Quadruple-ânerie
«Poutine torse nu sur son cheval ou écrasant ses interlocuteurs par la longueur de sa table» confirmerait le retour de la «brutalité» propre au fascisme. Une brutalité où l'usage de la force irait de pair avec un pari sur la naïveté voire la stupidité des dominés. Tel est du moins le diagnostic établi par le libertaire de papier Serge Quadruppani dans le dernier numéro en date de Lundi Matin [lundi 19 février], site «réfractaire» qui sert de bible aux anarchoïdes hexagonaux les plus prétentieux, dont les exégèses tarabiscotées sur les questions — et surtout les faux problèmes — d'actualité témoigneraient à leurs yeux d'une lucidité hors du commun.
Serge Quadruppani, plus que jamais dans son rôle de prédilection de vigie autoproclamée d'une ultragauche totalement décomposée, avec laquelle il affirme avoir rompu alors qu’il ne fait qu’en prolonger les délires idéologiques, se fait fort maintenant de détecter à la fois les signes d'une «fascisation planétaire» et «les moyens de s’y opposer». Au début des années 70, il croyait discerner dans les terroristes ralliés au djihadisme, financés par la Turquie, l'Arabie saoudite, la Qatar, la Jordanie, les États-Unis et la France, qui avaient commencé à mettre la Syrie à feu et à sang, des «combattants de la liberté» menant une juste lutte pour en finir avec l'odieux régime tyrannique de Bachar el-Assad. Et gare à qui mettait en doute cette version estampillée véridique par les suppôts médiatiques habituels des «changements de régime». Il se voyait ipso facto accusé, comme se plaisait à le faire Quadruppani, de puiser ses informations dans l’agence de presse gouvernementale syrienne Sana, placée comme il se doit sur la liste noire des sanctions internationales par les États-Unis.
Or, voilà que Quadruppani s'en prend aujourd'hui à l’ennemi n° 1 de la coalition euro-atlantiste, incarné par le «maître du Kremlin». L’affreux Poutine, selon lui, aurait mis en effet à profit mieux que d'autres la nouvelle stratégie qui permettrait aux gouvernants de s'assurer ad aeternam la docilité des gouvernés. Pour notre révolutionnaire des temps post-modernes, ladite stratégie tiendrait en peu de mots : «L’Etat d’urgence s’installant pour l’éternité, sois toujours du côté de la bonne Brute : tel est le commandement adressé aux humains apeurés du troisième millénaire. Tel est le cœur du fascisme qui vient.» Restait à identifier le premier bénéficiaire de cette nouvelle conjoncture politique : «Poutine ne s’y est pas trompé puisqu’il a su reprendre avec un certain talent ce rôle de Brute planétaire que les Etats-Unis ont installé pour longtemps au sommet des modes de gouvernance». Et que l'on ne vienne surtout pas contester ce choix. Pour attester son bien fondé, Quadruppani n’hésite pas à redoubler l’«idiotie» qu’il prête généreusement à ses contradicteurs, voire à la tripler et même à la quadrupler en faisant passer Poutine pour un vulgaire tueur en série : «Le gangster du Kremlin [...] tue tout ce qui bouge, d’Anna Politikovskaïa à Navalny en passant par Prigojine.»
Il est assez cocasse de voir un supposé rebelle à l'ordre établi reprendre à son compte les accusations sans preuves que la meute des coryphées du nouvel ordre mondial occidental font pleuvoir sur le président Russe depuis son accession au pouvoir suprême. Elles ont atteint récemment leur paroxysme à la suite de la mort de l’opposant emprisonné Alexeï Navalny. Malgré un passé de fraudes et d’escroqueries diverses, couplées avec des engagements politiques où l’ultranationalisme faisait bon ménage avec le racisme, à l’encontre des Tchétchènes notamment, voici le défunt érigé en héros de la démocratie, en France en particulier, par tout ce que ce pays compte de propagandistes zélés des pouvoirs en place. Dans ce chœur de poutinophobes endurcis, l’intelligentsia «de gauche» voire d’«extrême gauche» figure en bonne place. Pour s’en convaincre, il suffit, par exemple, d’entendre les verdicts sans appels assénés avec assurance contre Poutine par un Mélenchon, un Manuel Bompard ou des insoumis de carton-pâte invités sur le plateau du site soi-disant progressiste Le Média. À cet égard, les diatribes et les invectives de Quadruppani ne déparent pas du lot. Et cela à peine quelques jours voire quelques heures après l’annonce du décès de Navalny.
Pour tous ces procureurs improvisés, il ne fait pas de doute que Navalny a été, d’une manière ou d’une autre, la victime des agissements pervers du maléfique dirigeant russe. Ce qui pourrait a priori surprendre alors que celui-ci venait de remporter haut la main la palme du champion en matière de soft power à la suite d’un entretien remarqué avec un journaliste étasunien, qui avait rehaussé son prestige à l’échelle planétaire. Qui peu croire, dès lors, qu’il ait été assez imprudent sinon inconscient pour voir ce succès médiatique brutalement terni dans la foulée par l’assassinat programmé d’un opposant de pacotille [1]. Quitte à passer pour «complotiste», osons quand même poser une fois de plus, à propos de cette affaire encore non élucidée, la question sacrilège : à qui peut bien profiter le crime, si crime il y a ? L’imbécillité que Quadruppani et ses pareils prêtent généreusement aux gens qui ne partagent pas leurs supputattions ne relèverait-elle pas finalement d’une projection de leur part de leur propre crétinerie ?
Jean-Pierre Garnier
[1] NdE : Un opposant d'une parfaite innocuité, d'autant plus qu'il était soigneusement congelé dans un camp de travail au-delà du cercle polaire ...
Pour ceux qui n'ont pas trop suivi, un excellent résumé,
comme toujours par Brian Berletic
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