Des faucons peuvent-ils réellement
vouloir une guerre préventive ?
Une tribune de
Geoffrey Roberts
Il y a aux U.S.A. un groupe d'anciens hauts responsables qui pense que Poutine attaquera bientôt l'OTAN. Ce scénario est hautement improbable.
L'invasion de l'Ukraine par le président Vladimir Poutine fin février 2022 était un acte autoproclamé de guerre préventive. Mieux vaut entrer en guerre maintenant, avant que la tête de pont ukrainienne de l'OTAN aux frontières de la Russie ne devienne une menace existentielle imminente, a déclaré Poutine. Plus la guerre était retardée, a-t-il soutenu, plus le danger serait grand et plus un conflit futur entre la Russie, l'Ukraine et l'Occident serait coûteux *.
* NdT : Une analyse et un jugement inspirés à Poutine et à la plupart des russes par la succession d'événements qu'ils ont eu à observer depuis le coup d'état de Maïdan . Puis validé par le comportement criminel et délirant des dirigeants ukrainiens et la propagande haineuse de leurs "partenaires" occidentaux pendant toute cette période et plus encore depuis le début de l'opération militaire.
Le point de départ de toute pensée de guerre préventive est un futur imaginé, un futur dans lequel une menace existentielle doit être affrontée. Ceci est ensuite associé à l'affirmation selon laquelle un tel danger futur peut être évité - ou du moins minimisé - en prenant des mesures préventives décisives dans le présent. Un tel raisonnement a caractérisé la pensée de la guerre préventive à travers les âges. "C'est maintenant ou jamais", s'exclama le Kaiser Guillaume II en juillet 1914 lorsqu'il exhorta l'Autriche-Hongrie à attaquer la Serbie avant qu'elle ne devienne trop puissante, déclenchant ainsi une séquence d'escalade qui aboutit à une guerre cataclysmique impliquant toutes les grandes puissances européennes. « Le monde retiendra son souffle », a prédit Hitler lorsqu'il a lancé sa croisade pour liquider la menace stratégique et idéologique perçue du régime soviétique « judéobolchevique ». Le président égyptien Gamel Abdel Nasser était un nouvel Hitler, ont affirmé les Britanniques et les Français lorsqu'ils ont pris le contrôle du canal de Suez en 1956, tandis que la "théorie des dominos" du président Eisenhower faisait de l'avancée des communistes au Vietnam une menace pour toute l'Asie du Sud-Est. Et selon le président George W. Bush et le Premier ministre britannique Tony Blair, l'Irakien Saddam Hussein devait être arrêté avant qu'il n'acquière des armes de destruction massive livrables et ne devienne trop fort pour être vaincu.
Tous ces événements ont conduit à divers degrés de désastre pour leurs initiateurs. Mais toutes les guerres préventives ne se soldent pas par un échec *.
* NdT : à ce propos les russes avaient déjà quelques succès à leur actif. Telles les "opérations militaires" qu'ils menèrent à titre préventif, non sans mal mais qui leur permirent finalement de sauver leur pays en triomphant de l’Allemagne nazie. Voir et écouter à ce propos le témoignage de Jean Levy sur les circonstances des opérations menées par l'armée rouge en Finlande et en Pologne avant que les courageux défenseurs de nos valeurs européennes ne s'en prennent plus directement à la "barbarie soviétique" :
L'« opération militaire spéciale » de Poutine en Ukraine pourrait bien réussir * : la conquête du Donbass par la Russie et son occupation de vastes étendues du sud et de l'est de l'Ukraine semblent presque inéluctables.
* NdT : et de fait cela semble bien être le cas aujourd'hui, d'autant que personne ne croit plus sérieusement à une issue favorable aux visées impérialistes sur ces territoires naguère soviétiques, ni à autre chose qu'au lent et douloureux délabrement à quoi les a menés la propagande nazie activement promue localement par l'U.E. et l'O.T.A.N.
Cependant, les coûts pour la Russie dans le présent semblent avoir été exponentiellement supérieurs à ceux que Poutine aurait pu anticiper lors du lancement de son invasion *.
* NdT : Pour pouvoir affirmer ça il faudrait déjà connaître les "anticipations" qu'avaient élaboré les russes. Or, rien n'indique qu'elles étaient plus "optimistes" que ce qu'ils ont du affronter et dont d'ailleurs ils se sont jusqu'ici fort bien tirés - et en tout cas beaucoup mieux que ne l'ont fait leurs adversaires occidentaux sur la base de leurs propres "anticipations" pessimistes à l'encontre des russes.
Bien que cette guerre puisse se terminer par un cessez-le-feu ou même un accord de paix, le nouvel ordre mondial émergeant dans son sillage ne ressemblera pas aux hautes terres ensoleillées d'une multipolarité stable comme l'imaginent certains des partisans occidentaux de Poutine. Il est beaucoup plus probable qu'on on observe quelque chose qui ressemblerait à la vision apocalyptique de l'ambassadeur soviétique Ivan Maisky après le découpage de la Tchécoslovaquie à Munich en octobre 1938 : "Les relations internationales entrent dans une ère de la plus violente montée de sauvagerie et de force brute parallèlement à une politique du poing blindé" *.
* NdT : Cette politique fut de facto celle de la "guerre froide" ... réchauffée par les russophobes depuis quelques années (depuis la chute de l'Union Soviétique) comme les lybiens, les irakiens, les syriens, les afghans, les yougoslaves, les yemenites, les palestiniens, les georgiens, les ukrainiens, etc. ont pu le constater à leurs dépens.
Surtout, le risque accru de guerre nucléaire entre les grandes puissances persistera pendant des années, voire des décennies, à cause de la guerre de Poutine contre l'Ukraine. C'est un danger qui ne menace pas moins la Russie que les États-Unis et le reste du monde.
Un groupe d'anciens responsables américains de haut rang a récemment publié une déclaration appelant les États-Unis à intensifier leur guerre par procuration avec la Russie en fournissant à l'Ukraine de plus grandes quantités d'armes avancées telles que des missiles à longue portée et des systèmes de défense aérienne. De tels armements pourraient être fournis sans crainte de représailles, ont tenu à rassurer les signataires, puisque Poutine bluffe sur l'escalade nucléaire. La dissuasion nucléaire fonctionne toujours, ont-ils dit, et c'est une erreur stratégique de supposer le contraire.
« Les États-Unis doivent armer l'Ukraine maintenant, avant qu'il ne soit trop tard », titrait The Hill , qui publiait l'appel. « Les desseins agressifs de Poutine ne s'arrêtent pas à l'Ukraine », disent les signataires. "Si la Russie gagne en Ukraine, nos alliés baltes de l'OTAN sont en danger, tout comme les autres alliés résidant dans le voisinage."
Une fois de plus, il s'agit d'une menace future imaginée comme motif d'une escalade préventive proposée, et non des intérêts, des besoins ou du sort actuels de l'Ukraine. Pourtant, l'Ukraine a surtout besoin de soutien pour défendre sa position tout en recherchant un cessez-le-feu et une paix négociée. Les termes de toute paix avec Poutine seront répugnants. Mais cela est certainement préférable à la dévastation réelle et aux pertes matérielles, territoriales et humaines massives résultant des combats qui se sont poursuivis jusqu'au proverbial dernier Ukrainien afin d'éviter une menace existentielle imaginaire pour les alliés américains.
En 1914, le Kaiser pensait que la Serbie et la Russie voulaient détruire l'empire austro-hongrois. En 1941, Hitler croyait que Staline luttait pour une révolution mondiale qui détruirait la nation allemande et renforcerait une conspiration juive internationale. En réalité, les objectifs des deux groupes d'adversaires de l'Allemagne étaient limités et défensifs, et il en va de même pour Poutine aujourd'hui.
Les objectifs de Poutine par rapport à l'Ukraine sont de plus en plus radicaux, mais il n'y a aucune preuve réelle - contrairement à des spéculations infondées - qu'il ait des ambitions révisionnistes de grande envergure. Il est extrêmement hostile à l'OTAN et à certains États membres en particulier, mais il ne les a pas menacés ni fait de préparatifs d'attaque. Il y a des tensions résultant de l'expansion continue de l'OTAN aux frontières de la Russie, mais aucun différend avec les États voisins sur la profondeur et l'intensité de celles qui ont caractérisé les relations russo-ukrainiennes après la « révolution de Maïdan » anti-russe de 2014.
Poutine veut sûrement renverser le soi-disant ordre international fondé sur des règles favorisé par l'Occident - tout comme la Chine - mais son discours promeut une politique mondiale basée sur la multipolarité et non, comme on le prétend souvent, sur les sphères d'influence et l'hégémonie d'une alliance d'États autoritaires.
Concernant les capacités conventionnelles de la Russie, la guerre a montré que si elles sont considérables dans le contexte limité de la lutte contre l'Ukraine, Poutine n'est pas en mesure de menacer les États-Unis ou ses alliés de l'OTAN même s'il le voulait.
Il est hautement improbable que Poutine soit tenté de lancer une autre opération militaire aventurière, bien que ce calcul puisse changer si le conflit ukrainien se transforme en une longue guerre d'usure avec une escalade de l'intervention des États occidentaux, ou si l'OTAN tente de construire une autre tête de pont lourdement armée sur aux frontières de la Russie, par exemple en Finlande.
Les anciens responsables mettent fin à leur appel à une escalade armée soutenue par les États-Unis par une réaffirmation classique de leur posture de guerre préventive. Puisque la confrontation avec le Kremlin est inévitable, affirment-ils, les États-Unis doivent s'empresser de fournir à l'Ukraine les armes dont elle a besoin, non seulement pour se défendre mais pour gagner la guerre : « La décision intelligente et prudente est d'arrêter les desseins agressifs de Poutine en Ukraine, et de le faire maintenant ».
Les signataires s'insurgent contre la détermination de l'administration Biden à limiter l'aide américaine à l'Ukraine pour éviter que la guerre par procuration de l'Amérique avec la Russie ne dégénère en un engagement militaire direct. Nous ne pouvons qu'espérer que la retenue se poursuivra et que le président Biden résistera aux appels à l'escalade qui pourraient déclencher la catastrophe nucléaire d'une troisième guerre mondiale.
Mieux encore, serait que les États-Unis changent de stratégie et poussent la Russie à une paix négociée afin de sauver autant que possible le territoire, les ressources et les infrastructures restants de l'Ukraine tout en sauvant la vie des dizaines de milliers de personnes qui mourront sans aucun doute si cette guerre réelle – plutôt qu'imaginée dans le futur – se poursuit.
Geoffrey Roberts
Postface du libraire
On ne peut que souscrire aux voeux de notre ami Geoffrey Roberts et il est d'autant plus probable que Vladimir Vladimirovitch les a entendus que ça n'est certainement pas lui qui a souhaité cette guerre et moins encore lui qui souhaite qu'elle dure ...
Sa tribune ne peut donc viser utilement que la classe dirigeante atlantiste et les légions d'idéologues de notre "presse de référence" qui la soutient sans désemparer.