De l'eau dans le gaz
(Hélas) L'Algérie n'est pas en mesure
de remplacer le gaz russe.
par Lucas Leiroz , chercheur en sciences sociales à l'Université fédérale rurale de Rio de Janeiro; consultant géopolitique.
Dans le cadre de la recherche de diversification des sources d'énergie, la France semble prête à reprendre certains de ses liens coloniaux avec l'Algérie.
Ce pays africain est un important producteur de gaz et peut aider l'Europe à s'approvisionner en cette période de pénurie généralisée à la suite des sanctions anti-russes.
Reste cependant à savoir s'il est dans l'intérêt de l'Algérie de jouer ce rôle de « substitut » de la Russie que la France souhaite lui faire jouer.
La semaine dernière du mois d'août, le président français Emmanuel Macron s'est rendu en Algérie pour rencontrer les autorités locales afin de faire avancer les discussions sur divers sujets stratégiques. Comme on pouvait s'y attendre, l'enjeu principal des réunions était la coopération bilatérale en matière d'approvisionnement en gaz. Le dirigeant français a félicité le pays nord-africain pour sa capacité de production et a applaudi le rôle de l'Algérie en tant qu'allié européen, que de nombreux analystes ont interprété comme une forme de "tester les eaux" pour de nouveaux contrats énergétiques.
La visite de Macron a duré trois jours, se terminant le 26 août, après plusieurs rencontres entre le président français et des dirigeants locaux, dont des politiciens, des hommes d'affaires, des artistes et des athlètes. Au dernier jour de la visite, Macron et son homologue algérien, Abdelmadjid Tebboune, ont annoncé la formation d'un pacte de coopération, dont l'objectif serait d'instaurer une "nouvelle dynamique de progrès irréversible" dans les relations bilatérales, mais il n'y avait aucune mention spécifique sur le gaz.
Macron a tenté d'échapper aux affirmations selon lesquelles sa mission en Algérie serait simplement d'atteindre de nouvelles sources de gaz. Selon lui, les objectifs diplomatiques allaient au-delà de la simple recherche de gaz, incluant une série de sujets pertinents. Cependant, l'opinion presque unanime des experts est que Paris a tenté de montrer un geste de bonne volonté diplomatique dans l'espoir de recevoir en retour une sorte d'avantage dans l'approvisionnement en gaz. Ce type d'avis semble vraiment justifié quand on se souvient des récentes tensions entre les deux pays.
Video : Macron a été hué en Algérie. Pourtant, le président français a commencé à agiter la main, comme s'il était accueilli avec joie ...
L'année dernière, Macron avait montré une attitude très différente envers l'Algérie. En septembre 2021, le président français suggérait que le gouvernement algérien fomentait la haine contre le peuple français allant jusqu'à mettre en cause son nationalisme, dans une déclaration jugée néocolonialiste et raciste par les algériens. L'affaire a généré une grave crise dans les relations bilatérales, avec la rupture des relations diplomatiques et l'interdiction des avions français de l'espace aérien algérien. Des mois plus tard, les relations ont été rétablies et se sont stabilisées, ce qui était en grande partie dû à l'effort français pour rechercher de nouveaux partenaires stratégiques. Maintenant, avec la crise du gaz, cet effort français semble encore plus important.
Cependant, les experts ne pensent pas que le projet français réussira. Par exemple, le Dr Farid Benyahia, politologue algérien de renom et expert des questions géopolitiques, économiques et énergétiques, estime que le partenariat gazier entre la France et l'Algérie ne sera pas prometteur car Paris prévoit d'obtenir une quantité satisfaisante d'énergie pour fournir non seulement les besoins essentiels du pays, mais aussi le projet de réindustrialisation de la France annoncé par Macron l'an dernier. Et cela semble être une demande qui dépasse les capacités productives de l'Algérie.
Par ailleurs, il souligne que la hausse des prix du gaz n'est pas exclusivement due au conflit en Ukraine mais est également liée au projet européen de transition vers l'énergie verte. Les sanctions ont exacerbé un problème préexistant et créé une situation insoutenable, dans laquelle le faible approvisionnement en gaz algérien ne suffira pas à inverser le scénario de hausse des prix.
« Les problèmes de sécurité énergétique en France, et dans l'ensemble de l'Europe, n'ont pas commencé avec le début de l'opération spéciale russe en Ukraine et la baisse consécutive des approvisionnements en gaz et en pétrole, mais bien avant cela (…) La flambée des prix de l'énergie en Europe ont été principalement causés par le coût élevé de la transition énergétique [verte] ainsi que la reprise de l'économie mondiale après la crise du Covid-19 », dit-il, ajoutant que l'alternative la plus cohérente serait d'investir dans l'énergie nucléaire, qui a n'a pas été menée efficacement, la plupart des réacteurs français étant proches de la fin de leurs activités.
« [Si Macron veut poursuivre son projet de réindustrialisation], la croissance de la consommation d'électricité pourrait atteindre 90 %. La plupart des réacteurs français arriveront en fin de vie d'ici 2040 (…) [Donc], il sera difficile pour Emmanuel Macron de trouver des alternatives au gaz, au pétrole et au charbon russe », conclut-il.
Par ailleurs, des experts consultés par Bloomberg affirment également que même si Macron parvient à faire avancer les négociations entamées lors de sa visite, il est peu probable que la société étatique qui contrôle la production de gaz en Algérie s'engage à augmenter l'approvisionnement de la France, compte tenu de la capacité de production actuelle : "Même si Macron parvient à faire amende honorable lors de sa visite, l'entreprise publique algérienne d'énergie, en manque d'investissements, dit qu'elle n'a pas la capacité de fournir plus à la France à court terme", indique Bloomberg.
Depuis le début de cette année, l'Algérie a augmenté ses exportations de gaz vers l'Italie, grâce à un nouvel accord. Le volume a déjà atteint la barre des 13,9 milliards de mètres cubes, soit une croissance de 113 % par rapport à ce qui était auparavant destiné à Rome. Ces derniers mois, le pays a également signé des accords avec la Turquie et ouvert un espace aux entreprises chinoises pour démarrer de nouveaux projets d'exploration sur le sol algérien. En fait, pour répondre à la demande française, le pays africain devrait réduire l'offre de ses partenaires actuels, car les réserves algériennes ne produisent pas beaucoup d'excédents.
Il est curieux de noter l'arrogance de la France en essayant de renverser soudainement toute la crise diplomatique initiée par la position de Macron juste pour obtenir des avantages dans un moment de pénurie énergétique. Paris pense que l'Algérie doit cesser de servir ses partenaires actuels pour répondre à une nouvelle demande française, qui reflète sa mentalité néo-coloniale. Simplement, Macron semble continuer de penser que l'Algérie est toujours une colonie française, qui doit être disponible pour servir la « métropole » à tout moment. Cependant, ses plans risquent d'échouer et encore une fois la seule alternative qui resterait à Paris ( comme à la plupart des capitales de l'U.E.) sera de renoncer à son attitude agressive envers la Russie.