Il y a peu Annie Lacroix-Riz m'a transmis cet "appel à témoignage" émanant d'une de nos amies belges, Anne Morelli :
Anne Morelli, historienne belge d’origine italienne, professeure émérite à l’ULB (Université Libre de Bruxelles) prépare une mise à jour de son livre sur les principes élémentaires de propagande. Elle est à la recherche d'articles récents antichinois (si possible bien caricaturaux) qui appliquent les principes de propagande : “nous sommes des pacifistes, ce sont nos ennemis qui ont commencé, ils commettent des atrocités, ils utilisent des armes non autorisées, nous ne sommes pas animés par des intérêts économiques mais par des principes moraux, les artistes et intellectuels nous soutiennent, ceux qui contestent notre version sont stipendiés par l'ennemi etc.”. Tout apport venant de la presse "mainstream" est bienvenu. De préférence presse écrite puisque c'est pour un livre.
Si vous pensez pouvoir répondre à son appel, vous pouvez lui communiquer directement vos propositions
à quoi Annie s'est empressée de contribuer par ce commentaire :
Chère Anne,
Vous pourrez jeter un œil sur les références écrites fournies dans cette lettre de soutien à Maxime Vivas, affichée sur le site de la Librairie Tropiques : http://www.librairie-tropiques.fr/2021/09/du-bon-usage-de-la-sinophobie.html. Sur le site d’Initiative communiste (PRCF), vous trouverez également maintes références, dans la rubrique « International », et notamment http://www.initiative-communiste.fr/articles/international/rapport-de-lirsem-sur-la-chine-ca-se-passe-comme-ca-chez-maccarthy/
Je lis ces temps-ci, aux archives du ministère des Affaires étrangères, les dossiers diplomatiques sur McCarthy et le maccarthysme aux États-Unis, pratiques si révoltantes qu’elles rebutaient jusqu’à nos diplomates pourtant fort « occidentaux » (les « atlantistes » étaient alors plus prudents qu’aujourd’hui): on vit désormais en permanence dans la « chasse aux sorcières », qu’elle soit avouée ou pas, sachant que, depuis l’après-guerre, l’influence « culturelle » américaine n’a cessé d’y œuvrer, par tous les canaux possibles, voie universitaire incluse (qui ne fut pas la moindre).
Cette imprégnation, passée par un antisoviétisme et un anticommunisme obsédants, explique à l’évidence que « les intellectuels » ne réagissent plus au tapage sinophobe et que les accusations portées via Le Monde notamment contre Maxime Vivas, n’aient pas provoqué plus de réactions indignées que les élucubrations de Mme Vaissié contre les présumés stipendiés de Poutine, objet, en 2016, dans la grande presse, Le Monde, sans oublier Médiapart, d’une publicité comparable à celle offerte aux deux OTANiens déclarés à label Sciences po.
La mise à jour des Principes élémentaires de propagande de guerre applicables en cas de guerre chaude, froide ou tiède (1ère édition 2001, réédition Aden 2010), que les étudiants de séminaire de Paris 7 avaient tant appréciés, est particulièrement bienvenue.
Amitiés,
Annie
De mon côté je ne pouvais faire moins qu'apporter cette modeste contribution de libraire, adepte de BD "franco-belge" :
Il me semble assez évident aujourd'hui que la sinophobie est devenue si massive et en somme spontanée, dans le commentaire médiatique hexagonal, qu'on peut l'observer chez nos "médiateurs" de l'information comme une "arrière pensée", un "pré-pensé" proprement systémique . C'est à dire une composante idéologique obligée de ce système, un ingrédient désormais indispensable de tout commentaire "autorisé" de la "situation" politique générale, où la sinophobie nouvelle en arrive à supplanter la russophobie ambiante qui caractérisait jusqu'ici l'idéologie atlantiste de guerre froide.
Elle est donc manifeste et omniprésente. Ce qui fait que pour l'exemplifier on a seulement l'embarras du choix ... Il serait peut-être instructif et d'actualité d'analyser l'évolution de la forme et de l'intensité de cette "pensée de derrière la tête" acculturée par notre classe moyenne, au gré des circonstances économiques et sociales et de leurs conséquences politiques. Bref comprendre comment et pourquoi on en est arrivé à une version sinophobe de "Tintin au pays des soviets" comme "vérité" de la Chine, au demeurant... communiste.
Pour notre camarade belge les auteurs éminents de "l'école franco belge", celle que les amateurs les plus perspicaces ont désigné comme "la ligne claire", sont à cet égard d'excellents "révélateurs". Hergé naturellement , avec notamment le récit, parfaitement emblématique, du voyage de son courageux reporter au pays des soviets"...
Mais aussi, à la même époque d'avant-guerre et juste avant le déclenchement de la deuxième guerre mondiale :
"Le Lotus bleu" où les méchants sont bien moins les chinois que ... les japonais ( O tempora, o mores ! )
J'avais d'ailleurs rédigé naguère un article ( le plus lu du site Tropiques : "tintin en palestine" ) sur la manière très révélatrice dont Hergé a proprement illustré cette idéologie (de classe) moyenne et comment ses productions ont été successivement reformatées pour toujours "coller" à ces représentations idéologiques "mouvantes".
Mais on est là encore "avant guerre" ( 1929 pour "au pays des soviets", 1934-1935 pour "le lotus bleu") et la guerre froide n'a pas encore pris la forme "canonique" qu'elle conservera jusqu'à la chute de l'U.R.S.S.
Or, pour ce qui est l'objet d'étude de notre amie belge il y a à considérerun autre auteur majeur de cette ligne claire...
Non moins belge que Hergé, il a quant à lui produit une oeuvre "d'anticipation", en quelque sorte prémonitoire de ce qu'allait être les représentions "populaires" exploitées par l'idéologie "anti-totalitaire" clairement à l'oeuvre dans la sinophobie dont nous parlons.
Je veux parler d' Edgar P.Jacobs qui dès son premier grand succès nous livrait certains "codes" symboliques majeurs et pérennes ... de la guerre froide.
Cette dernière venait en effet de commencer au moment de la conception de l'album (initialement comme feuilleton publié dans le journal de tintin ), :
Tout y est déjà (ou presque) ... notamment la conversion métaphorique ("orientaliste") de la menace totalitaire ( qui a peut-être inspiré les "story tellers" de la CIA et de là les journalistes de notre presse de référence, comme du service public ) :
et bien sur...
comment la conjurer et la vaincre :
Les chinois, comme on peut s'y attendre dans ce genre de vision prémonitoire, ont "potentiellement" déporté ( et massacré) les Ouighours... et les Tibétains au passage :
On a même une première ébauche, étrangement réaliste du "modèle afghan" de la stratégie du chaos ( j'en ai conjecturé que Brzezinski devait avoir lu "le secret de l'Espadon") :
Et même , "Li tchi sur le gateau"...
on découvre un troublant résumé du profil psycho-politique de la "résilience" (se substituant déjà comme possible alternative à la résistance) .
Avec notamment cette épure de "praxis" résiliente, résumée en deux portraits et deux répliques :
Mais en cette lointaine préhistoire les justes se doivent encore de résister à la menace "rouge", faute d'un développement personnel suffisamment "éveillé".
Le lecteur est quand même soulagé, car au terme de quelques centaines de pages de convergence des luttes pour le sauvetage de l'Empire, le totalitarisme est vaincu.
Bref, tout est bien qui finit bien
(sauf évidemment pour les chinois ... et les tibétains).
Dans une étude sur "les principes élémentaires de la propagande" il faudrait évidemment expliquer le contexte idéologique "dominant" de l'époque. Car, c'est ce contexte qui explique pourquoi il n'était pas encore de "bon ton" d'évoquer explicitement Staline et ses soviétiques ; et donc "mutos logos", ils ne pouvaient être dénoncés que "métaphoriquement" comme "barbarie orientale" esthétisée .
En effet, à cette époque ( de première phase de guerre froide ) une bonne partie des populations visées ( en Belgique, en France, etc. ) ayant vécu la guerre, avaient encore le souvenir bien présent que c'était Staline et son "armée rouge" qui avaient gagné la guerre en Europe, les avaient débarrassés des fascistes et avaient libérés les déportés prisonniers des camps de concentration nazis.
En France le PC était alors le premier parti politique du pays, tant par le nombre d'adhérents que par son contingent d'électeurs "sympathisants".
L'anticommunisme "primaire" n'était donc pas "de bon ton" parmi nos élites ( pas plus que lors de la première parution de "Au pays des soviets", à l'aube de la crise de 1929 , d'où l'insuccès de ce premier album des aventures de Tintin).
Il est vrai qu'après guerre la petite bourgeoisie intellectuelle française était traversée de contradictions dont elle avait rudement éprouvé les déterminations historiques, comme en atteste cette "confession" du "meilleur d'entre eux", respecté voire admiré de toutes et tous, comme le modèle ( qu'il a inauguré) de l'intellectuel engagé; et qui se proclamait fièrement "marxiste".
C'est d'ailleurs aussi pourquoi, à la fin des années 60 c'est le concept "d'anti-totalitarisme" qui sera opportunément emprunté à Arendt et Brzezinski comme "faux nez" de cet anticommunisme, au motif que cette terminologie "primaire" avait "vieilli" (comme disait Littré) et du coup était jugée un peu "désuète".
Dans la fonction de repoussoir pour simplets, la figure mythique du "dirigeant totalitaire", sa barbarie orientale ( "eurasiatique" dirait Orwell ) , son "délire idéologique" et sa "folie meurtrière" sont du reste magnifiquement illustrés dans certaines très belles pages de l’album de Jacobs :
Du reste nos chinois eux-mêmes ressemblent fort aux immondes "japs" du Lotus Bleu, comme ici (et ci-dessus) un sosie de l'horrible Mitsuhirato ( voir plus haut) comme Goebbels du tyran sanguinaire "Badam Damdu".
Dans le rôle du "traitre blanc", on a déjà un "mittel européen", assez générique et d'origine imprécise (Olrik) qui va ensuite pas mal servir...
Mais c'est une autre histoire, comme disait Kipling.