L'Architecture RENCONTRE, DÉBAT, DÉDICACE Cet ouvrage, richement illustré, présente l’évolution historique des lieux, des édifices et des acteurs de l’architecture et de l’urbanisme en Algérie de 1830, fin de l’hégémonie ottomane au Maghreb, à l’aube du XXIe siècle, dans un pays ayant recouvré son indépendance depuis un demi-siècle. Il met en lumière la créativité des réalisations, les expérimentations techniques et l’importance de l’héritage matériel et culturel. La video de présentation de l'ouvrage par ses auteurs. Le but de ce livre est de décrypter ce passé afin de donner des pistes de recherches et d’analyses pour l’avenir. S’articulant autour de 1962, date de l’indépendance, l’ouvrage est rythmé par décennies. Ainsi, il met en évidence : – l’importation du modèle européen dans les villes, où l’architecture locale fut parfois malmenée ; – à la charnière des XIXe et XXe siècles, avec la frénésie pour les expositions universelles et coloniales, le goût pour l’orientalisme qui permit le sauvetage de quelques édifices ou ensembles urbains ; – durant les années 1930, la construction dopée par la célébration du centenaire de la conquête de l’Algérie et influencée par l’Art déco en vogue ; – après-guerre, l’émancipation de l’Algérie, qui devint un terrain d’expérimentation fabuleux pour les nouveautés architecturales et constructives du Mouvement moderne ; – à l’indépendance, l’édification de quelques projets importants confiés à des architectes internationalement reconnus, comme le brésilien Oscar Niemeyer, puis l’intégration des premiers architectes algériens dans les ministères, les administrations ou les organismes étatiques, permettant des réalisations parfois inspirées del’architecture ottomane ; – depuis les années 1990, le virage libéral de l’État algérien, qui impacte le statut des architectes qui, toujours plus nombreux, ouvrent des agences privées dans les grandes villes. L’ouvrage met ainsi en évidence de nombreuses réalisations architecturales remarquables, pas seulement celles des principales villes d’Algérie que sont Alger, Oran et Constantine, mais de tout son territoire, comme à Orléansville (Chlef), Ghardaïa. Ce livre, véritable voyage dans l’histoire de l’architecture, constitue une référence pour les architectes et tous les curieux désireux de prendre conscience des efforts de l’administration algérienne et des architectes, algériens et étrangers, pour dépasser les empreintes du colonialisme et écrire une architecture ayant sa propre identité. Vincent Bertaud du Chazaud est architecte diplômé de l’École nationale supérieure des arts et industries de Strasbourg (ENSAIS) et docteur en histoire de l’art de l’Université Paris 1- Panthéon-Sorbonne. Depuis décembre 2005 il est expert près la Cour d’appel de Paris et près les Cours administratives d’appel de Paris et de Versailles. Il a publié de nombreux ouvrages dont Jean Prouvé. Cinq maisons sur mesure (Éditions Le Moniteur, 2020). Soraya Bertaud du Chazaud est diplômée d’un master 2 en histoire de l’art de l’Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne. Depuis 2013, elle est chargée des études historiques dans l’agence d’architecture Pierre-Antoine Gatier.Fidèle à lui-même, il endosse la tunique bleue de l’Union pour combattre l’esclavage pendant la guerre de Sécession. |
BILLET n° 176 – SIMOUNET, CAMUS ET DE MAISONSEUL
Dans un magnifique petit livre, « Traces écrites », magnifique par l’écriture mais aussi par la présentation, Roland Simounet livre quelques textes d’une sensibilité extrême, des anecdotes écrites avec vivacité, humour et simplicité, notamment celles où il est en compagnie d’Albert Camus. Ce sont les éditions Domens à Pézenas qui ont publié en 1997 ce petit bijou de papier et d’encres noire et rouge, un an après le décès de Roland Simounet. En frontispice, un dessin de lui, « Hommage à Le Corbusier ».
Le livre est clos par une postface de son ami Jean de Maisonseul qu’il dédie à Hamid Bouchaala, étudiant en architecture. De Maisonseul y rend hommage au travail de Simounet. Après avoir étrillé le pastiche en architecture avec le néo-mauresque et les ensembles touristiques de Pouillon, ou les préfabriqués d’origine soviétique et les projets de Niemeyer, et après avoir cité Théodore Monod à propos de l’utopie (« Je suis un utopiste dont les convictions ne se sont pas réalisées »), Jean de Maisonseul écrit : « Cette espérance est le plus haut hommage qui pourrait être rendu à Roland Simounet si son œuvre architecturale, tant celle réalisée en Algérie que celle plus tardive, pouvait porter témoignage auprès de futurs architectes de ce pays des grandes constantes de cet art dont il a su lire les traces inscrites sur le sol. » Puis de Maisonseul cite trois réalisations en Algérie :
-La cité Djenan El-Hassan (1954-1957), qui fut largement publiée dans les revues d’architecture françaises et étrangères, dont j’ai vu la destruction en cours en 2014.
-La nouvelle agglomération de Timgad (1958-1960), dont il ne reste qu’un bâtiment défiguré par des interventions inadaptées.
-La maison Bernou (1956-1957), située à El-Biar, « chef-d’œuvre de tradition et de modernité » selon les mots de Jean de Maisonseul, là je n’en connais pas sa destinée et son état aujourd’hui.
Au moins deux de ces architectures, qui auraient pu « porter témoignage auprès de futurs architectes de ce pays des grandes constantes de cet art dont (Roland Simounet) a su lire les traces inscrites sur le sol », ne sont plus aujourd’hui. Quand ce ne sont pas les éléments, comme l’anéantissement du magnifique travail de Jean Bossu à Orléansville, c’est la main de l’homme qui détruit les meilleurs exemples d’architectes qui ont « su lire les traces inscrites sur le sol ».
C’est par une note d’humour, et peut-être d’optimisme, que je veux terminer ce billet, avec cette croustillante anecdote toujours tirée de « Traces écrites » de Roland Simounet. Partis d’Alger à plusieurs dans une Traction-avant pour rejoindre Orléansville alors en reconstruction après le tremblement de terre de 1954, la bonne humeur régnait dans l’auto où avait pris place également une jeune fille qui allait retrouver son ami qui travaillait avec l’équipe de jeunes architectes engagée pour la reconstruction.
Après quelques chants, dont « Le Gorille » entonné par la demoiselle à la stupéfaction de tous, « vint le moment où chacun devait faire savoir son vocabulaire dans la langue de Cagayous1. Le jeu était de proposer, un nom, une situation, et de décliner toutes les variantes possibles. On parlait d’injures – je passe sur les grossières : la mort de tes bises, les os de tes morts, tchoutcho, bazouk ou caisse de mort… De bagarres : drobzer, recevoir une calbotte, gonfler l’autre, lui donner sa mère, manger des coups ou se tenir l’aubergine… ou encore du comportement : un louette, un dégourdi, un embrouilloun, un caouette… Quand vint mon tour je choisi de comparer quelques mots exprimant les rapports entre jeunes gens et jeunes filles. Il se disait : fréquenter, faire fiancé, rombiner, faire caprice et enfin une expression plus rare « se parler » : depuis quand y parle avec la fille… Camus me laissa à peine terminer ma phrase et d’une réplique cinglante et narquoise me dit : « Surtout que chez nous on parle avec les mains ». J’en « restai axe » » termine Simounet dans un parlé Cagayous.
Vincent du Chazaud - Le 17 décembre 2023
1 Cagayous, chenapan de Bablouete (Bab-el-Oued), est un personnage inventé par Auguste Robinet ; il parle le pataouète, langage imagé des pieds-noirs mêlant français, catalan, espagnol, italien, arabe voire kabyle…