Date: 25 octobre 2020 à 16:15:41 UTC+1
Destinataire:
Objet: Courriers au Premier Ministre

 

Chers camarades,

Tandis que se déroulent, et se dérouleront encore au Parlement les débats sur le PLF État et le PLFSS, le 29 octobre se tiendra le Comité Interministériel du Handicap sous la présidence du Premier Ministre.

À cette double occasion, reprenant le contenu de courriers déjà adressés à son prédécesseur ainsi qu'à Madame Sophie Cluzel il y a de nombreux mois, l'ANPIHM a tenu à formuler auprès de ce dernier un certain nombre de remarques quant aux mesures prises par le Gouvernement depuis 2017, à lui détailler les difficultés que connaissent au quotidien les personnes dites handicapées , et partant à lui présenter un certain nombre de demandes pouvant être satisfaites immédiatement dans le cadre des débats parlementaires actuels, demandes de nature à répondre aux besoins exprimés, depuis plusieurs années déjà, par les personnes concernées.

Dans cet esprit, nous joignons à cet e-mail deux courriers que nous avons fait parvenir au Premier Ministre, il y a une semaine.

Bien amicalement à tous.
Vincent Assante.
 

M.Le Premier Ministre, je vous écris une lettre...

 

 

Monsieur le Premier Ministre,

Dans quelques jours, le 29 octobre, vous présiderez le Comité Interministériel du Handicap au cours duquel vous entendez préciser votre feuille de route relative à la construction de « la société inclusive pour tous, personnes handicapées, personnes âgées », que le Président, vous-même et votre Gouvernement déclarez appeler de vos vœux.

 Parallèlement, se déroulent depuis quelques semaines, et pour de longues semaines encore, l'examen et les débats au Parlement sur le Projet de Loi de Finances de la Sécurité Sociale et sur le Projet de Loi de Finances de l'État, marqués aujourd$hui par la loi portant création d'un 5e risque/5e branche afin de favoriser l'autonomie des personnes connaissant une réduction de leurs capacités, notamment physiques.

C'est donc le moment idoine pour vous faire part, Monsieur le Premier Ministre, non de l'ensemble des besoins exprimés par les personnes dites handicapées que nous représentons, mais de la part des besoins auxquels il vous est possible de répondre positivement dans les jours qui viennent, la concomitance des travaux au Parlement en matière de finances avec la tenue de ce Comité Interministériel du handicap vous en offrant toute l'opportunité !

Cela étant, comme vous le savez certainement, Monsieur le Premier Ministre votre Gouvernement travaillant à apporter une réponse au rapport de la « Convention internationale des droits des personnes handicapées » qui met en lumière les insuffisances et les contradictions de la politique française en la matière, selon la « Classification  internationale du handicap, du fonctionnement du corps et de la santé » et cette même Convention, le handicap est le produit de l'interaction des facteurs individuels et sociaux d'une personne et des facteurs environnementaux, et que par conséquent le « handicap » n'est pas un synonyme de « déficience » et que les personnes dites handicapées ne constituent pas un public particulier en soi.

Tout au contraire, les personnes dites handicapées ou en perte d’autonomie ne sont en définitive pour l'essentiel que des personnes dont telle ou telle particularité (pour ne pas dire, « déficience ») ne leur permet pas de franchir tel ou tel obstacle matériel} social ou culturel,  les plaçant en conséquence dans des situations de handicap successives, situations de  handicap variables selon les tâches à accomplir.

Dès lors, il importe que les différents acteurs, État, Parlement, Collectivités, Administrations, conduisent une politique visant à supprimer, ou à défaut réduire, les obstacles qui  génèrent des situations de handicap pour des citoyens présentant différentes particularités. Et à tout le moins, n'en créent pas de nouveaux. Ce afin de permettre le libre choix de vie.

En effet, et vous en conviendrez Monsieur le Premier Ministre, le libre choix de vie doit être offert à tout citoyen, fût-il dit « handicapé ».

En particulier, le libre choix du soutien à domicile chaque fois que nécessaire dans son logement personnel, formule généralement plébiscitée par les intéressés car elle est à la base de l'autonomie, source de confiance en soi, de réappropriation de son identité d'adulte et de citoyen responsable.

Mesure positive de la loi du 1 1 février 2005, la Prestation de Compensation du Handicap a prouvé, s'il en était besoin, que la vie à domicile des personnes dites « lourdement handicapées » était parfaitement possible. Notamment à partir de 2006, avec la publication du décret (obtenu par la manifestation de la Coordination Handicap et Autonomie devant l'Élysée) permettant un accompagnement 24 heures sur 24

Par ailleurs, que ce soit via le recours à une aide humaine et/ou l'obtention en complément d'aides techniques chaque fois que de besoin, le recours à la PCH, dès lors qu'il correspond aux besoins de la personne et à sa demande, doit être privilégié à toute autre forme d'orientation vers un hébergement collectif.

Mais encore faut-il que l'accessibilité du cadre bâti soit réellement mise en œuvre, que les ressources accordées aux personnes soient d'un niveau décent et, bien entendu, que le périmètre de la PCH soit élargi et son financement revu à la hausse !

Or, Monsieur le Premier Ministre, vous devez savoir que de très nombreuses personnes  dites handicapées, voire âgées commençant à ressentir des limitations dans leur autonomie, nous interrogent régulièrement pour tenter de comprendre le sens de différentes mesures prises (ou non prises !) par votre Gouvernement ou par ses prédécesseurs.

En effet, si votre Gouvernement a pris différentes mesures positives, il s'avère qu'elles sont le plus souvent ressenties comme accessoires par rapport aux questions fondamentales citées ci-dessous, et relevant de surcroît beaucoup plus d'une volonté de diminuer les coûts administratifs que de faciliter la vie des personnes dites handicapées !

Il en est ainsi, pour celles déjà prises ou simplement annoncées, que ce soit un plan de formation bénévolat dans la perspective des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, l'élargissement de l'aide au repos pour les aidants, la numérisation d'un certain nombre de réponses administratives pour en faciliter l'accès, la « délivrance à la vie de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, en cas de handicap irréversible », ou du « droit à vie à la PCH pour les bénéficiaires dont le handicap n'est pas susceptible d'évoluer favorablement ».

En revanche, bien d'autres mesures ne sont absolument pas comprises et peuvent s'énumérer ainsi :

Pourquoi le Gouvernement a-t-il fait voter l'article 64 de la loi Élan impliquant que seuls 20 % des appartements « accessibles » à construire seront « évolutifs », ce tandis que les 80 % restants ne pourront accueillir des personnes à mobilité réduite sans de nombreux travaux, parfois majeurs, et dont les financements pour les réaliser relèvera d'un processus long et complexe ? 

Pourquoi le Gouvernement a-t-il édicté des modalités réglementaires qui vont conduire à ce que les salles de bains seront difficilement utilisables par les personnes et a fortiori par leurs auxiliaires de vie, constituant ainsi une remise en cause fondamentale du droit au logement pour les citoyens concernés ?

Pourquoi, si l’Allocation aux Adultes Handicapés a bien augmenté de 90 €, rattrapant partiellement le déficit de pouvoir d'achat constaté entre 2012 et 2017, le Gouvernement maintient-t-il encore et toujours l'AAH en dessous du seuil minimum de pauvreté (1063 €) ?

Pourquoi le Gouvernement a-t-il gelé le plafond de ressources imposé aux couples, conduisant à ce que 30 % des allocataires ne bénéficient que très partiellement de cette revalorisation, et 7,5 % d'entre eux pas du tout, tandis que sur les 270 000 bénéficiaires actuels en duo, 25 % d'entre eux ne bénéficient pas non plus de l'augmentation de cette allocation ?

Pourquoi le Gouvernement a-t-il procédé à la fusion pour les futurs ayants droits du Complément de Rémunération d'un montant de 179,31 €, attribué sous certaines conditions à plusieurs dizaines de milliers de personnes titulaires de l'AAH, avec la Majoration pour la Vie Autonome (deux compléments aux fonctions différentes et non attribués aux mêmes personnes) d'un montant de 104,77 € avec un alignement sur le montant le plus faible de surcroît inchangé depuis plus de 10 ans ?

Pourquoi le Gouvernement envisage-t-il de restreindre l'accès à l'AAH2, c'est-à-dire pour les personnes dont le taux d'invalidité serait évalué entre 50 et 80 % et connaissant une restriction durable d'accès à l'emploi, quand on sait que de plus en plus de MDPH abaissent déjà pour de nombreuses personnes le taux d'invalidité de 80 % à 79 % dans le seul souci d'économiser quelques dizaines d'euros ?

Pourquoi le Gouvernement ne procède-t-il pas à l'augmentation de la pension d'invalidité attribuée à plus d'un million de personnes en raison d'une maladie contractée au cours de leur vie professionnelle leur interdisant de reprendre totalement ou partiellement leur activité, celle-ci n'atteignant aujourd'hui que 650 € en moyenne, avec un seuil minimum de 289 € pour les anciens salariés les plus pauvres !

Pourquoi, le Gouvernement n'agit-il pas pour que la Prestation de Compensation du Handicap (PCH), destinée à favoriser réellement l}autonomie des personnes dites handicapées, intègre enfin dans les tâches dévolues à l'auxiliaire de vie sociale accompagnant la personne, les tâches de préparation des repas et de l'aide ménagère pour les personnes vivant seules ?

Pourquoi le Gouvernement n'augmente-t-il pas le taux horaire de la PCH, taux gelé depuis trois ans maintenant ?

Pourquoi le Gouvernement n'agit-il pas pour que cette Prestation prenne suffisamment en compte au plan financier le rôle de l'aidant éventuel ?

 Pourquoi le Gouvernement n agit-il pas pour que cette prestation intègre enfin les modalités indispensables permettant aux personnes dites handicapées employeurs directs de leurs AVS de pouvoir respecter le Code du travail ?

Pourquoi le Gouvernement n’agit-il pas contre le fait que le volume d'heures en aides  humaines accordé en principe à chaque « ayant droit » ne cesse d'être revu à la baisse par les MDPH et couvre de moins en moins les besoins réels des personnes, ce aussi bien pour les nouvelles demandes que pour les renouvellements, à It occasion desquels dailleurs on constate de plus en plus souvent dans les deux cas des modifications dans les imprimés en vue d'inciter les personnes à ne pas demander à être entendues par la Commission ad hoc, contrairement à l!intitulé même de la loi du 1 1 février 2005 ?

Pourquoi le Gouvernement envisage-t-il la réduction de l'exonération totale de cotisations patronales pour le recours aux services d'aide à domicile à partir de 70 ans même sans perte d'autonomie, la réduction du crédit d'impôt au titre de l'emploi d'une personne à domicile, ou bien l'abaissement du plafond de la réduction d'impôt au titre des frais de dépendance et d'hébergement, autant de mesures qui tendront à diminuer pour les  personnes âgées le recours à une aide possible préservant le plus longtemps possible leur autonomie, ne serait-ce qu'en leur évitant des travaux de ménage pouvant entraîner des chutes aux conséquences dramatiques en termes de mobilité chez des sujets devenus fragiles au fil des ans ?

Pourquoi le Gouvernement envisage-t-il de faire peser sur les pensionnés et retraités des contributions nouvelles, que ce soit via des modifications des taux de CSG ou de la suppression de l'abattement de 10 % pour le calcul de l'impôt sur le revenu, ce qui reviendrait à faire payer en partie le financement de la dépendance par les personnes elles-mêmes atteintes de dépendance : la double peine en quelque sorte !

Pourquoi, si l'autonomie des personnes est considérée comme un objectif fondamental, le Gouvernement a-t-il fait voter par sa majorité au Parlement un texte de loi soumettant le niveau de reste à charge pour les personnes dites handicapées lors d'un achat d'une aide technique, à la seule capacité financière résiduelle des Fonds Départementaux de Compensation (de plus en plus exsangues sur ce plan depuis plusieurs années en raison d'un abondement dramatiquement insuffisant par l'État et autres financeurs désignés par la loi !), alors qu'il serait logique que le financement relève plus largement de la Sécurité Sociale ou de la seule PCH?

Pourquoi le Gouvernement n'affecte-t-il pas enfin les moyens financiers et organisationnels nécessaires aux MDPH, devenues ou non Maisons Départementales de l'Autonomie, afin de mettre fin à une évaluation bâclée des conditions de vie et des besoins des personnes par une Équipe pluridisciplinaire le plus souvent réduite à une seule personne et par une Commission Départementale d'Autonomie qui n'a plus rien de collective, aux délais interminables d'instruction des dossiers et aux nombreuses erreurs commises lors de cette instruction dues à une formation insuffisante des personnels ad hoc méconnaissant trop souvent la réglementation qu'ils sont chargés d'appliquer, ce au détriment des droits des personnes dites handicapées ?

Pourquoi le Gouvernement ne donne-t-il pas comme instruction à l'Inspection du travail d'être plus attentive au fonctionnement des entreprises de services à domicile au sein desquelles les personnels voient trop souvent leurs droits de salariés bafoués ?

 Pourquoi le Gouvernement ne prévoit-il que 0,9 % d'augmentation des crédits pour le secteur médico-social alors que celui-ci accueille de plus en plus de personnes aux  déficiences multiples et plus complexes, que les personnels sont en nombre insuffisant pour effectuer un accompagnement décent, que le niveau de leur salaire est chichement mesuré, et que nombre de parents sont toujours contraints d'exiler leurs enfants, parfois depuis de jeunes adultes, dans des établissements en Belgique en raison tout à la fois de moyens insuffisants destinés à permettre à des personnes qui le pourraient de quitter les établissements pour vivre à domicile et pour permettre à des structures « ouvertes et accompagnatrices » dotées de moyens ad hoc d'accueillir les personnes aux déficiences les plus lourdes et plurielles ? 

Face à une telle situation, vous conviendrez, Monsieur le Premier Ministre, que seuls la mise en oeuvre du principe d'accessibilité « universelle », l'octroi dans de bonnes conditions d'une PCH (ou d'une APA) conforme aux besoins des personnes et au respect des droits des salariés, et un revenu de remplacement égal au SMIC sans prise en compte des ressources du conjoint, constituent les réponses décentes à apporter aux personnes en rupture d'autonomie d'aujourd'hui et de demain !

C'est pourquoi, Monsieur le Premier Ministre, à l'occasion de l'élaboration par vos soins et du vote au Parlement des Projets de lois de finances, nous vous demandons :

Que les moyens ad hoc soient accordés aux MDPH/MDA afin que soit assurée l'égalité de traitement entre toutes les personnes dites handicapées,

Que l'AAH devienne un « revenu de remplacement » porté au niveau du SMIC sans prise en compte des revenus du conjoint,

Que soit financée une réponse complète aux besoins dès lors qu'ils sont reconnus par l'équipe pluridisciplinaire au cours d'un entretien avec la personne, à domicile puis en réunion de Commission,

Que les critères d'attribution de la PCH soient élargis aux tâches indispensables telles que la préparation des repas, le ménage, et l'hygiène du linge,

Que la barrière d'âge des 60 ans soit abrogée,

Que les moyens financiers soient débloqués afin de permettre à la personne dite handicapée employeur direct de son auxiliaire de vie sociale d'être en mesure de faire face aux obligations légales, tels que le paiement des heures supplémentaires éventuelles, le paiement des heures majorées des dimanches et jours fériés, les frais relatifs à la visite de la médecine du travail, le droit à la formation continue, et le droit aux indemnités de départ,

Que la couverture des besoins en aides techniques soit améliorée, notamment en révisant le tarif interministériel des prestations sociales (TIPS) ou en termes de dispositifs permettant l'aménagement du logement et du véhicule, et autres aides plus particulières,

Que l'aide apportée par l'aidant familial soit revalorisée au plan financier.

Et bien entendu, par ailleurs, au cours de la même session parlementaire :

Que soit abrogé l'article 64 de la loi Élan afin de faciliter le maintien à domicile des personnes en réduction d'autonomie, ce conformément à la politique d'autonomie que le Président de la République, vous-même, et votre Gouvernement déclarez vouloir mettre en oeuvre !

Dans l'attente de votre réponse, nous vous prions de croire, Monsieur le Premier Ministre, à l'assurance de notre considération distinguée.

Pour le Conseil d'Administration de l'ANPlHM« Vincent Assante.


 

ANPIHM, association fondée à Garches le 5 novembre 1952, reconnue d'utilité publique (décret du 27/07/1990) Membre du Comité d'Entente des Associations Représentatives (grande cause nationale 2003) www.anpihm.org

Siège social : Paris • Siège administratif : 17, square Charles Dullin 35200 Rennes

- Tél. : 02 99 32 28 12 - Fax : 02 99 26 35 48

Courrier adressé au Premier Ministre

Tag(s) : #Handicap, #Social, #Politique, #ANPIHM, #santé
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