Les gilets jaunes et l'effet Cantillon
(plutôt que l'effet papillon)
Richard Cantillon et son "effet" ont été évoqués dernièrement dans une chronique économique, comme toujours amusante et stimulante, de Max Keiser et de son acolyte Stacy Herbert , sur RT International ( la chaine d'info youtube la plus suivie au monde) où l'on parle opportunément de cet effet Cantillon "aujourd'hui", mis en rapport avec ... nos gilets jaunes :
Cet effet Cantillon et la manière donc il est commis par les analystes hétérodoxes les plus "hype" de la finance numérique à expliquer les "Gilles et jaunes" aussi bien aux ex "occupy wallstreet" qu'aux mineurs de cryptomonnaies, sont une bonne opportunité d'aborder le mouvement social actuel en France, du point de vue global qui a replacé le pays des gaulois réfractaires au centre de l'attention mondialisée et suscite toutes sortes de commentaires sur les causes "occasionnelles" de la "jacquerie" qui fait aujourd'hui trembler les maquerons.
Croissance, monnaie et inflation.
Au-delà de la fascination qu'elle exerce sur les traders anglo-saxons, la théorie opportuniste de Cantillon atteste de la nature "dualiste" de l'inflation monétaire comme phénomène affectant le processus de production à partir de celui de circulation. Résumons : Le phénomène initialement mesuré comme croissance de la masse monétaire supposée "en circulation", se manifeste ensuite, sous certaines modalités et conditions, comme augmentation relative du prix de certaines marchandises, puis affecte en retour la production de ces mêmes marchandises, ce qui produit une augmentation générale ( toujours relative et en réalité purement statistique ) du prix (et non de la valeur) de "toutes" les marchandises affectant le "pouvoir d'achat" (c'est à dire, en termes marxistes, le "rapport de pouvoir" concret, au sein du rapport social de production). Bref, ce qu'on désigne alors doctement comme "inflation" . Selon Cantillon, l’inflation n’est pas la manifestation d'une augmentation générale des prix. Les prix augmentent au point d’entrée de la monnaie et à partir de là l’inflation se répand, sans pour autant concerner l'ensemble des valeurs dont les prix sont la mesure.
Notre Cantillon doit sa notoriété et sa vogue déjà ancienne auprès de pas mal d'économistes anglo-saxons au fait qu'il intuitionna une très bonne interprétation des conséquences du phénomène monétaire vécu en Europe à son époque. Il doit aussi son prestige à la manière dont il en tira habilement profit. Pour commencer, on peut juger de la réception actuelle de cet "effet" par cette courte synthèse de ses modernes adeptes autrichiens : http://ecole-autrichienne-d-economie.over-blog.com/2017/05/l-effet-cantillon-inflation-et-inegalites.html
On le situera mieux, dans son contexte historique, en lisant simplement la 4 ème de couve d'un des multiples ouvrages qui lui ont été consacrés ( déjà bien avant sa "redécouverte" par "l'école autrichienne", Graeber, Max Keiser , Stacy Herbert et Cie ) :
Mort suspecte à Londres d'un économiste milliardaire ; on aurait pu lire cela dans la presse anglaise, en 1734, à la nouvelle de la fin mystérieuse de l'Irlandais Richard Cantillon, peut-être assassiné par son cuisinier. Cantillon avait rencontré à Paris John Law, l'Ecossais à qui le Régent avait laissé les mains libres pour mener les vastes opérations financières qui devaient se solder par le premier grand krach financier français. Les deux hommes s'étaient appréciés, associés - et combattus. Il y eut un essai de colonisation de la Louisiane, puis les deux aventures qui amenèrent les deux plus grandes catastrophes financières que l'Europe ait alors connues : la Compagnie du Mississippi, dont le prix de l'action fit un bond de 160 à 10 000 livres avant de s'effondrer, puis la Bulle des Mers du Sud. S'ensuivirent la fuite de Cantillon et celle de Law. Avant Ricardo et Keynes, mais à une bien plus grande échelle, Cantillon fut le premier théoricien de l'économie à amasser une énorme fortune : probablement vingt millions de livres. Ce n'est qu'en 1755, un quart de siècle après sa mort, que fut publié son Essai sur la nature du commerce en général, qui eut une influence considérable sur le Tableau économique de François Quesnay comme sur La Richesse des nations d'Adam Smith. Cantillon, proposant un modèle macro-économique, pensait que la monnaie est neutre, alors que pour Law, elle exerce une influence directe sur l'emploi et la production, débat qui reste encore ouvert aujourd'hui.
On comprend alors pourquoi ce modèle a fait rêver depuis la corbeille de la bourse, des générations d'experts appointés et fondés de pouvoirs de Banques, de Rastignac à Varoufakis, en passant par Attali, Pigasse, Piketty et Cie. Mais, à partir de là, pour arriver à y retrouver nos gilets jaunes, il faut d'abord s'initier aux mécanismes objectifs de la "création concrète de monnaie concrète".
Ci-contre une petite video pédagogique, critiquable pour certaines lacunes théoriques et idéologiques, mais qui vulgarise assez clairement, en 5 minutes et 3 parties, les paradoxes ( autrement dit les contradictions ) de la question de la création monétaire telle qu'elle se pose "de nos jours" : |
L'inflation comme socio-pathologie monétaire
La question de l'inflation, déclinée depuis la problématique de la monnaie, nous est donc apparue comme corollaire à la popularité (circonstancielle) de l'effet Cantillon, et donc une bonne occasion de vulgarisation de la critique marxiste de l'économie politique, appliquée aux problèmes auxquels nous sommes confrontés par l'actualité sociale et économique la plus "brûlante".
Se demander "De quoi l’inflation est-elle le nom" permet d'aborder à la fois la problématique du monétarisme dans sa forme "moderne" (y compris celle de la FED et de la BCE) et celle de la circulation "réelle" des marchandises (donc celle du "pouvoir d’achat"), en mesurant la perspicacité et la validité de l'approche de Marx qui, rappelons le, identifie la monnaie comme forme paticulière de la forme marchandise.
"Chacun sait, lors même qu'il ne sait rien autre chose, que les marchandises possèdent une forme valeur particulière qui contraste de la manière la plus éclatante avec leurs formes naturelles diverses : la forme monnaie. Il s'agit maintenant de faire ce que l'économie bourgeoise n'a jamais essayé ; il s'agit de fournir la genèse de la forme monnaie, c'est-à-dire de développer l'expression de la valeur contenue dans le rapport de valeur des marchandises depuis son ébauche la plus simple et la moins apparente jusqu'à cette forme monnaie qui saute aux yeux de tout le monde. En même temps, sera résolue et disparaîtra l'énigme de la monnaie."
Partant de là, l'ontologie marxiste de la valeur nous renvoie à une des problématiques fondamentales de l'économie classique ou néo-classique, etc., y compris régulationnistes, keynesiens, post-keynesiens, pseudo-marxistes, et post-post-n'importe quoi. Une mise en examen de la forme monnaie, visant à élucider et "prévoir" la calamiteuse inflation, son mécanisme et ses effets. Tout un vaste champ de "mercantile studies", dont le précurseur théorique libéral, avant même Adam Smith en fut notre sémillant Cantillon.
Marx lecteur de Cantillon
Reprenons maintenant l'affaire du point de vue de Marx. Pour ses contemporains comme pour nos "économistes vulgaires" d'aujourd'hui, l'inflation "par nature" est notoirement supposée être un facteur d' "érosion du capital". Marx jugera donc assez logiquement que pour le clergé capitaliste ( les actionnaires, leurs commis et leurs fondés de pouvoir) elle est, à l'instar de l'irrévérence à l'égard de la dette, pire qu' "un péché contre le Saint-Esprit, jadis le seul impardonnable" (voir plus bas) d'où l'impératif catégorique au fondement de la BCE : conjurer ce mal absolu.
Marx avait lu, évidemment, Cantillon ( il avait lu à peu près tout ce qui avait été publié à son époque et était accessible à la British Library ) au fil de ses recherches en vue de la rédaction de sa critique de l'économie politique. Il s'y intéresse et le mentionne dans le cadre de la problématique (pour lui centrale) de la mesure de la valeur au temps ( plus précisément la "durée") de travail (ce qui évidemment nous ramène aux travaux de B.Friot) , voir cette note du livre 1 au chapitre XXI sur la question du salaire :
[12] « Le travail des compagnons artisans sera réglé à la journée ou à la pièce... Ces maîtres artisans savent à peu près combien d'ouvrage un compagnon artisan peut faire par jour dans chaque métier, et les payent souvent à proportion de l'ouvrage qu'ils font; ainsi, ces compagnons travaillent autant qu'ils peuvent, pour leur propre intérêt, sans autre inspection. » (Cantillon : Essai sur la nature du commerce en général. Amsterdam, éd. 1756, p. 185 et 202. La première édition parut en 1755.) Cantillon, chez qui Quesnay, Sir James Steuart et Adam Smith ont largement puisé, présente déjà ici le salaire aux pièces comme une forme simplement modifiée du salaire au temps.
Pour l'observateur néophyte des réalités socio-économiques "du XXIème siècle" qui se fonde sur l'approche libérale de la détermination inflationniste, il y a cependant quelque difficulté à comprendre le phénomène dans sa réalité pratique observable depuis Law et Cantillon. Déjà, comment expliquer, à partir de la vulgate des économistes bourgeois, que pendant toute la période des "trente glorieuses" du siècle précédent (jusqu'au milieu des années 70), l'économie française (et quelques autres) pouvait se développer plus ou moins "harmonieusement". On était alors dans un contexte où la croissance forte s'accompagnait d'une inflation élevée, d'un faible endettement de l’État et où le financement de cette croissance était principalement assuré par... l'inflation. C'est à dire la création par la banque de France de la monnaie supplémentaire qui s'avérait nécessaire et des non-moins nécessaires crédits d'investissement par les banques "privées" qui comme l'ensemble du système financier français (assurances comprises) étaient sous contrôle de l’État (et se refinançaient auprès la Banque centrale nationale qui leur ouvrait les lignes de crédit ad hoc) et dument inscrit à l'équilibre dans la logique consolidée des comptes nationaux.
Comble d'hérésie on était dans une économie encore largement planifiée, qui passerait donc pour quasiment soviétique voire totalitaire aux yeux de nos modernes. Autre signe de ces temps archaïques et irrationnels : le seul secteur bancaire non nationalisé par ce que très marginal ( jusqu'aux années 1980 ) était celui des banques d'affaire et patrimoine ( telles la Banque Rothschild ) dont l'activité principalement spéculative était alors insignifiante en regard de celle des grandes banques françaises, qui assuraient essentiellement le seul nécessaire financement de l'activité commerciale et industrielle et les fonctions régaliennes de gestion des comptabilités et de circulation de la monnaie, pour les individus privés comme pour les entreprises, et dont les plus importantes étaient du reste... mutualistes.
Ce réel si apparemment paradoxal vu depuis l'ère macronique, n'en était pas moins rationnel que le réel actuel. Et un des moyens de bien tirer profit de ce que tout ça comporte d'instructif aujourd'hui est de se départir des "modes de pensée" qui prétendent valider aujourd'hui la situation actuelle tout en rendant inintelligible celle qui l'a précédé. Il faut, nous dit Marx, analyser historiquement et contradictoirement toute cette "histoire" comme "contradictions animant un processus". Ainsi, à titre d'exemple circonstanciel, il ne faut pas amalgamer confusément : création de monnaie et crédit bancaire (voir la petite video ci-dessus) , comme pourtant le font tous, à commencer par les "atterrés" si bien nommés (à l'aune de leur effectivité théorique comme pratique). Tels les "alchimistes" et autre astrologues - que dénonçait Descartes pour leur chimérique prétention à tirer l'essence des choses de l'identification de leurs fugaces qualités sensibles – ils sont rien moins qu’ « atterrants » par leur conception substantielle ( et"commune") de la valeur. Leur confusion est complète dès qu'ils observent la valeur sociale qui circule "sous la forme marchandise" au gré de ses nécessités de production "existentielles" : l’argent, c’est à dire la monnaie, sa production, son usage, sa circulation.
Cela nous ramène à la controverse entre Friot et Lordon sur la question précisément... du Crédit. Car, bien qu'elle soit très lacunaire sur ce point ( et Friot le reconnait lui-même) la proposition de Bernard Friot - postulant de substituer comme mode de circulation initial de la production la "subvention" ( non remboursable) au "crédit" ( remboursable ) - est parfaitement homogène à la théorie de la Valeur de Marx ( ce qui rend cette proposition incompréhensible pour Lordon - comme aux autres "atterrés" à divers degrés).
Ainsi, pour en revenir à la dialectique définie autour la création de monnaie sous forme de crédit il faut d'abord se souvenir de ce Marx nous en disait dès le Livre 1, au chapitre de l’accumulation primitive :
De nos jours, la suprématie industrielle implique la suprématie commerciale, mais à l'époque manufacturière proprement dite, c'est la suprématie commerciale qui donne la suprématie industrielle. De là le rôle prépondérant que joua alors le régime colonial. Il fut « le dieu étranger » qui se place sur l'autel, à coté des vieilles idoles de l'Europe; un beau jour il pousse du coude ses camarades, et patatras ! voilà toutes les idoles à bas !
Le système du crédit public, c'est-à-dire des dettes publiques, dont Venise et Gênes avaient, au moyen âge, posé les premiers jalons, envahit l'Europe définitivement pendant l'époque manufacturière. Le régime colonial, avec son commerce maritime et ses guerres commerciales, lui servant de serre chaude, il s'installa d'abord en Hollande. La dette publique, en d'autres termes l'aliénation de l'État, qu'il soit despotique, constitutionnel ou républicain, marque de son empreinte l'ère capitaliste. La seule partie de la soi-disant richesse nationale qui entre réellement dans la possession collective des peuples modernes, c'est leur dette publique [7]. Il n'y a donc pas à s'étonner de la doctrine moderne que plus un peuple s'endette, plus il s'enrichit. Le crédit public, voilà le credo du capital. Aussi le manque de foi en la dette publique vient-il, dès l'incubation de celle-ci, prendre la place du péché contre le Saint-Esprit, jadis le seul impardonnables [8].
La dette publique opère comme un des agents les plus énergiques de l'accumulation primitive. Par un coup de baguette, elle dote l'argent improductif de la vertu reproductive et le convertit ainsi en capital, sans qu'il ait pour cela à subir les risques, les troubles inséparables de son emploi industriel et même de l'usure privée. Les créditeurs publics, à vrai dire, ne donnent rien, car leur principal, métamorphosé en effets publics d'un transfert facile, continue à fonctionner entre leurs mains comme autant de numéraire. Mais, à part la classe de rentiers oisifs ainsi créée, à part la fortune improvisée des financiers intermédiaires entre le gouvernement et la nation - de même que celle des traitants, marchands, manufacturiers particuliers, auxquels une bonne partie de tout emprunt rend le service d'un capital tombé du ciel - la dette publique a donné le branle aux sociétés par actions, au commerce de toute sorte de papiers négociables, aux opérations aléatoires, à l'agiotage, en somme, aux jeux de bourse et à la bancocratie moderne.
Ce passage du Capital semble avoir échappé à la plupart de nos économistes atterrés, notamment les plus "radicaux" d'entre eux. C'est ainsi qu'il y déjà bien des années nous l'avions apparemment fait découvrir à F.Lordon (et à son public), |
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Dans une circonstance de débat public où il était un peu embarrassé pour expliquer à un jeune adepte espagnol de son "économie des affects" comment "avec Deleuze, Nietzsche, Spinoza et Foucault on allait pouvoir répondre" aux légitimes revendications des exploités : |
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On aperçoit d'ailleurs B.Friot en arrière plan. Une présence qui n'avait pas échappé à F.Lordon qui en profita pour lui déléguer, au terme d'un vibrant hommage, la lourde charge de trouver la voie de sortie du Capitalisme ( F.Lordon lui-même se défaussant prudemment ) : |
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Pourtant, si on reprend ce même chapitre "oublié" du Capital, on constate que la suite du même passage du Capital nous renvoie précisément à l’époque ou Cantillon tira un grand profit de « l’effet » ( à défaut des "affects" ) auquel pas mal d’économistes plus ou moins reconnus ( jusques et y compris Graeber, Max et Stacy ) accolèrent son nom. Un résumé de ce qui permit donc à Cantillon de faire fortune et du contexte historique de cette « aube » du capitalisme "moderne", d’emblée financier (et non pas « productiviste ») :
Dès leur naissance les grandes banques, affublées de titres nationaux, n'étaient que des associations de spéculateurs privés s'établissant à côté des gouvernements et, grâce aux privilèges qu'ils en obtenaient, à même de leur prêter l'argent du public. Aussi l'accumulation de la dette publique n'a-t-elle pas de gradimètre plus infaillible que la hausse successive des actions de ces banques, dont le développement intégral date de la fondation de la Banque d'Angleterre, en 1694. Celle-ci commença par prêter tout son capital argent au gouvernement à un intérêt de 8 %%, en même temps elle était autorisée par le Parlement à battre monnaie du même capital en le prêtant de nouveau au public sous forme de billets qu'on lui permit de jeter en circulation, en escomptant avec eux des billets d'échange, en les avançant sur des marchandises et en les employant à l'achat de métaux précieux. Bientôt après, cette monnaie de crédit de sa propre fabrique devint l'argent avec lequel la Banque d'Angleterre effectua ses prêts à l'État et paya pour lui les intérêts de la dette publique. Elle donnait d'une main, non seulement pour recevoir davantage, mais, tout en recevant, elle restait créancière de la nation à perpétuité, jusqu'à concurrence du dernier liard donné. Peu à peu elle devint nécessairement le réceptacle des trésors métalliques du pays et le grand centre autour duquel gravita dès lors le crédit commercial. Dans le même temps qu'on cessait en Angleterre de brûler les sorcières, on commença à y pendre les falsificateurs de billets de banque.
Ce petit rappel de "l'effet Cantillon" tel qu'analysé et décrit dans le livre 1 du Capital, pour bien comprendre les judicieuses conceptions et les analyses perspicaces de Marx en la matière, et leur parfaite actualité et effectivité critique aujourd’hui et j’allais dire... aujourd'hui plus que jamais !
Les Gilets jaunes dans tout ça ...?
On peut, à bon droit, sourire de la candide proclamation de Max Keiser, à propos de ceux qui font la couverture de Forbes Magazine ( les plus grandes fortunes y sont annuellement répertoriées) :
"Est-ce que vous avez travaillé ne serait-ce que 5 minutes pour arriver à ça ? Non. Pas comme vous et moi, nous travaillons."
Car on peut non moins raisonnablement douter que les "gilles et jaunes" considèrent que le genre de travail que revendiquent Max et Stacy ait grand chose à voir avec la manière dont eux - les "classes laborieuses" disaient Marx et Engels - triment et produisent sans pourtant parvenir à en tirer la valeur nécessaire à satisfaire leurs besoins vitaux de consommation...
Mais si on considère du point de vue de l'heuristique marxiste, cette position idéologique "libérale-libertaire" (Cf. Michel Clouscard ), typique des couches sociales et du milieu où vivent et prospèrent des Max Keiser, David Graeber ou Stacy Herbert, force est de constater qu'elle illustre parfaitement le propos de Marx et Engels dans le premier Chapitre ( "Bourgeois et Prolétaires") du Manifeste du parti communiste :
La bourgeoisie vit dans un état de guerre perpétuel; d'abord contre l'aristocratie, puis contre ces fractions de la bourgeoisie même dont les intérêts entrent en conflit avec le progrès de l'industrie, et toujours, enfin, contre la bourgeoisie de tous les pays étrangers. [...]. Si bien que la bourgeoisie fournit aux prolétaires les éléments de sa propre éducation, c'est-à-dire des armes contre elle-même.
De plus, ainsi que nous venons de le voir, des fractions entières de la classe dominante sont, par le progrès de l'industrie, précipitées dans le prolétariat, ou sont menacées, tout au moins, dans leurs conditions d'existence. Elles aussi apportent au prolétariat une foule d'éléments d'éducation.
Enfin, au moment où la lutte des classes approche de l'heure décisive, le processus de décomposition de la classe dominante, de la vieille société tout entière, prend un caractère si violent et si âpre qu'une petite fraction de la classe dominante se détache de celle-ci et se rallie à la classe révolutionnaire, à la classe qui porte en elle l'avenir. De même que, jadis, une partie de la noblesse passa à la bourgeoisie, de nos jours une partie de la bourgeoisie passe au prolétariat, et, notamment, cette partie des idéologues bourgeois qui se sont haussés jusqu'à la compréhension théorique de l'ensemble du mouvement historique.
[...]Les classes moyennes, petits fabricants, détaillants, artisans, paysans, tous combattent la bourgeoisie parce qu'elle est une menace pour leur existence en tant que classes moyennes. Elles ne sont donc pas révolutionnaires, mais conservatrices; bien plus, elles sont réactionnaires : elles cherchent à faire tourner à l'envers la roue de l'histoire. Si elles sont révolutionnaires, c'est en considération de leur passage imminent au prolétariat : elles défendent alors leurs intérêts futurs et non leurs intérêts actuels; elles abandonnent leur propre point de vue pour se placer à celui du prolétariat.
On jugera de même avec une certaine condescendance amusée la conception naïvement "géographique" des rapports de classe, aujourd'hui très en vogue, que semble relayer Max Keiser.
Mais le point de vue de Max est bien moins candide que celui de nos sociologues radicaux, post-marxistes ou post-Bourdivins, au diapason des nouveaux lieux auto-revendiqués comme "communs". Les "nouveaux paradigmes" les plus tendance de l'idéologie dominante aujourd'hui, et désormais "et de droite et de gauche" puisqu'ils sont au carrefour des ponts aux ânes que fréquentent aussi bien les socio-géographes "populistes réacs" comme Christophe Guilluy que les Géographes pseudo-Marxistes dans la lignée de David Harvey, voire les insurrectionnels qui viennent comme Hazan, Coupat et autres dormeurs debout. Leur approche "commune" consiste en effet à s'imaginer que "la terre ne ment pas" et que la classe sociale est déterminée par le lieu où l'on vit, et le mode de vie qui en serait tributaire, plutôt que par la division du travail et le développement des forces productives qui vous ont fait naître ou arriver là.
Pontifex Marximus ( alias Viktor Yugov)