Les organisateurs de la Conférence de Genève du 21 mars 2016 (le HRA : Agence pour les Droits de l'Homme - auprès du Conseil économique et social des Nations Unies à Genève) nous informent de la démarche désormais engagée de constitution d'une Commission d'Enquête Internationale sur les crimes de guerre et assassinats politiques perpétrés par les fascistes ukrainiens en 2014, et nous communiquent la vidéo :
Nous jugeons donc utile de difuser, ci-dessous, le texte de la pétition émise par
Le Conseil des Mères du 2 Mai 2014
Association Publique des Victimes de la Violence à Odessa
qui va soutenir cette démarche.
APPEL POUR UNE ENQUÊTE INDÉPENDANTE ET IMPARTIALE DES NATIONS UNIES
Odessa, 2 mai 2014 :
un massacre occulté
« Qui ne connaît la vérité n'est qu'un imbécile.
Mais qui, la connaissant, la nomme mensonge,
celui-là est un criminel ! »
Bertolt Brecht
(La vie de Galilée)
Qui s’en souvient en France ? Encerclés par une foule en furie, plusieurs dizaines de membres et partisans du mouvement anti-maïdan réfugiés à la maison des Syndicats, à Odessa le 2 mai 2014, sont brûlés vifs ou asphyxiés, d’autres achevés à coups de barres de fer après s’être jetés par les fenêtres pour échapper à l’incendie. Qualifiés de « prorusses », ils avaient fait l’objet d’une opération de « nettoyage » lancée à l’instigation de groupes néo-nazis qui s’étaient déjà illustrés à Kiev quelques semaines auparavant dans la pseudo-révolution orchestrée dans la capitale pour renverser par la force le gouvernement démocratiquement élu. Or, sans ces groupes, et leur encadrement comme fer de lance des manifestations, il n’y aurait jamais eu de « révolution » sur la place Maidan. Quant à Odessa, non seulement des activistes ukrainiens d’obédience fasciste ont bel et bien constitué les troupes de choc armées, cuirassées et casqués qui ont assailli puis envahi la Maison des Syndicats pour y « liquider la racaille pro-russe », comme en témoignent de nombreuses vidéos filmées par des gens n’ayant rien à voir avec le FSB1, mais le déroulement de cette opération a pu s’effectuer sans que les autorités locales n’interviennent pour y mettre fin, la police, présente sur les lieux faisant preuve d’une remarquable passivité, tandis que les pompiers dont la caserne trouvait à proximité, battaient le record de lenteur pour se rendre sur place.
Sans doute, le gouvernement de Kiev s’est-il vu obligé de procéder à quelques limogeages de responsables locaux, à commencer par le gouverneur de la région d’Odessa, sous peine de perdre aux yeux de l’étranger une légitimité démocratique déjà douteuse. Mais les coupables directs ou indirects du carnage semblent toujours bénéficier, bientôt deux ans après l’événement, d’une totale impunité. Bien plus, certains d’entre eux continuent de patrouiller et parader dans les rues d’Odessa, à pied ou en véhicules, pour poursuive la chasse aux « prorusses » et menacer les habitants de la ville qui trouveraient à y redire, et ce jusque dans les tribunaux. Résultat : les parents et amis des victimes en sont encore à attendre que lumière soit faite sur les conditions de leur disparition, terme à prendre dans les deux acceptions du terme, puisque les cadavres de certaines d’entre elles n’ont pas encore été retrouvés.
C’est afin que justice soit rendue qu’une Association des mères des personnes assassinées s’est constituée pour qu’une enquête sérieuse soit réalisée sur ce qui s’est passé à Odessa le 2 mai 2014. Une justice qui, jusqu’ici, semble malheureusement encore relever de la mission impossible. En ce domaine en effet, c’est la parodie qui prédomine. Seul un activiste « pro-ukrainien » c’est-à-dire antirusse et vraisemblablement sympathisant sinon militant de Pravy Sektpr ou Svoboda, a été poursuivi, alors que les assiégeants et les assaillants de la Maison des Syndicats se comptaient par dizaines. À l’inverse, mais de manière complémentaire, 20 manifestants catalogués comme « pro-russes » étaient mis en examen. « Enquête judicaire opaque » titrait un journaliste du Monde, journal pourtant acquis aux positions pro-européennes et néo-libérales des nouveaux dirigeants ukrainiens2. Effectivement, cette enquête traînait au point d’inciter un certain nombre de personnalités à former un « groupe du 2-mai » qui mènerait ses propres investigations. Néanmoins, bien que composé en principe de personnes de « toutes les opinions politiques » et que son travail ait été « considéré comme objectif et sérieux », selon le même journaliste qui ne précise d’ailleurs pas à qui ledit travail devait cette considération, il ne semble pas que l’éclaircissement des faits survenus le 2 mai 2014 auquel il a abouti ait donné pleine satisfaction.
Il faut dire que la version des faits concoctée par ce « groupe du 2 mai » concordait un peu trop, n’en déplaise à l’envoyé du Monde, avec les attentes de tous ceux qui, à Odessa comme à Kiev, souhaitent que l’affaire honteuse d’un meurtre de masse perpétré par des ultra-nationalistes dans un pays européen dont on se félicite à l’étranger qu’il soit en passe de rejoindre la grande famille des « démocraties », soit au plus vite étouffée, enterrée et oubliée. Ainsi le coup d’envoi des affrontements était-il imputé aux activistes « prorusses » qui auraient attaqué une manifestation pacifique pro-ukrainienne, c’est-à-dire nationaliste, spontanément organisée par les supporteurs de deux équipes de football à l’issue un match. Les deux premiers morts de la journée proviendraient de leurs rangs, atteints par les balles de tireurs « russophiles » sans que cela soit encore prouvé. Un scénario qui n’était pas sans rappeler celui fabriqué après coup dans la foulée de la « révolution de Maïdan » avant que l’on ne découvre qu’en réalité, les snipers qui avaient tiré sur la police aussi bien que sur les manifestants le 20 février 2014 faisaient partie d’un « groupe clandestin » où « se trouvaient impliqués, directement ou indirectement, l’extrême-droite (Pravy Sektor, Svoboda) et un parti oligarchique pro-occidental (Patrie) », avec pour objectif, grâce à un « meurtre de masse perpétré sous une fausse bannière », de « l’emporter dans le conflit assymétrique de Maïdan et prendre le pouvoir en urkraine »3.
La suite du récit ne dépare pas le début. Les « deux camps » auraient ensuite « échangé des cocktails Molotov, provoquant l’incendie ravageur du fait de la quantité de combustible stockée par les anti-Maïdan dans le bâtiment
Enfin, les commandos munis de barres ou de battes cernant l’immeuble en flammes auraient « dans leur grande majorité essayé de sauver les personnes pris au piège » au lieu de les achever comme en attestent pourtant les scènes filmées de multiples videos.Que le « journal de référence » que Le Monde est censé être — de révérence à l’égard des puissants, en fait — se fasse le relais des mensonges et des contre-vérités destinés à dissimuler ou travestir une réalité aussi gênante pour les nouveaux dirigeants ukrainiens que pour leurs alliés euro-atlantistes, n’a rien qui doive surprendre. La présentation unilatérale pour ne pas dire caricaturale qui en est faite, de même que celle de la pseudo-révolution de Maïdan, offre un bon exemple de ce manichéisme primaire auquel cède le complexe médiatico-politico-intellectuel de notre pays pour embrigader une opinion publique qu’ils formatent plutôt qu’ils ne la forment. On a là une fable typique de ce que peut produire ou, dans ce cas, reproduire une presse française mainstream en phase avec la réécriture de l’histoire en temps réel par les autorités officielles ukrainienne ; et ce afin de relativiser l’importance des évènements funestes qui ont endeuillé une partie de la population d’Odessa, en falsifier la signification et nier leur propre implication en plus de celle, avérée, de leurs supplétifs d’extrême-droite.
Si ce conte à dormir debout avait le mérite, comme s’en félicite notre journaliste mondain, d’écarter l’« hypothèse avancée par les médias russes du massacre délibéré »5, il ne pouvait toutefois convaincre que les gens déjà convaincus. Ce qui n’était apparemment pas le cas d’un groupe de membres du Parlement européen qui, préoccupés par l’absence de données fiables relatives au massacre, demanderont en mai 2015 au Premier ministre Arseni Iatseniouk de « tout mettre en œuvre pour rendre publics les résultats des enquêtes sur les meurtres commis sur le Maïdan et les meurtres de masse perpétrés à Odessa ». Peine perdue. Dans un rapport très critique publié en octobre 2015, les experts européens d’un comité consultatif international créé à l’initiative du Secrétaire général du Conseil de l’Europe Thorbjorn Jagland, jugeaient que l’enquête menée en Ukraine, censée établir les circonstances exactes du massacre et évaluer le travail des services municipaux d’urgence le jour des troubles, « ne répondait pas aux exigences de la Convention européenne des droits de l’homme ». Bien plus, outre qu’elle ne pouvait pas « être qualifiée d’indépendante et efficace », ils estimaient que le « contexte général » qui régnait en Ukraine empêchait les enquêteurs de « réaliser de sérieux progrès dans l’élucidation de la tragédie d’Odessa ».
On comprend dès lors que les mères des victimes du carnage n’aient plus d’autre recours aujourd’hui que de s’adresser à l’ONU pour qu’il ne demeure pas impuni. D’où leur requête auprès d’une instance compétente de cet organisme en matière de protection des droits humains, mandatée pour les cas de tortures, exécutions sommaires, disparitions forcées et détentions arbitraires, pour qu’une commission internationale réellement indépendante, impartiale et objective puisse faire enfin éclater la vérité sur ce qui s’est passé à Odessa le 2 mai 2014 et que les responsables soient punis.
C’est la raison pour laquelle, une conférence suivie d’un débat s’est tenue dans les locaux de l’ONU à Genève le 21 mars 2015 au Palais des Nations, en marge des travaux du Conseil des Droits de l’Homme, avec la participations de M. Xavier Moreau, co-fondateur du site Stratpol, spécialiste des questions géopolitique, de Mme Victoria Malchulko, fondatrice et présidente de l’Association des mères du 2 Mai, témoin direct des évènements survenus ce jour-là et de Mme Elena Radzikhovskaiya, mère d’André Brazhevsky, tué lors du siège et de l’incendie de la Maison des Syndicats, toutes deux enseignantes, l’une à la retraite, l’autre en activité, et habitantes d’Odessa. Le but de cette conférence était d’une part, de retracer l’évolution de l’Ukraine depuis la «révolution» de la Place Maïdan, d’exposer l’impact sur le pays du changement de régime qui s’en est suivi, de replacer la tuerie d’Odessa dans ce contexte socio-historique, tant national qu’international, et de pointer le rôle des différents acteurs de ce drame. D’autre part, il s’agissait de faire connaître à partir de témoignages, non seulement le déroulement concret des évènements mais aussi les multiples obstacles rencontrés pour que la lumière soit faite sur les responsabilités directes et indirectes des autorités de la ville dans cette violence sans précédent à Odessa.
Il faut croire, cependant, que cette recherche de la vérité ne plaisait pas à tout le monde et encore moins l’idée de créer une commission d’enquête libérée de la pression des pouvoirs en place en Ukraine. Après la tentative d’un certain Mykola Cusin, président d’un Comité de Défense de la Démocratie en Ukraine, branche européenne du Comité des Ukrainiens d’Amérique du Nord, pour faire annuler la conférence, sous prétexte qu’elle offrirait une tribune à l’anti-américanimsme, l’antisémitisme, la russolâtrie et l’extrême droite, trois agents provocateurs dont une journaliste urkrainienne mêlée de très près aux évènements du 2 mai, sont venus jouer les agents d’ambiance à leur manière : interruptions du conférencier accompagnées d’injures à son égard, prises de paroles bruyantes sans y être conviés, discours haineux interminables… L’intention de ces perturbateurs était évidente : saboter la conférence et surtout faire capoter la projet de mise en place d’une commission d’enquête internationale. Il a fallu que je leur explique ainsi qu’à l’assistance que nous étions dans une assemblée de gens de pays civilisés et non dans la jungle qu’était devenue l’Ukraine depuis l’arrivée au pouvoir de leurs commanditaires aidés de leurs acolytes néo-nazis pour les obliger à se taire, tâche rendue aisée par les applaudissements approbateurs de la plupart des gens présents.
Le calme revenu, Mme Elena Radzikhovskaiya a pu exprimer, au nom des mères qui comme elle, ont été privées de leurs fils par ce qu’il faut bien appeler un assassinat collectif, le souhait qu’un maximum de personnes des autres pays se solidarisent avec elles pour que les coupables, quels qu’ils soient, soient identifiés, poursuivis, jugés et châtiés.
Que celles et ceux qui se refusent à rejoindre la cohorte des imbéciles ou des criminels, au sens où Bertolt Brecht les désignait, signent cet appel. Les mères des Ukrainiens assassinés le 2 mai 2014 leur en sauront gré.
Jean-Pierre Garnier
1 FSB : Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie Service secret chargé des affaires de sécurité intérieure. Principal successeur du KGB soviétique dissous en novembre 1991.
2 Benoît Vitkine, « Odessa, un an après le drame du 2 mai », Le Monde, 02.05.2015