En préambule à la prochaine présentation d'un inédit de Michel Clouscard par Dominique Pagani, nous rediffusons la video du mois de mai 2016  qui avait été bloquée par Youtube, suite à une réclamation de l'Ina :

Le PCF et la contre-révolution libérale.

Michel Clouscard
extrait de "Lettre ouverte aux communistes"
Éditions Delga 2016

Ce texte a été rédigé à la fin des années 70, à l'aube de la catastrophe mitterandiste.
Il est largement commenté dans la vidéo ci-dessous, ainsi que l'ensemble de l'ouvrage inédit de Michel Clouscard

qui vient d'être publié par les éditions Delga.

 

LES CHOSES pourraient être pourtant si simples, pour les communistes; c’est le seul parti qui dispose d’un corps doctrinal pour analyser l’évolution des sociétés et leurs crises: le marxisme.
Faut-il encore l’actualiser.

La récente métamorphose de la société française peut donc être définie selon ce schéma: le passage du capitalisme monopoliste d’État de l’ascendance au capitalisme monopoliste d’État de la dégénérescence : la crise.

À l’exploitation par les cadences infernales, qui a permis la croissance, ont succédé l’austérité et le chômage massif. Comment se fait-il que le Parti communiste français n’ait pas su exploiter ces situations, pour accumuler les profits électoraux?

Pour ce faire, il aurait fallu proposer une distinction radicale, celle des nouvelles couches moyennes et celle de la classe moyenne traditionnelle. La plupart des observateurs confondent les deux en cette nébuleuse: classes moyennes. Eux, du moins, ont une excuse: ils ne sont pas marxistes. Mais il faut bien constater que la plupart des communistes identifient aussi ces contraires.

C’est que ces nouvelles couches moyennes sont très embarrassantes pour les doctrinaires marxistes. Elles vont à l'encontre du Vieux schéma qui prévoit la radicalisation des extrêmes: concentration de la grande bourgeoisie et paupérisation (absolue ou relative ?) de la classe ouvrière.

Or, dans les pays dits « post-industrialisés », c’est le contraire.

Le capitalisme monopoliste d’État a procédé a cette géniale « invention » : les nouvelles couches moyennes.

Il faut en proposer l’élémentaire nomenclature. Ce nouveau corps social relève de l’ extraordinaire développement de trois secteurs professionnels très disparates. Celui, très traditionnel, des fonctionnaires, employés du privé, professions libérales, qui a connu un saut quantitatif et du coup une mutation qualitative. Celui des nouveaux services spécifiques du capitalisme monopoliste d’État (concessionnaires, agences de voyages...) Celui des ingénieurs, techniciens, cadres (ITC), qui rend compte du progrès technologique et de sa gestion sous tutelle capitaliste.

Ces nouvelles couches moyennes ont été le support du libéralisme, nouvelle idéologie qui s’oppose radicalement a celle de la classe moyenne traditionnelle, laquelle se caractérise par la propriété des moyens de production. La stratégie libérale consiste a s’appuyer sur ce corps des services et des fonctions. C’est toute une nouvelle culture qui dénonce même l’avoir.

Quel paradoxe: ce sont ces couches moyennes, qui ne sont pas possédantes de leurs moyens de production, qui sont le meilleur support du capitalisme!

Il est vrai qu’elles ont été gâtées. Ce sont elles qui se sont partagé la plus grosse part du gâteau de l’ascendance. Et cela grâce a une savante redistribution du profit capitaliste par la politique des revenus de la société du salariat généralisé.

Ces nouvelles couches moyennes ne sont pas propriétaires de leurs moyens de production, elles ne sont pas - en leur majorité - des forces productives directes mais elles se trouvent au résultat du procès de production, des autres, la gueule ouverte, pour tout engloutir. Elles se paient même le luxe de dénoncer la « Société de consommation ». Cette idéologie est devenue une idéologie dominante, depuis Mai 1968, ce 14-Juillet des nouvelles couches moyennes. Elle a sécrété les nouveaux modèles de la consommation « libérale ».

Cette idéologie de la libéralisation n’est pas le seul support de la contre-révolution libérale. Le management, celui des grands monopoles, prétendra même dépasser... le marxisme. Ne dispose-t-il pas, en son sein, des techniciens supérieurs et des ingénieurs, forces productives directes ? Du coup, nous dira-t-on, la force productive traditionnelle, celle de l’ouvrier non qualifié, deviendrait un simple appoint.

Il est fondamental de comprendre que cette contre-révolution libérale est devenue l’idéologie et la réalité dominantes. Elle a fait éclater les clivages traditionnels de la droite et de la gauche. Maintenant, elle est autant à droite qu’à gauche.

Entre le libéralisme avancé de Giscard [Sarkozy] et la social-démocratie retardée de Mitterrand [Hollande], ou est la différence ?

Le dogmatisme du PCF l’a empêché de comprendre cette métamorphose de la société française, le rôle des nouvelles couches moyennes, la nouvelle stratégie du capitalisme: la contre-révolution libérale, qui n’a pas grand-chose de commun avec la « droite » traditionnelle. Mais la crise peut lui permettre de se rattraper, et même d’inverser la tendance.

Le moment est venu pour les communistes de dire : « C’était formidable, votre combine, dommage que ça se casse la figure. Vous avez Cru que c’était arrivé, alors que vous ne faisiez que vérifier nos analyses: le capitalisme monopoliste d’État de l’ascendance apporte une croissance économique fantastique dans la mesure ou celle-ci propose les conditions d’une crise non moins fantastique. Le capitalisme de l’ascendance n’est que les conditions objectives de la crise. »

C’est le moment de s’adresser a ces nouvelles couches moyennes pour leur montrer qu’elles se sont réparties selon une implacable hiérarchie sociale: grande, moyenne, petite bourgeoisie. Une énorme partie de ces couches a des intérêts de classe analogues à ceux de la classe ouvrière traditionnelle.

Pour sortir ces couches moyennes de leur engourdissement libéral, il faut les prévenir de ce qui les attend: le chômage massif. Autant le capitalisme monopoliste d’État de l’ascendance a créé des emplois artificiels, non productifs, d’encadrement, de plumitifs, autant celui de la crise les liquidera sauvagement pour mettre en place, dans le tertiaire et le quaternaire, l’appareillage de l’informatique et de la robotique.

Il faut montrer aux productifs de ces couches - techniciens, ingénieurs - qu’ils participent au travailleur collectif et qu’ils sont, eux aussi, victimes du management des improductifs. La création d’emplois devrait étre au coeur du débat. Les postes d’encadrement technocratique ne sont-ils pas l’empêchement a priori de la création d’emplois productifs? Tout un cheminement vers l’autogestion est possible, de par la simple recherche des nouveaux critères de gestion.

Autant la montée hégémonique des nouvelles couches moyennes a permis la contre-révolution libérale, autant leur remise en question par la crise devrait permettre la remontée du socialisme et du Parti communiste français. Mais il faudrait alors procéder dialectiquement, se tourner aussi vers la classe moyenne traditionnelle et ne pas rater, non plus, sa « récupération » partielle. Car, que de magnifiques occasions ont été manquées aussi de ce coté-la.

C’est que cette classe sociale participe au travailleur collectif. Et à ce titre, elle a été doublement remise en question, par le capitalisme monopoliste d’État de l’ascendance. Autant celui-ci a fait la promotion des nouvelles couches moyennes, autant il a « enfoncé » une grande partie de la classe moyenne traditionnelle. Comment ne pas s’être rendu compte de ce dispositif contradictoire de la France de la modernité ?

C’est sur le dos du petit et moyen commerçant, paysan, entrepreneur, que se sont édifiés les monopoles puis le capitalisme monopoliste d’Etat. Mais surtout: quelle mise en boite idéologique! Comme ces gens-la se sont fait chambrer par l’idéologie libérale de la libéralisation! Eux, qui défendent les valeurs traditionnelles du mérite, du travail, de l’économie, du réinvestissement, ont vu leur genre de vie totalement remis en question par l’extraordinaire marché du désir nécessaire a l’économie politique du libéralisme, par l’idéologie non moins nécessaire à l’écoulement de la marchandise de cette industrie du loisir, du plaisir, du divertissement, de la mode. On connaît toutes leurs conséquences : délinquance, insécurité, etc.

Alors, pourquoi ne pas avoir proposé à ces éléments du travailleur collectif les arguments théoriques et les modes d’action qui leur auraient permis de dénoncer la suffisance et l’arrivisme de la hiérarchie libérale? Lutter contre le laxisme du libéralisme, c’est programmer toute une reconquête culturelle.

La crise peut donc permettre au Parti communiste de « récupérer » une grosse partie du corps électoral, partie des nouvelles couches moyennes et de la classe moyenne traditionnelle. Il doit lutter contre les deux grands effets pervers du libéralisme, économique et culturel, pour rendre au travailleur sa dignité professionnelle et morale.

C'est d’autant plus urgent que se profile ce qui pourrait devenir un néo-fascisme qui serait la sinistre et hétéroclite collusion des privilégiés du libéralisme, qui ne veulent rien céder de leurs privilèges acquis et de la vieille droite revancharde qui, elle, veut reconquérir les siens.

 

Tag(s) : #michel clouscard, #politique, #communisme, #clouscard
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