Des nuits sans lendemain
(Journal du front de convergence des luttes)
Par notre envoyé spécial sur le front : Jean-Pierre Garnier
En guise de préambule du libraire éditeur
Comme il me rendait compte assez régulièrement de ses promenades vespérales du coté de la place de la République, initialement « en service commandé » puis en curieux « motivé », je fis observer à notre chroniqueur vedette qu'il était assurément un des observateurs les plus perspicaces et les mieux informés de ces « événements » (comme on disait il y a 50 ans ), pour les raisons que, sans plus différer le début de ce passionnant feuilleton, je lui laisse le soin de raconter.
Préface
Ce soir encore, je devrai aller en mission commandée faire le guignol dans un cinéma de Montrouge. Mais ce sera la dernière fois.
En prime, j’ai rencard Place de la République à 15h avec Jean-Baptiste Eyraud, fondateur et animateur du DAL, qui vient de se faire griller sans être prévenu par une mystérieuse association qui organise à la même heure une assemblée-débat sur les luttes urbaines en cours et à venir . Si j’étais complotiste, j’y verrai encore la main des Soros boys ! Mais ce sera une occasion pour moi de voir de visu autrement que sur des videos où en est le « renversement » pompeusement annoncé par Lord’On. Sans illusion aucune.
J'ai, en effe
t, toujours été sceptique, comme tu le sais, sur la « deuxième phase du plan de campagne » (pour quelle guerre de classe ?) de Ruffin : l'opération « Nuit debout ». Elle s'appelait initialement « Nuit rouge » sur le premier tract. Appellation parfaitement ridicule. Comme si la révolution était à l’ordre du jour (ou de la nuit, en l’occurrence) ! À mes yeux (et mes oreilles), le meeting où l'idée fut lancé, à la Bourse du travail, avait montré qu'elle serait placée sous le signe du confusionnisme le plus complet en l'absence de toute perspective anticapitaliste, fût-elle lointaine. Et ce ne furent pas les envolées aussi guerrières que grotesques de Frédéric Lordon devant un public étudiant largement dépolitisé, la veille du grand jour... ou de la grande nuit, à la fac de Tolbiac, qui allaient me faire revenir sur cette impression première.Hollande, dans sa dernière allocution, a finalement assez bien résumé ce que l’on pensait en haut lieu des « Nuits debout », confirmant par là ton appréciation sur la « parfaite innocuité de cette gesticulation printanière ». Le grand Timonier mou a, en effet, jugé « légitime que la jeunesse veuille s’exprimer ». Et ajouté : « Je ne vais pas me plaindre qu’une partie de la jeunesse veuille inventer le monde de demain. » Pour couronner le tout, il a presque donné leur feuille de route aux adeptes mélanchoniens de la « révolution citoyenne » : « C’est bien […] que le débat s’organise et que l’on veuille aussi faire de la politique en dehors des partis, en dehors des institutions, en dehors de la représentation, même si, à la fin, le meilleur des systèmes, c’est le suffrage universel. »
Il ne restera plus qu’à mobiliser les troupes pour réclamer une constituante ouvrant la voie à l’avènement d’une VIe République qui ne différera en rien des précédentes par la place réservée au peuple contrairement à ce que promettait une affiche mélanchonienne lors d’une précédente présidentielle : « Place au peuple ! » (on n’y voyait d’ailleurs que la gueule de Merluchon).
De fait, ledit peuple, si l’on s’en tient à une définition sociologique, brille globalement par son absence sur la Place de la République : outre les activistes et militants qui organisent et contrôlent le show, des étudiants, des lycéens, des enseignants et des chercheurs, en activité ou retraités, des travailleurs sociaux, des intermittents du spectacle et autres créateurs ou créatifs précarisés... Mais pas ou très peu d’ouvriers ou d’employés. Les medias dominants se chargeant au fil des nuits de relayer l’Événement, au sens de plus en plus « événementiel », comme disent les « communicants », et non politique du terme, il est logique que des «pipoles» viennent à leur tour se mêler aux badauds. À leurs risques et périls parfois.
Finkielkraut, par exemple, venu traîner ses guêtres hier à Nuit Debout. Il s’en est fait chasser sous les injures raccompagné par le SO des « insurrectionnels »nocturnes. À l’un d’eux, qui lui avait demandé s'il était venu en soutien, il avait répondu « Je suis simplement venu me faire un avis, mais c'était prévisible que j'allais tomber sur des demeurés... ». Pas si demeurés que ça. En voie de récupération par les politiciens de la « gôche-de-gôche, vus d’un bon œil par les journaleux mainstream, instrumentalisés et neutralisés par les agents stipendiés des « révolutions de couleur » d’inspiration sorosienne, ils ne pouvaient, au risque de se discréditer, franchir la limite consistant à tolérer la présence de réactionnaires notoires.
Autre visiteur du soir ou plutôt de l’après-midi, mais fort bien accueilli, comme il fallait s’y attendre, l’ex-ministre grec des finances Yanis Varoufakis, dont les liens avec l’establishment financier étasunien et les organisations soi-disant « non gouvernementales » — en fait para-gouvernementales — contrôlées directement ou indirectement par la « Open Society » de George Soros ne sont un secret que pour les nunuches ahuris de la Place de la République. « Je me rendrai sans aucun doute sur la place de la République, avait-il assuré à France Info. J'ai participé à des manifestations à Athènes, à Madrid, à New York avec Occupy Wall Street. Je crois que ce type d'action politique constitue une grande source d'espoir. La France a une tradition, c'est d'être le lieu où démarrent de nombreux mouvements qui changent le monde, ou tout au moins l'Europe. »
Une déclaration qui n’engageait que lui, apparemment oublieux des piètres résultats sur lesquels avaient débouché ces manifestations de rues, mais qui ne pouvait que faire plaisir à des gens qui, fonctionnant plus à l’autosuggestion qu’à l’autogestion, devaient continuer à se persuader qu’ils allaient de l’avant à défaut de savoir dans quelle direction.
Quoiqu’il en soit, Il s’agissait pour Varoufakis de se refaire une virginité « de gauche » en rappelant à son auditoire «républicain» que, lorsque l’ambassadeur américain était venu lui rendre visite dans son « bureau qui donnait sur la place Syntagma » pour le « convaincre d’accepter les conditions de la “troïka” », sa « réponse » avait été « ma place naturelle n’est pas dans ce bureau, elle sur la place à manifester contre ce ministère ». Varoufakis omettait de signaler que Siriza avait tout fait durant la campagne électorale pour mettre un terme aux mobilisations de masse dans les rues et canaliser l’énergie des manifestants dans la voie électorale. Quand Tsipras et son équipe de contestataires diplômés arrivèrent au pouvoir, tout danger d’un débordement de la colère populaire pour les classes dominantes en Grèce et dans le reste de l’Europe avait déjà été écarté. On peut d’ailleurs se demander si Varoufakis était seulement venu à Paris pour faire acte de présence sur la Place de la République. Peut-être était-il venu aussi donner en passant quelques conseils à Mélanchon et ses « économistes atterrés » pour la rédaction d’un quelconque « plan B » destiné à rehausser la stature du candidat autoproclamé à la prochaine présidentielle.
La suite au prochain numéro.
Jp