« L’étrange courbette de Jean-Luc Mélenchon au gouvernement en place»
Le massacre de Trèbes a donné à Jean-Luc Mélenchon l’occasion de prononcer une bien étrange intervention devant le premier ministre Édouard Philippe. Il a d’abord proclamé que « le lieutenant colonel Arnaud Beltrame a remis le monde humain en ordre », « réaffirmé la primauté de la compassion » et « assumé la primauté d’un altruisme absolu », discours auquel nous ne pouvons que souscrire, sur le fond, même si la forme nous a paru anormalement pompeuse. L’amateur de belles tournures Jean-Luc Mélenchon aurait pu prononcer les mêmes mots pour chacun des soldats du « régime de Bachar » qui se sont sacrifiés et sont morts – torturés, exécutés, décapités ou dépecés – pour défendre des civils innocents devenus la proie de malversations concertées dans les chancelleries de nos belles démocraties. On aurait aimé entendre s’exprimer sur ce sujet précis le chef de file de la France Insoumise. Mais il ne l’a pas fait.
Ensuite, Jean-Luc Mélenchon a affirmé sa conviction selon laquelle le gouvernement d’Édouard Philippe – ce gouvernement fait de bric (de droite recyclée) et de broc (« socialo-hollandien » débaptisé) – a fait tout son possible pour protéger les citoyens :
« Nous sommes certains que vous, vos ministres et tous les services de l’Etat avez, dans cette circonstance, fait tout ce qui était en votre pouvoir du mieux que vous pouviez ».
Je pose sincèrement la question : quel est l’intérêt d’affirmer une chose pareille ? Bien sûr que nous imaginons, avec Jean-Luc Mélenchon, que le gouvernement a tout fait pour protéger nos concitoyens. Est-il pour autant nécessaire de le dire ? A quoi peut servir ce gage d’estime donné à un gouvernement par ailleurs pas du tout estimable ?
Pour finir, Jean-Luc Mélenchon appelle à une “union autour de la mémoire de ceux qui sont morts et de l’exemple qu’ils nous donnent ». « Appelez-nous à un deuil national, a-t-il ajouté, et nous vous répondrons favorablement ». Autre évidence inutile, débitée avec emphase. Car, qui imaginerait un Jean-Luc Mélenchon refusant de porter le deuil après un tel attentat ? On peut se demander à quoi lui sert de mettre ainsi l’accent sur une réconciliation qui se limitera, de toutes manières, au seul deuil national. Les tragiques événements de Carcassonne et de Trèbes n’empêcheront pas Édouard Philippe de persévérer dans la casse sociale en application des grandes orientations de politiques économiques édictées par l’Union européenne.
Plutôt que de se lancer dans ce discours qui – qu’il le veuille ou non – l’a mis en valeur au yeux de la majorité, Jean-Luc Mélenchon n’aurait-il pas mieux fait de demander au premier ministre de se désolidariser des pétromonarchies du Golfe qui financent le terrorisme ? N’aurait-il pas dû exiger que la France cessât de soutenir les terroristes – rebaptisés rebelles par les cyniques et par les naïfs qui les suivent – et qui ont fait tant de mal en Syrie, tellement plus qu’en France où l’émotion est déjà à son comble ? N’aurait-il pas dû lui dire qu’il était de notre intérêt, de l’intérêt de chaque Français, de revenir à une diplomatie réaliste et de rouvrir de dialogue avec le « régime de Bachar » afin de contribuer, même modestement, à l’établissement d’une solution stable et équilibrée au Proche-Orient ?
Mais, de tout cela, rien.
Pour terminer et sans faire à qui que ce soit de procès d’intention, j’ajouterai que je me méfie des grandes déclarations habilement déclamées à la tribune ou à la chambre, que je me méfie des sincérités, vraies ou feintes, mises en scène par les professionnels de la palabre électorale, que je me méfie des moues de circonstance et des belles paroles extravasées par des lèvres entachées de secrets et de mensonges et que je me méfie, enfin et surtout, de cette courbette faite par le rebelle « cravate ou pas cravate » à la majorité en place.
Jean-Luc Mélenchon l’a dit : un acte terroriste a pour but de « subjuguer la raison ». Nous pensons qu’il en est de même des émotions mises en avant en politique. Elles auront toujours pour effet, qu’on le veuille ou non, de « subjuguer la raison » car les émotions ont ce pouvoir, c’est un fait neurologiquement établi. Or, face à la douleur et à la peur, face à la confusion entretenue dans les esprits par des médias et des politiques qui véhiculent la bien-pensance émotionnée des propagandes, il est urgent de continuer de penser et notamment de penser le vide qui sépare la nation – « qui nous dépasse » comme l’a souligné Jean-Michel Blanquer dans une missive envoyée aux enseignants – des manigances qui la dépassent, des manigances d’un monde politique hermétiquement clos, refermé sur ses intentions et sur ses décisions. Il est important que nous restions vigilants devant cette classe dirigeante arrogante qui ne veut rendre compte de rien et dont les erreurs – pour ne pas dire plus – restent généralement dissimulées ou impunies.
Aucune émotion, aussi vraie soit-elle, ne doit nous faire perdre cela de vue.
Bruno Adrie