À la suite de notre article consacré à la "Guerre des Feux", notre éminent chroniqueur Jean-Pierre Garnier, a été très amusé de découvrir les dernières innovations créatives que la Mairie vient de proposer aux non-voyants, handicapés, enfants et autres innocentes populations piétonnes, du village Pernety-Plaisance.
Il a ainsi découvert que, sans doute pour les divertir des noires perspectives qu'annoncent l'occultation des feux de croisement, Carine Petit et ses services ont déniché des attractions destinées à "bluffer" les riverains de ... la Rue Didot. Des voisins proches ( la rue Didot est une rue parallèle de la rue Raymond Losserand ) dont l'enthousiasme se comprend d'autant plus facilement qu'il est occasionné par le soulagement d'avoir eux-mêmes échappé à " l'expérience" qui a suscité une protestation générale des riverains de la Rue Raymond Losserand. Une expérience qui était initialement planifiée ... Rue Didot.
C'est encore un bel exemple de ce que nos élus parisiens appellent la "Démocratie participative" : Paris se prépare aux jeux olympiques , donc l'essentiel... c'est déjà de participer !
Pourtant, comme disent volontiers les agents zélés de la classe dirigeante : "C'est plus compliqué que ça". Et, en réalité, Carine Petit est une petite cachottière... car, comme le secteur de la Rue Didot comporte une assez nombreuse clientèle de "sympathisants" et d'obligés de la Mairie (qu'elle a déjà vainement tenté d'impliquer dans de mirobolants projets urbains ) , elle avait discrètement annoncé aux happy few parmi ses soutiens locaux de la Rue Didot qu'ils allaient prochainement avoir le privilège de servir de cobayes humains pour la bonne cause municipale de l'Hôtel de Ville, dont Mme Petit demeure l'obligée en même temps que Maire de l'arrondissement qui a permis à Anne Hidalgo de l'emporter sur sa jumelle blonde des beaux quartiers.
Naturellement les riverains de la Rue Didot s'empressèrent de décliner le nouvel honneur calamiteux qui leur était ainsi fait ! Le prix à payer n'étant que de s'engager à soutenir de leurs dithyrambes les charlataneries de leurs édiles, ils le jugèrent d'autant plus acceptable que les subventions nourricières sont dans le "package". C'est pourquoi les mêmes zélotes qui manifestent aujourd'hui leur enthousiasme ( voir l'article du parisien ) à l'annonce des fascinants trompe-l’œil "3D" dont la Mairie envisage de décorer la chaussée de la Rue Losserand, sont ceux qui quelques temps avant avaient prié Mme La Maire d'aller faire ses "expériences" ... ailleurs ; ils lui devaient bien ça...
Ailleurs ?
Eh bien ... Rue Raymond Losserand par exemple, c'est tout près !
Et ceux-là, on va rien leur dire ... puisqu'on sait déjà "qu'avec eux (aussi) ce sera NON".
Le problème...
auquel nos brillants élus "en capacité" et "en responsabilité" n'avaient pas "pensé", c'est que le périmètre "ciblé" est autrement plus réfractaire que celui qui avait été initialement désigné comme "volontaire d'office" pour le casse-pipe des piétons manquant d'audace ou d'agilité.
La Rue Raymond Losserand est en effet le lieu de rassemblement spontané d'une population de farouches "incorruptibles", peu sensibles au pipeautage médiatique de la Mairie : les artisans et petits commerces "de proximité" et leur population de chalands (qui viennent de tout le 14ème faire leur marché Rue Losserand) , les non-voyants qui sont d'autant plus nombreux à sillonner les rues de Pernety qu'ils viennent de toute l'Île de France y suivre les formations du FORJA, les handicapés qui vivent dans l'un ou l'autre des 3 foyers qui se situent au coeur du secteur "visé", les parents des enfants qui fréquentent l'un des 6 collèges, lycées ou écoles situées dans un rayon de 50 mètres des deux rues volontairement sinistrées, les vieux et les plus jeunes usagers des 3 sorties de Metro qui s'échelonnent sur les 400 mètres de le rue Losserand et qui la traversent continuellement pour toutes les raisons qu'implique cette intense activité sociale, etc.
Pourtant, difficile de revenir en arrière, maintenant qu'en haut-lieu on a réorienté toute la "com" de l'Hôtel de Ville sur cette nouvelle innovation créative, pour réagir au bide total de la "l'éradication de la circulation" sur les quais parisiens ( qui a aboutit à l'effet inverse de ceux escomptés comme l'ont établi les mesures de pollution publiées dernièrement par airparif ). D'où l'idée (toujours innovante et créative) d'un compromis avec les automobilistes : on ne va plus vous combattre on va au contraire vous ... "apaiser". voir : la "Guerre des Feux".
Une seule "solution" : la gesticulation !
Le choix d'occultation des feux de croisement était très largement déterminé par le fait que cette "idée citoyenne" avait le gros avantage de ne pas coûter grand chose à une administration impécunieuse et dont les sources de financement public en "décroissance macronique durable" ne suffisent même plus à garantir la pérennité des sinécures locales. D'où l'enthousiasme qui a accueilli la trouvaille consistant à importer une de ces nouvelles technologies asiatiques "à bas coût" qui font fureur dans les "pays émergents" . Singulièrement dans les régions qui n'ont pas encore les moyens de s'équiper en feux de croisement ... ça vaut pas grand chose ( et ça ne répond en rien aux critiques des protestataires ) mais au moins ça ne coûte pas grand chose... et ça permet, à peu de frais, "d'amuser la galerie" comme on disait naguère, avant que les fonctionnaires de la culture n'aient eu la bonne idée d'instrumenter le "street art" comme exutoire commode aux frustrations des citadins exclus des gratifications "citoyennes".
Comme les "signaux à bras de l'agent", sous nos latitudes ça coûte ( le fameux coût du travail ), et que les ronds-points... ça coûte aussi, il nous reste la solution "maline" de "bluffer" les neuneumobiles avec des chaussées habilement maquillées. Outre les amateurs d'art, les nombreux adeptes du "système D" ( comme débrouille ) que compte la population française... ne pourront qu'apprécier :
Comme nous avons là une parfaite illustration empirique du petit "topo" qu'il a rédigé dernièrement, à la demande de la presse locale" pour commenter, de son point de vue d'urbaniste critique, la création du "mall" François Mitterand" à Rennes"... et qu'il a transmis avec ce préambule :
"Comme promis, je vous tiens informée de la suite donnée à la sollicitation du journaliste de Rennes. À ce titre, je vous adresse le topo explicatif qu'il m'avait demandé sur la gentrification et la métropolisation. Je doute néanmoins qu'il suscite chez lui une pleine adhésion. L'article qu'il doit écrire prendra place en effet dans un dossier consacré à l'avenir radieux de la métropole rennaise qu'est censé annoncer l'inauguration par la maire PS d'un « mall » — une nouvelle rue piétonnisée et marchandisée — baptisé du nom d'une célèbre canaille politicienne de la deuxième droite : François Mitterrand. "
Jean-Pierre Garnier nous a autorisé à le reproduire comme exégèse théorique de la politique de la Ville ( de Paris) qui désormais s'assume parfaitement comme
une "politique en trompe l'oeil" .
Retraités de riante banlieue pavillonnaire, désormais "en capacité" de se divertir en bluffant les chauffards sur les départementales qui traversent leurs lotissements.
Globalisation, métropolisation, gentrification...
Faire la ville en régime capitaliste
Par Jean-Pierre Garnier
Pour définir la conversion d’un quartier populaire en quartier de « classes moyennes éduquées et branchées », un vocable a été importé d’Angleterre à la fin du siècle dernier : gentrification. Mais, avant d’analyser ce phénomène, il faut en comprendre l’origine. Or celle-ci a partie liée avec un processus socio-spatial qui se situe à un autre niveau et à une autre échelle : la métropolisation, soit la constitution de pôles urbains qui se distinguent des autres villes par une dynamique et un rayonnement très supérieurs, souvent aux dépens de celles-ci. Cependant, pour être expliquée, la métropolisation doit être elle-même à son tour rapportée à une évolution plus globale : la mondialisation de l’économie de marché ou, en termes moins convenus mais à la fois plus critiques et plus scientifiques, la transnationalisation du capitalisme soit le développement de ce dernier indépendamment du cadre national, sa dynamique étant devenue de plus en autonome à l’égard de l’État sous l’effet du néo-libéralisme. C’est donc cette évolution planétaire, qui n’est pas seulement économique mais aussi démographique, sociale, culturelle et, finalement, politique, même si l’économie est déterminante, qu’il conviendra de choisir comme point de départ pour rendre compte de la métropolisation de certaines villes et de leur environnement urbain puis de la gentrification de certains de leurs secteurs.
« Villes mondiales » ou « globales », pour les plus importantes, capitales continentales ou régionales pour les autres, les métropoles vont constituer les points d’ancrage et d’appui territoriaux d’un capitalisme devenu transfontière. La concentration organisationnelle de ce dernier à l’échelle planétaire dans des firmes et des groupes (industriels, financiers, commerciaux, médiatiques…) va de pair, en effet, avec la concentration spatiale des fonctions de commandement, décisionnelles et directionnelles, sur quelques régions métropolitaines renforcées et remodelées sous le double signe de l’« attractivité » et de la « compétitivité ». C’est dans la partie centrale de l’aire métropolitaine que se regroupent ces fonctions, avec les services (finance, conseil, publicité, hôtellerie, restauration et loisirs « haut de gamme », tourisme…) et les équipements afférents (complexes de bureaux pour sièges sociaux, palais des congrès, parcs d’exposition, maisons d’opéra, auditoriums…), ainsi qu’une partie de la bourgeoisie, l’autre préférant vivre au large dans les banlieues « résidentielles », et des franges aisées de la petite bourgeoisie intellectuelle1 — la soi-disant « classe créative » —, attachées pour des raisons à la fois professionnelles et de mode de vie à la centralité urbaine.
Cependant, les cœurs de villes ne sont plus sont assez vastes et bon marché en matière de logement pour accueillir ces dernières. Ce qui donne lieu à une colonisation des anciens quartiers ou des faubourgs populaires par une partie des professionnels de la « société de services », avec pour effet, hausse des loyers ou des prix des logements aidant, d’évincer vers des périphéries de plus en plus lointaines les occupants précédents. Un transfert de populations urbaines favorisé par les politiques publiques dites de « requalification urbaine » menées par des élus locaux soucieux de « revaloriser l’image de la métropole », qui reviennent en fait à réserver l’accès à l’habitat dans les zones concernées à des gens « de qualité ». Ce qui fait dire à de mauvaises langues que l’on assiste ainsi, sur le plan urbain, au « grand remplacement des prolos par les bobos » !
Cette mutation s’accompagne d’une transformation du cadre de vie… ou de ville : le petit commerce et l’artisanat traditionnels ont fait place aux « boutiques » ou aux bars « lounge », les locaux industriels et les entrepôts aux galeries d’art ou aux « lofts », des places ont été réaménagées en « espaces du « vivre-ensemble » et des rues piétonnières en « malls » décorés pour être de temps à autre animées par des « événements » festivo-culturels, autant de symboles de prestige pour la métropole. Un atout non négligeable face à la concurrence de rivales dans le cadre de la « concurrence libre et non faussée » qui les opposent pour « attirer les investisseurs et la matière grise ».
Enfin de compte, métropolisation et gentrification ne font qu’accentuer l’un des traits propres à l’urbanisation capitaliste régie, comme le reste du monde social, par la logique du développement inégal et combiné : la polarisation et la ségrégation socio-spatiales. Le fameux « droit à la ville » pour tous dont le sociologue critique Henri Lefebvre s’était fait le chantre a été réduit à un slogan. Car dans une ville livrée aux entrepreneurs, constructeurs, promoteurs et spéculateurs en tout genre, il est devenu de plus en plus exclusif et excluant.
Jean-Pierre Garnier
1 Le titre anglais « gentry » désignait la petite noblesse terrienne. Le dérivé « gentrification », forgé par une sociologue marxiste au début ces années 60, visait à marquer l’«empetit-bourgeoisement » des quartiers populaires de l’est londonien résultant de l’arrivée de résidents appartenant aux classes intermédiaires diplômées.