Dans son souci permanent d'assumer son rôle de médiation culturelle et d'éducation populaire, la librairie Tropiques vient de s’associer les services d'un des plus éminents spécialistes (traducteur et critique) d'une pratique linguistique qui voit aujourd'hui se multiplier ses adeptes et locuteurs, parmi la classe médiatique et dirigeante de notre beau pays.
Nous sommes donc très heureux et fiers de pouvoir vous présenter, à l'occasion de cette rentrée littéraire, la première recension critique d'une des remarquables fleurs de rhétorique que l'actualité politique, littéraire et journalistique nous livre réguièrement et que Jean-Pierre Garnier, nous permettra désormais de décrypter dans le cadre de notre :
Atelier de novlangue française
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L’un des essayistes les plus infatués et les plus stupides d’un pays qui en compte, il est vrai, une multitude, Jean-Philippe Martin alias Domecq pour la scène bobo-médiatique, vient de pondre dans le journal de révérence (Le Monde, 2 septembre 2015) un papier dont le seul mérite est de résumer le fond de ce qui tient lieu de pensée parmi les éditorialistes de la presse de marché. Le titre de l’article en annonce déjà le contenu « Cette obscure envie de perdre de la gauche ». Envie de perdre dont témoigneraient les divisions actuelles au sein au sein du PS et des Verts, partis que l’auteur ne saurait situer autrement que « à gauche », alors que leur cours droitier saute depuis belle lurette aux yeux de la plupart de nos concitoyens, si l’on excepte la corporation des hommes de plume ou de clavier (sans oublier les femmes) qui ont pour fonction de les informer c’est-à-dire de les enfumer.
Selon notre chroniqueur, ce qui divise « la gauche » serait son irrépressible désir de « faire mieux » au lieu de se contenter du « bien », le premier étant comme chacun sait, l’ennemi du second. Or, à « guetter la “ compromission ” » de ses représentant, lorsqu’ils sont au pouvoir ou candidatent pour y accéder, « en chaque compromis qu’implique forcément l’art de gouverner », l’électorat de gauche les pousserait à surenchérir et rivaliser dans la recherche de « ce qu’il faudrait faire plutôt que de faire en fonction du contexte et de ce que le peuple peut et veut ». D’où une « multiplication des mieux » dans les programmes, avec pour double effet de « promettre plus qu’on ne tiendra » et un éparpillement des votes au profit de la droite. Ce qui expliquerait que « la gauche sentant venir la défaite sans idéal » en soit réduite à ressortir une fois de plus « ses versions anciennes du mieux, autrement dit tous les conservatismes de gauche ». On aura compris que pour J-P « Domecq » comme pour ses pareils ce conservatisme rime avec socialisme ou communisme.
Passons sur le sort piteux réservé dans notre « démocratie » au pouvoir et au vouloir dudit « peuple » que notre analyste semble distinguer de l’électorat de gauche comme s’il souhaitait lui aussi, comme Brecht l’avait ironiquement souligné, le « dissoudre » quand il lui arrive de mal voter. Néanmoins, contrairement à ce que pouvait laisser penser la première partie de son propos, J-P « Domecq » ne nie pas la nécessité pour la gauche d’un « grand dessein, New Deal, horizon d’avenir nettement formulé ». Mais à condition de « fédérer les forces et les espoirs autres qu’économiques » au lieu de s’en prendre à Emmanuel Macron « du seul fait qu’il est banquier » comme le font « des militants et les électeurs qui pourtant déposent leurs salaires à la banque », ou aux actionnaires, oubliant que « l’entreprise étant de tous ceux qui y travaillent, l’encourager en tant que bien commun est certainement progressiste ». Dès lors, si « l’audace propositionnelle » est plus que jamais de mise, elle devra se porter ailleurs. Où donc ?
On aura une idée de cette audace avec la première piste fournie par J-P « Domecq », laquelle devrait dissuader à elle seule de s’intéresser aux suivantes. Recommandant impérativement de « n’avoir pas peur des mots de la perspective », c’est, comme il fallait s’y attende, d’abord l’Europe qui lui vient à l’esprit pour aimanter tous les désirs et mobiliser les énergies. Comment ? « En soulignant que c’est une civilisation sociale — preuve en est les migrations qu’elle suscite, comme autrefois le rêve américain ». Peu importe à ce typique spécimen d’une intelligentsia vassalisée que ces migrations soient le fait de populations fuyant la barbarie qui s’est installée dans des pays où non seulement l’État mais aussi la société ont été détruites à la suite des interventions militaires « occidentales ». Et que la France, aux côtés de l’Angleterre et des États-Unis, aient joué un rôle actif dans cette dévastation. J-P « Domecq » nous livre ainsi un échantillon de plus cette intrépidité prospective qui confirme l’état de dégradation avancée atteint par le débat politique dans notre pays.
Jean-Pierre Garnier
7 septembre 2015