1789 : Dette et fiscalité injuste.
Mirabeau déclare les Droits de l’Homme et du citoyen.
Il a rédigé, aidé il est vrai d’un grand nombre de collaborateurs, la plus grande part des vingt premiers articles de la Déclaration des Droits de l’Homme, tout en s’affirmant royaliste, partisan de la monarchie des Bourbons. Gabriel Honoré Riquetti comte de Mirabeau, député d’Aix, donnait le 1er septembre 1789 le plus élaboré et le mieux construit des discours qu’il eût à prononcer à l’Assemblée Nationale. Il y défendait l’utilité d’un veto royal qui pourrait sanctionner les décisions prises par le corps législatif. Il y soutenait que la sanction royale est un contrepoids nécessaire pour écarter des lois dangereuses ou hâtivement promulguées. Il a alors développé un argument, un bijou de rhétorique. Sans l’existence d’une possible ‘sanction royale’, le Roi deviendrait un séditieux. En disposant d’un droit de veto, il s’exposerait à la vindicte populaire s’il en abusait et donc était invité à la plus grande des vigilances pour son emploi tempéré.
Quelques semaines auparavant, lors de la séance du 9 août, il s’était élevé avec énergie contre la proposition d’un député de lever un impôt sur les créanciers de l’Etat. Il produisait un raisonnement juridico-constitutionnel qui lui permettait de récuser que la Nation n’ait la latitude de déroger à l’une de ses promesses. La souveraineté d’une nation ne lui permet de nouer et défaire ses lois que si celles-ci concernent les actes par lesquels elle agit sur elle-même. Elle ne peut rompre les contrats engagés avec une autre partie. ‘Les lois, émanation de la volonté générale cessent toutes les fois que la volonté qui leur donna l’être juge à propos de les détruire’. ‘Les autres sont de véritables contrats soumis aux mêmes règles, aux mêmes principes que les conventions entre particuliers.’ Et donc ces seraient réputés indestructibles selon le défenseur des intérêts des créanciers. Autrement la Dette est plus sacrée à la Nation que ses lois elles-mêmes.
Necker venait de présenter la veille un projet d’emprunt pour couvrir l’excédent des dépenses sur les recettes du Trésor, Mirabeau avait obtenu son approbation à l’unanimité. En somme, Mirabeau a plaidé pour que le revenu financier lié à la Dette souveraine soit défiscalisé. Or la France empruntait à des taux doubles de ceux du Royaume Uni (7,5% versus 3,8%) alors que cet Etat de 25 millions d’habitants avait de plus grosses garanties et que ramenée au PIB, la dette française en représentait 56% alors qu’elle s’élevait à 182% du PIB de la Grande Bretagne.
Dette exorbitante et fiscalité inefficace avaient précipité la Révolution française mais ces deux éléments restent toujours mal évaluées par les historiens. Le système fiscal reposait sur un syndicat de fermiers privilégiés et incontrôlés qui assurait la levée de l’impôt et en ponctionnait bien plus que 10%. Les guerres très dispendieuses du 17 et 18ième siècle, en particulier la Guerre de Sept ans, ont considérablement grevé le budget de la monarchie aux comptes, non ouverts au public, devenus de plus en plus déficitaires. La perte du premier empire colonial, américain et indien, en faveur de l’ennemi britannique avaient rétréci les ressources de l’impôt. Louis XVI avait consommé quatre Contrôleurs des Finances avant de rappeler Necker en 1788 alors que la banqueroute était imminente.
Au tout début, le talent oratoire de Mirabeau fit que son influence fut prépondérante à l’Assemblée. Les mois passant, elle s’amoindrissait, le Mirabeau ardent, audacieux, fougueux fit place à quelqu’un de craintif, assagi, prudent. Des hommes irréductibles, insensibles à la magie de son verbe, sentirent le recul de Mirabeau peut-être effrayé par le torrent dont il avait aidé à ouvrir l’écluse.
Le peuple qui l’admirait lui rendra un immense hommage et l’accompagnera en masse dans le funèbre cortège qui conduisit ses restes au Panthéon. Ce fut le premier homme à y être enterré en 1791. Quand furent découvertes les tractations qu’il menait avec Louis XVI révélant qu’il était un agent double, on l’en fit sortir en 1794 par la porte de derrière.
2018 : Dette et fiscalité aussi injustes.
Pas de Mirabeau en vue.
Mélenchon n’aura pas l’heur d’y être un jour honoré même si par endroit sa verve de tribun fait succomber des foules meurtries à leur gauche qui n’expriment en l’acclamant que leur désir de justice sociale
Sa double vocation est d’emblée perceptible. Flatter cette exigence populaire et complaire à l’ordre capitaliste.
Ses déclarations d’amitié appuyées à Tsipras illustrent largement l’idée qu’il se fait de l’indépendance et de la souveraineté nationale, parlant de cruauté des institutions européennes alors qu’elles ne font qu’appliquer ce pourquoi elles ont été mises en place. Il ne les pense qu’entravées par une Union européenne construite autour de l’industrie et de la monnaie allemandes. Ses propos confus (à dessein ?) sur une sortie de l’Europe signalent une incohérence soit pathétique quand l’élu autrefois socialiste et maintenant ‘insoumis’ reste cantonné dans son rôle d’éternel opposant soit dangereuse quand il prétend vouloir assurer des fonctions exécutives.
Mélenchon a rencontré Macron à Marseille , l’échange fut atrocement déférent et même tenu nuitamment, il n’avait rien de secret. Un Mélenchon bredouillant, souriant, affable qui n’avait rien d’un flambant de l’insoumission mais tout d’un piètre courtisan pris au dépourvu dans sa courtoisie pleine de révérence envers le petit marquis, Maître du moment.
Quémandait-il la Présidence du Conseil comme il l’avait fait avec l’homonculus qui présidait précédemment la France?
Mélenchon n’a jamais récusé les guerres menées par la France au sein de l’Otan qui ont déstabilisé des pays souverains. Dans son plaidoyer contre l’invasion des migrants venus faire baisser le coût salarial dans les pays d’accueil, il ne mentionne jamais les agressions militaires françaises en Libye, en Syrie, en Afghanistan et au Mali. Il ne met pas non plus en avant le pillage des pays africains réalisé de concert avec des chefs d’État placés sous protection militaire française comme au Gabon, en Côte d’Ivoire et au Tchad.
Notre époque n’est capable d’accoucher que de pâles copies de moments cruciaux qui forgeaient des héros, eussent-ils été champions de la duplicité. Mélenchon n’écrit pas les vingt premières propositions qui amplifieraient l’insurrection des Gilets Jaunes et accoucheraient d’un ordre démocratique nouveau. Il se contente d’une prétention à engranger des députés au sein de l’UE honnie des peuples, de quoi renflouer les caisses de son mouvement. En restant dans les travées balisées par la démocratie représentative de la cinquième République, il cultive l’illusion d’une révolution par les urnes. Les taxes qui ont mis le feu aux poudres répondent à l’obligation des restrictions budgétaires du Conseil de l’Europe. Elles participent à assurer le service de la Dette publique.
Pourtant, la période est à l’insurrection.
Elle est prête aux bouleversements qui ne peuvent se réaliser au sein d’un système ligoté par la puissance de l’Argent qui construit à travers les médias dominants les fictions qui le perpétuent. Quelle étrange analogie pourtant avec les années qui consacrèrent la chute de l’Ancien régime, l’écrasante Dette souveraine due à des capitalistes (déjà !) et les puissances prussiennes prêtes à intervenir pour sauver des Versaillais prêts à fuir pour Metz incluses!
Les Gilets Jaunes, eux, martèlent avec raison et sans discontinuer une nécessaire rupture : Leur ‘Macron démission’ n’est pas à l’ordre du jour des Insoumis d’opérette.
Badia Benjelloun
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https://fr.vikidia.org/wiki/Tentatives_de_réformes_sous_Louis_XVI
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https://www.agoravox.tv/tribune-libre/article/melenchon-refuse-clairement-de-77724
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https://www.youtube.com/watch?v=EkiJgkNZIrA&feature=youtu.be
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https://www.lepoint.fr/politique/melenchon-la-colere-d-un-frustre-25-03-2013-1645543_20.php
Postfaces ajoutées par le libraire
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"La révolution politique décompose la vie bourgeoise en ses éléments, sans révolutionner ces éléments eux-mêmes et les soumettre à la critique. Elle est à la société bourgeoise, au monde des besoins, du travail, des intérêts privés, du droit privé, comme à la base de son existence, comme à une hypothèse qui n'a pas besoin d'être fondée, donc, comme à sa base naturelle. Enfin, l'homme tel qu'il est, membre de la société bourgeoise, est considéré comme l'homme proprement dit, l'homme par opposition au citoyen, parce que c'est l'homme dans son existence immédiate, sensible et individuelle, tandis que l'homme politique n'est que l'homme abstrait, artificiel, l'homme en tant que personne allégorique, morale. L'homme véritable, on ne le reconnaît d'abord que sous la forme de l'individu égoïste, et l'homme réel sous la forme du citoyen abstrait.
Cette abstraction de l'homme politique, Rousseau nous la dépeint excellemment :
« Celui qui ose entreprendre d'instituer un peuple doit se sentir en état de changer, pour ainsi dire, la nature humaine, de transformer chaque individu, qui par lui-même est un tout parfait et solidaire en partie d'un plus grand tout, dont cet individu reçoive, en quelque sorte, sa vie et son être, de substituer une existence partielle et morale à l'existence physique et indépendante. Il faut qu'il ôte à l'homme ses forces propres pour lui en donner qui lui soient étrangères et dont il ne puisse faire usage sans le secours d'autrui. » (Contrat social, livre II.)
Toute émancipation n’est que la réduction, du monde humain, des rapports, à l'homme lui-même.
L'émancipation politique, c'est la réduction de l'homme d'une part au membre de la société bourgeoise, à l'individu égoïste et indépendant, et d'autre part au citoyen, à la personne morale.
L'émancipation humaine n'est réalisée que lorsque l'homme a reconnu et organisé ses forces propres comme forces sociales et ne sépare donc plus de lui la force sociale sous la forme de la force politique."
Karl MARX.
"Sur la Question juive "
Paris, 1843.
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"Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience."
"Pas plus qu'on ne juge un individu sur l'idée qu'il se fait de lui-même, on ne saurait juger une telle époque de bouleversement sur sa conscience de soi; il faut, au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle, par le conflit qui existe entre les forces productives sociales et les rapports de production.
Une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu'elle est assez large pour contenir, jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s'y substituent avant que les conditions d'existence matérielles de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société. C'est pourquoi l'humanité ne se pose jamais que des problèmes qu'elle peut résoudre, car, à y regarder de plus près, il se trouvera toujours, que le problème lui-même ne surgit que là où les conditions matérielles pour le résoudre existent déjà ou du moins sont en voie de devenir. "
Karl MARX.
Avant-propos à la Critique de l'économie politique
Londres, janvier 1859.