L'ascension et la chute d'Emmanuel Macron
Steve Keen n'est pas un de nos écono-radicaux, écolo-spinozistes, libéraux-décroissants ou autres experts mondains de facture franco-française . C'est un économiste et auteur australien néo-keynésien nourri au sein néo-classique, à l'instar de la plupart des économistes "progressistes" et critiques anglo-saxons (et aussi peu redoutable qu'eux pour la classe sociale qui les a produits ). Il est professeur et directeur de l'école d'économie, d'histoire et de politique de l'université de Kingston à Londres. Voir https://www.patreon.com/ProfSteveKeen.
C'est donc quelqu'un qui n'est aucunement révolutionnaire, pas même anti-libéral  encore moins anti-capitaliste (marxiste n'en parlons pas !) et il part donc des mêmes principes théoriques et économétriques que notre fondé de pouvoir de banque national.
Son jugement sur la dévaluation du macron a donc d’autant plus de valeur
 
 
L'ascension et la chute d'Emmanuel Macron
Plus tôt cette année, le photogénique libéral Emmanuel Macron est devenu le brillant espoir de l'Union européenne. C'était avant que ses échecs politiques auto-infligés aient provoqué l'effondrement rapide de sa popularité.

Au printemps, face au Front national anti-bruxellois, antimondialiste et - à ses origines tendanciellement pro-fasciste - Macron a voulu incarner une image progressiste de l'UE compensant l'image plus totalitaire que démocratique que l'affaire grecque avait accolée aux édiles européens. Mais c'était "avant". Depuis son élection, la popularité de Macron a plongé plus vite que n'importe quel président français dans l'histoire. Les tentatives pour expliquer cette baisse ont porté sur son approche pompeuse de la gouvernance - professant littéralement vouloir gouverner sur le mode Jupiterien.

Mais il y a une cause plus profonde à cette désaffection. Il a mal diagnostiqué les origines du marasme économique français et, par conséquent, ses foudres économiques joviennes font et feront plus de mal que de bien. Il est facile de montrer les erreurs de perspective flagrantes de la part du président néophyte en considérant simplement les données économiques. L'agenda de Macron cite par exemple un secteur public démesuré comme la cause fondamentale du malaise de la France et la principale «Preuve à charge» en serait le niveau élevé de la dette publique: en mars 2017, il représentait 111% du PIB, pour cent du PIB maximum autorisé par le traité de Maastricht. Pourtant les engagements privés sont encore pires : 187% du PIB. Alors, pourquoi Macron, à l'instar des politiciens de toutes allégeances, ne s'inquiète-t-il pas de ce niveau de dette privé pourtant beaucoup plus élevé?

Signaux manqués . La raison en est que, étant donné qu'il a fait ses classes en économie dominante  à l'ENA (École Nationale d'administration), Macron adopte l'argument selon lequel la dette privée n'a pas d'importance. Il s'agirait simplement d'une «redistribution pure», pour reprendre Ben Bernanke, qui «ne devrait pas avoir d'effets macroéconomiques significatifs » en l'absence de grandes différences de propension à dépenser marginalement entre épargnants et prêteurs .

Cette certitude réconfortante est pourtant radicalement contredite par les données concernant les pays qui, comme la France, ont un ratio d'endettement privé largement supérieur à 100% du PIB. Si l'hypothèse de Bernanke était correcte, il y aurait peu ou pas de corrélation entre le crédit (l'évolution annuelle de la dette privée) et le chômage. Cependant, dans son pays d'origine, les États-Unis, la relation entre le crédit et le chômage depuis 1990 est de moins 0,91: l'augmentation du crédit réduit le chômage et la baisse du crédit l'augmente. Dans le cas de la France, la corrélation est plus faible mais reste substantielle à moins 0,62, alors que selon l'économie dominante, elle devrait être proche de zéro.

Le crédit pèse donc non seulement parce que les épargnants sont beaucoup moins susceptibles de consommer que les débiteurs, mais parce que le crédit bancaire ne "crée" pas d'argent frais. Comme ce nouvel argent est dépensé par les emprunteurs, il s'ajoute à la demande globale. Et la baisse du crédit au fil du temps, que la France connaît généralement depuis le début des années 1970, implique donc une hausse du chômage.

Bien sûr, ce n'est pas parce que les salaires sont trop élevés, mais parce qu'une part importante de la demande globale diminue (même si le niveau d'endettement privé de la France a continué d'augmenter). Ici, le modèle français est très différent des États-Unis, où la hausse générale du crédit a entraîné une baisse du chômage à partir du début des années 1990.

En conséquence, la France a semblée sclérosée sur la création d'emplois tandis que l'Amérique, avant la Grande Récession, semblait être dynamique. Mais ils étaient tous les deux sous l'influence de la même tendance insoutenable.

Sagesse conventionnelle. Prisonnier de son explication monétaire du malaise de la France par un modèle financier lui-même faux, Macron retombe dans la logomachie économique classique qui veut que le chômage soit élevé parce que les salaires sont trop généreux, que la flexibilité du marché du travail est trop faible et que les dépenses excessives du gouvernement "font fuir" le secteur privé. Son programme économique met l'accent sur la réforme de la législation du travail en France et la réduction des dépenses publiques pour atteindre les objectifs du traité de Maastricht: une dette publique inférieure à 60% et un déficit public inférieur à 3% du PIB.

Les politiques du marché du travail de Macron sont basées sur l'argument standard de l'offre et de la demande, où le chômage est causé par des salaires trop élevés. Il croit donc que si vous éliminez les «rigidités», la demande de main-d'œuvre augmentera à mesure que le prix artificiellement élevé diminue; et la «surapprovisionnement en main-d'œuvre» diminuera également, selon l'économie conventionnelle, à mesure que le salaire artificiellement élevé sera abaissé.

Cette politique budgétaire suit la croyance ordolibérale selon laquelle la «discipline budgétaire» améliore les conditions du commerce en maintenant les écarts de taux d'intérêt bas. Dans le même temps, des réductions de l'ordre de 20 milliards d'euros sont envisagées (près de 1% du PIB français), tout comme les suppressions d'emplois dans le secteur public et le gel des salaires.

Ces arguments, comme Macron lui-même, ne sont que superficiellement attrayants.

Si le prix de certains produits est maintenu élevé par des interventions non marchandes, la logique d'Economie-101 implique que la suppression de ces contraintes devrait réduire le prix et provoquer à la fois une hausse de la demande et une chute de l'offre qui ramènerait le marché en équilibre.

De même, s'il n'y a que cet argent disponible, la réduction de la quantité réquisitionnée par le secteur public sclérosé devrait le rendre plus disponible pour le secteur privé dynamique mais actuellement contraint.

Cependant, comme je l'explique dans mon livre «Debunking Economics», il y a là une analyse problématique de l'offre et de la demande en général, et plus encore lorsqu'elle est appliquée au travail. Mais avec le travail, en particulier, l'offre et l'analyse sont entièrement trompeuses.

Pour commencer, même selon la théorie conventionnelle, l'offre de main-d'œuvre pourrait augmenter si les salaires diminuent, augmentant ainsi le chômage (parce que les travailleurs doivent travailler davantage à mesure que les salaires plongent pour obtenir les revenus nécessaires à la consommation).

Plus important encore, le marché du travail fait tellement partie intégrante du capitalisme qu'il ne peut être envisagé d'utiliser uniquement la microéconomie: il faut aussi tenir compte de l'impact macroéconomique de tout changement. Ici, un piège classique de ce dernier mine non seulement ce que Macron pense être bon pour le marché du travail, mais ce qu'il croit être positif pour les dépenses du gouvernement aussi.

Au niveau macroéconomique, vos dépenses deviennent nécessairement le revenu de quelqu'un d'autre : l'euro ou les dollars sortant de votre portefeuille, représentant les dépenses, se retrouvent dans la poche de quelqu'un d'autre en tant que revenu. De plus, surtout depuis que les salaires ont baissé en termes réels ces dernières années, les travailleurs dépensent la grande majorité de ce qu'ils gagnent - et même plus qu'ils ne rapportent quand, comme ils le font maintenant, les ménages français empruntent aux banques.

Cause et effet. La réduction des salaires réduira donc le PIB de presque autant, voire plus (puisque les entreprises répondent à une baisse de la demande des ménages en investissant moins). Cela réduira la demande de main-d'œuvre et ne l'augmentera pas comme le soutient la théorie microéconomique. En conséquence, les travailleurs français pourraient subir la même souffrance que celle des travailleurs britanniques sous Margaret Thatcher et Tony Blair, pour constater qu'ils font face à autant de chômage qu'auparavant.

Le désir de réduire la dette de l'État en abaissant les dépenses du gouvernement tombe dans le même piège, c'est-à-dire qu'une tentative par n'importe qui pour économiser de l'argent en réduisant les dépenses ne fonctionne pour eux qu'en réduisant les revenus des autres.

La logique est simple. Imaginez qu'une entité ait un revenu de 200 milliards d'euros par an, et dépense de la même façon pour que ses économies soient nulles. Il décide d'économiser 10 milliards d'euros en dépensant 10 milliards d'euros de moins, tout en gagnant le même montant. C'est possible, et cela peut aboutir à cette entité (appelons-la secteur A) économisant 10 milliards d'euros cette année-là, comme prévu. Cependant, puisqu'elle a dépensé 10 milliards d'euros de moins, elle a réduit les revenus des autres secteurs de façon aussi précise: la baisse des dépenses du secteur A se traduit par une baisse des revenus des autres secteurs de l'économie. Or, si nous divisons l'économie en trois secteurs, les revenus des deux autres secteurs (B et C) diminuent précisément autant que le secteur A l'épargne. S'ils ont commencé au même point et ont dépensé 200 milliards d'euros par an, le résultat final de l'économie du secteur A, soit 10 milliards d'euros, est qu'ils économisent chacun 5 milliards d'euros. L'épargne globale reste à zéro.

Le revenu tombe donc au niveau macro lorsque les individus (ou un secteur industriel, une grande entreprise, un gouvernement, voire une nation dans un bloc commercial) tentent d'économiser au niveau micro. L'épargne du gouvernement de Macron réduira tout autant le PIB de la France et entraînera peut-être d'autres baisses si les ménages et les entreprises réagissent en essayant également de réduire leurs dettes.

Ainsi, l'impopularité de Macron n'est pas seulement due à son approche pompeuse de la gouvernance. C'est aussi parce que les électeurs français ont toujours été méfiants vis-à-vis du programme néolibéral qu'il représente et qu'ils n'ont qu'à regarder la Manche pour voir ce que ces politiques présagent pour l'industrie (divisée par deux par rapport au PIB depuis Maggie Thatcher) et le niveau de vie des classes laborieuses.

Macron accusera sans doute les bureaucrates obstructionnistes et les travailleurs militants de l'échec de son programme lorsque son retour aux urnes arrivera en 2022. Nous espérons  qu'une alternative non néolibérale au Front national se présentera avant cette date.

 

Chute du Macron : les experts anglo-saxons peu optimistes
Tag(s) : #économie, #social
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