Le droit international,
invité inattendu dans un stade de football.

 

      De manière saisissante et imagée, le droit international s’est invité au stade de Bucarest le 12 septembre dernier lors de la rencontre opposant l’équipe nationale roumaine à la sélection du soi-disant état indépendant du Kosovo. Jusqu’alors on connaissait les manifestations des supporters roumains déployant à l’occasion de rencontres de leur équipe nationale des banderoles portant l’inscription « Kosovo je Srbija », manière pour eux d’exprimer leur solidarité, leur sympathie avec leur voisin, la Serbie.

      Or, le 12 septembre ils devaient innover en brandissant aux côtés de leur habituel écriteaux « Kosovo je Srbija » le slogan « la Bessarabie est la Roumanie ». Inédite, cette manifestation est à l’évidence lourde de sens et l’UEFA qui, manifestement sait de quoi il en retourne, n’a pas tardé de sanctionner la fédération de football roumaine en lui imposant de jouer le prochain match contre l’Andorre à guichet fermé, c’est-à-dire dans un stade sans spectateurs. En fait, agissant de la sorte, les supporters roumains n’ont fait que proclamer, haut et fort devant tout le monde, la revendication du gouvernement roumain concernant la Bessarabie. Si jusqu’à présent ils ne faisaient qu’illustrer à leur manière spectaculaire, la position officielle du gouvernement roumain qui refuse de reconnaitre le soi-disant état du Kosovo, cette fois-ci ils ont fait un pas de plus en dévoilant les raisons foncières de la position de leur gouvernement, à savoir la non-acceptation de l’annexion de la Bessarabie par l’Union Soviétique en 1938 ; position parfaitement justifiée eu égard au droit international. Ainsi, les supporters roumains ont-ils mis en avant, certes indirectement, le principe fondamental du droit international, c’est-à-dire l’inviolabilité des frontières des états souverains.

      Ainsi, les Roumains, par le biais de leurs supporters, font savoir qu’ils ne renoncent pas et qu’ils, sans égard à la situation d’incertitude actuelle, comptent mettre en avant leurs revendications, légitimes au regard du droit international, le moment venu. Dans le même ordre d’idée il ne faut pas oublier la Pologne avec la Galicie dont on ne fait que murmurer pour le moment. D’autres revendications, tout aussi légitimes, vont nécessairement surgir.

      De fait, cette guerre, ce qui est toujours le cas comme nous enseigne l’histoire, a actualisé des questions demeurées sans réponse, négligées ou même oubliées. Or au nombre de questions réactivées, la guerre en Ukraine a remis sur le devant de la scène le thème fondamental du droit international et des principes qui le gouverne. L’initiative de cet aggiornamento est venue, de manière totalement inattendue, de l’Occident collectif qui considère le droit international comme argument clé dans sa stratégie géopolitique contre la Russie, droit international pourtant totalement ignoré durant l’ère unipolaire. L’exemple parfait de cette conduite sont les bombardements de la Serbie en 1999, suivis de la tentative de soustraire le Kosovo à sa souveraineté. Mais, ce qui est nié n’est pas pour autant aboli. Au contraire, il revient sous formes multiples. D’une certaine façon, empruntant le mot à la psychanalyse, pourrait-on parler du retour du refoulé géopolitique, c’est-à-dire du droit international.

      En premier, ceci se manifeste par le renforcement de l’ordre fondé sur la charte des Nations Unies et des principes du droit international (Les BRICS à Johannesburg, le G20 à Delhi, l’ACEAN à Djakarta) au rebours de l’ordre conçu à partir de « règles » de la minorité globale. Puis, les événements en Afrique centrale et occidentale qui remettent en scellent les questions de la souveraineté des nations et de leurs états en mettant en avant le principe de non-ingérence et d’égalité face aux tendances néocoloniales. D’autres mouvements géopolitiques ont lieu dans le sud global voire même au sein de l’occident global (souverainisme, retour aux traditions aux « racines » etc.)

      La guerre en Ukraine a assurément, et là il n’y a plus de place aux dilemmes, ouvert la question de nouveaux rapports au niveau global. Un nouveau système de relations sur des bases multipolaires est à l’ordre du jour. En effet, si la guerre n’avait pas eu lieu la dynamique actuelle on n’aurait pas connu la forme qu’elle prend, à savoir l’élargissement des BRICS, les changements aux Sahel et dans l’Afrique francophone, la restructuration du G20, les regroupements militaro-politique dans le Pacifique, tout cela ponctué par la visite spectaculaire du leader nord-coréen Kim Jong-un en Russie et la réunion de Camp David des présidents américain, japonais et sud-coréen. La guerre fait apparaître clairement deux pôles : l’occident global, le sud global. Ce qui est en cours c’est la conquête des sphères d’influences. Dans ces conditions, il importe que ce conflit global, compte tenu des capacités de destruction des principaux protagonistes, parvienne tant bien que mal à déboucher sur un équilibre. Il est clair en effet qu’il ne saurait y avoir de vainqueur dans la confrontation en cours.

       Certes, avec la dynamique actuelle, le dénouement n’est pas en vue. Néanmoins, quoi qu’il en soit, le fait est que la réactivation du droit international et de ses principes, dont les supporters roumains à leur manière se font l’écho, est un facteur positif non-négligeable.

 

Alain Jejcic
le 21 septembre 2023

Tag(s) : #Alain Jejcic, #Kosovo, #Roumanie, #Bessarabie, #Foot
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