crâne, comme en 1914…

Il va de soi que ce courriel sera rendu public, ce qui ne dispense pas Mediapart de me permettre, par respect pour son lectorat, de répondre directement à l’assaut.

Il y a ici un grand nombre de textes joints mais, vu le tapage en cours, je crois nécessaire de soumettre au public soucieux de s’informer les informations nécessaires, et de lui montrer, au surplus, que le tapage politique, et en aucun cas scientifique, de l’heure présente a été de longue date préparé, en France comme ailleurs. Je compte que mes correspondants abonnés à Médiapart feront savoir via le courrier des lecteurs le mauvais cas qui m’a été fait par leur journal, lequel se joint sur ces questions extérieures, selon l’habitude, à la meute, étendue de l’extrême droite à la « gauche Bretton Woods ».

Bien cordialement,

Annie Lacroix-Riz, professeur émérite d’histoire contemporaine

PS. M. Chopard, doctorant de M. Alain Blum, a été à bonne école. M. Blum a tuteuré divers travaux sur le dossier, dont la thèse affligeante de Mme Ohayon (qui passe son temps à se demander si, au Kazakhstan, les manquants sont morts ou partis vers les villes, c’est-à-dire en exode rural!), et il ne plaisante pas, depuis vingt ans au moins, avec la thèse de l’Holodomor (il y a 30 ans, c’était dix ans de morts sur un an): Paul Pasteur, ami de Mme Ohayon, collègue de Rouen, m’avait avisée, avant la soutenance (et la sortie du bouquin), à l’époque où « Ukraine 33 » me harcelait sur « la famine en Ukraine », que cette chercheuse ne pourrait pas soutenir une thèse sous l’égide de Blum et Nicolas Werth si elle ne sacrifiait pas à la ligne « génocidaire »…

Quand, fin 2004, devant témoin, à l’INED, j’ai demandé en M. Alain Blum comment il pouvait justifier méthodologiquement la note dans laquelle il regroupe, sur la base d’une estimation de démographes russes (dont aucun n’était historien) une décennie de décès estimés sur l’année 1933 (Naître, vivre et mourir en URSS, 1917-1991, Paris, Plon, 1994), cf. infra, il a bredouillé et a tourné les talons. Cette note représentait une énormité telle que j’avais prié mes étudiants d’aller la vérifier eux-mêmes dans l’ouvrage et de ne pas s’en tenir au compte rendu que j’en livrais.

M. Blum et moi-même avons eu un long échange écrit, en janvier 2005 (qui figure en texte ci-joint) :

« Je maintiens », lui ai-je écrit, « que votre chiffrage résulte d'une méthode inacceptable, et que votre note incriminée (Naître, vivre et mourir en URSS, n. 61, p. 241 commentant l’ouvrage d’Evgenij M. Andreev, Leonid E. Darskij et Tatiana L. Khar’kivan Istorija Naselenija SSSR, 1920-1959, Moscou, Muzej Goskomstata SSSR, 1990, et votre texte p. 96-99) ne porte pas "sur une petite partie" mais accepte qu'une décennie de décès soit regroupée sur une année (je l’ai relue trois fois avant d'admettre que j’avais bien lu). Que Kurman ait été arrêté n'y change rien. Je vous remercie par avance de m'indiquer les éventuels ouvrages russes et ukrainiens, fondés sur des archives, qui ne figurent pas, dans Naître, vivre et mourir en URSS, où votre source est celle que je dénonce. Je ne lis aucune des deux langues, mais mon entourage compte des quasi-bilingues, qui traduiront. » M. Blum n’a pas répondu sur ce point mais s’est ainsi esquivé : « Je crois qu’à partir du moment où vous justifiez l’arrestation et l’exécution de Toukhatchevski et des autres officiers, que vous parlez de disette en Ukraine en 1933, il n’y a plus rien à espérer de votre rigueur scientifique. » (Alain Blum Envoyé : jeudi 6 janvier 2005 17:37 À : Annie Lacroix-Riz). L’échange complet de courriers électroniques est, ci-joint, à votre disposition.

Ci-jointe également est ma critique de ladite thèse, sachant que je considère Mme Ohayon, collègue de M. Chopard, comme une victime de la conjoncture multi-décennale qui écrase les jeunes chercheurs vulnérables, par leur quête de carrière, comme je le lui ai écrit publiquement en 2022.

Ci-dessous copie de notre échange, très vite arrêté, les amabilités de Mme Ohayon sur mes « chétives archives » ‑‑ incontestablement plus nombreuses que celles livrées aux lecteurs de La sédentarisation des Kazakhs dans l’URSS de Staline. Collectivisation et changement social (1928-1945), Paris, Maisonneuve et Larose, 2005 ‑‑ n’ajoutant rien aux défauts méthodologiques rédhibitoires de son ouvrage. « Les archives en russe et en kazakh ont été elles aussi largement déclassifiées, celles du Parti, de la Police politique et des organes exécutifs régionaux et locaux. Si cela ne vous suffit pas, des corpus d'égo-documents ont été constitués à partir d'archives familiales. »

« Les archives en russe et en kazakh ont [peut-être] été […] largement déclassifiées, celles du Parti, de la Police politique et des organes exécutifs régionaux et locaux », mais l’intéressée n’en a pas fait usage]. Quant aux « corpus d'égo(sic)-documents […] constitués à partir d’archives familiales », la lectrice de la thèse considérée que je suis ne voit pas en quoi ils consistent.

Le présent courriel est naturellement communiqué à l’intéressée, ainsi qu’à M. Blum.

 De : Isabelle Ohayon
Envoyé : jeudi 12 mai 2022 22:06
À : annie.lacroix-riz; et une liste universitaire
Objet : RE: [Prep.Coord.Nat] Fwd: la mobilisation de l'enseignement au service de l'impérialisme russe

Je vous remercie de vos propos aussi bienveillants que fondés.

Je crois savoir que vous ignorez tout de l'histoire du Kazakhstan, de ses sources, de son historiographie, de l'actualité de la recherche. En aucun cas de chétives archives diplomatiques occidentales ne suffisent à documenter le premier stalinisme. Les personnes qui souhaitent vérifier vos propos auront tout le loisir de consulter la désormais abondante bibliographie en russe, anglais, chinois, turc, kazakh, italien et allemand qui traite de la famine kazakhe et de son caractère meurtrier. Les archives en russe et en kazakh ont été elles aussi largement déclassifiées, celles du Parti, de la Police politique et des organes exécutifs régionaux et locaux. Si cela ne vous suffit pas, des corpus d'égo-documents ont été constitués à partir d'archives familiales qui ont brisé le tabou dont je parlais il y a vingt ans dans ma thèse. Bref, il faut sérieusement vous renouveler, mais cela demande un peu de rigueur et de travail.

Quant à la russophobie, elle n'a rien à voir là-dedans.

Isabelle Ohayon

Le jeu. 12 mai 2022 à 18:40, annie.lacroix.riz a écrit :

Chère collègue,

Ce ne sont pas des propos malveillants. C’est le constat d’une situation dramatique.

J’ai lu attentivement votre thèse, et ai été frappée par le très faible appareil d’archives qui la caractérisait, et que vous reconnaissiez dans l’ouvrage même. Il n’est pas utile de débattre de ce point : vos lecteurs jugeront. J’avoue ignorer quelles archives miraculeuses vous avez trouvées depuis lors, je n’ai évoqué que votre thèse.

Et il se trouve que, à cette époque, un de nos amis communs (et collègue, qui participait parfois à mon séminaire) m’avait très précisément raconté quelles pressions insupportables vous subissiez de la part des membres de votre jury pour découvrir le maximum de morts de « l’Holodomor » kazakh. C’était la condition plus qu’implicite au succès de la recherche et à ses suites.

Il n’était alors nullement question des « ego-documents » supposés avoir inspiré vos hypothèses et démonstrations sur le « caractère meurtrier […] de la famine kazakhe ». D’autant plus que, j’y insiste, votre thèse ne permettait pas de trancher, à propos des effectifs manquants estimés, s’il s’agissait de morts par famine ou de paysans en situation d’exode rural. Le récit de notre collègue sur les pressions subies avant votre soutenance m’avait d’autant plus frappée que le « comité Ukraine 33 », protégé de l’archevêché de Lyon, tentait alors de me faire expulser de l’université pour avoir diffusé le texte de critique d’archives que j’ai communiqué à tous ce matin.

C’est quand ce collègue m’a raconté les pressions qui pesaient sur vous que j’ai décidé de vous inviter à parler aux étudiants du séminaire de la situation dramatique des jeunes chercheurs. J’ai souvenir que, quand vous êtes venue nous exposer les choses, vous imputiez vos difficultés de débouchés à…  la concurrence des normaliens qui, expliquiez-vous, trustaient les postes. Lesquels, il y a quinze ans, n’étaient déjà pas nombreux, ce qui ne devait pas grand-chose à ces affreux normaliens.

Je n’ai pas compris votre propos sur le nécessaire renouvellement, et pas davantage votre requête d‘« un peu de rigueur et de travail ». Vous m’expliquerez, je n’en doute pas, à quel manque « de rigueur et de travail » vous faites allusion.

Bien cordialement,

Annie Lacroix-Riz

 

De : Fabien ESCALONA <
Envoyé : dimanche 2 avril 2023 16:36
À : annie lacroix riz
Cc : pauline graulle
Objet : Re: Canailleries sans péril vu la conjoncture

Chère Madame, 

Nous prenons acte de vos remarques. Pour ce qui est d'une réplique formelle dans Mediapart, notre média a pour caractéristique (de plus en plus rare parmi les médias nationaux) d'être participatif. Vous avez donc la possibilité de vous exprimer dans les colonnes du Club de Mediapart, soit à travers votre blog si vous en détenez un, soit à travers celui d'un de vos contacts. L'équipe du Club (leclub@mediapart.fr) pourra vous accompagner dans cette démarche si besoin.

Bien cordialement, 

Fabien Escalona

Journaliste à Mediapart
Récemment paru : Une République à bout de souffle (Éditions du Seuil) 

De : annie.lacroix.riz
Envoyé : dimanche 2 avril 2023 17:21
À : 'Fabien ESCALONA'

Cc: pauline graulle , "Thomas chopard" , "Damon Mayaffre"

Objet : RE: Canailleries sans péril vu la conjoncture

Monsieur

Vous avez procédé à une véritable canaillerie, vous ne connaissez à l’évidence pas mes travaux mais pensez pouvoir exploiter la situation. Vous savez fort bien que cet assaut mérite réponse stricto sensu. Naturellement, je ferai cependant connaître ma réponse notamment par la voie, sans écho, que vous me proposez.

Bien cordialement,

Annie Lacroix-Riz

De : annie.lacroix.riz
Date: dim. 2 avr. 2023 à 18:00
Subject: RE: Canailleries sans péril vu la conjoncture
To: Fabien ESCALONA 
Cc: pauline graulle ,
"Thomas chopard" , "Damon Mayaffre"

Madame, Messieurs,

Il va de soi que votre indigne papier doit donner lieu à un droit de réponse, droit que j’ai obtenu, via mon avocat, à l’occasion d’une autre canaillerie, de M. Gilles Morin, en 2020, dans des circonstances similaires, puisque j’avais été accusée de "négationnisme" par cet historien officiel du parti socialiste.

Comme vient de me le confirmer une amie, avocate également, je la cite, « vous répondre par blog ou par simple commentaire en ligne à l'article, [vous] permet tout simplement de contourner le droit de la presse. C’est évidemment impossible.

Bien cordialement,

Annie Lacroix-Riz

Tag(s) : #Annie Lacroix-Riz, #Courrier du coeur, #Histoires, #Ukraine, #Mediatarte
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