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C’est une conviction très répandue
dans cette part du monde contemporain qu’est la poésie -- lecteurs, théoriciens, créateurs…-- que la grandeur des poèmes de Hölderlin a été largement établie et transmise par l’interprétation qu’en a donné Heidegger. Mais voici qu’aujourd’hui, une présentation toute autre de ce poète nous est proposée, dans un livre qui vient de sortir aux éditions Nous, dont le titre est Ouvrir Hölderlin, et dont l’auteur – je ne crois pas que « autrice » soit une invention verbale favorable aux femmes – se nomme Judith Balso.
Ce n’est pas, dans le champ concerné, une débutante. Dans le moment même où commençait, en France, la découverte du considérable génie du portugais Fernando Pessoa, elle a consacré à ce poète un livre essentiel, Pessoa, le passeur métaphysique. Entre autres propos, ce livre contrariait de façon convaincante les interprétations courantes de l’origine et de la fonction des noms propres variés – les « hétéronymes » -- sous lesquels Pessoa a publié ses poèmes, dont en effet les intentions et les styles, d’un recueil à un autre, pouvaient parfois sembler – en fait, étaient -- presque opposés. Et je crois savoir que Judith Balso envisage d’étudier le russe Mandelstam avec cette éthique du poème.
Dans le cas qui nous occupe, c’est dans une analyse raffinée des racines même du propos et des formes du poète que Judith Balso installe, en quelque sorte en immanence, une vision aussi détaillée que cohérente de l’œuvre. En ce sens, la destitution de l’interprétation Heideggérienne n’est ni l’origine ni le but de son livre. Elle est le résultat, démontré, d’une lecture intense et cohérente des poèmes -- comme du reste de la vie et des convictions – de Hölderlin.
On peut suivre sur ce point l’indication du titre du livre : « Ouvrir Hölderlin ». Oui, c’est bien d’une ouverture qu’il s’agit, une ouverture, dans ce qu’on peut appeler l’action poétique, à la multiplicité cohérente des convictions du poète, à l’effet sur lui de la Grande Histoire (notamment la Révolution française), à ses authentiques références, tant littéraires que philosophiques, aux péripéties de son existence, de ses voyages, de sa vie sentimentale, de son final enfermement, claustration dont il est démontré qu’elle n’avait de la folie que quelques apparences.
Oui, à tous les niveaux de constitution de ce qui s’appelle une « œuvre », le livre de Judith Balso fait preuve, comme en support réel de son admiration illimitée, d’une capacité d’ouverture vers tout ce qui peut contribuer à saisir, au plus juste, le génie de cette œuvre.
Disons que, dans le livre de Judith Balso, oui, Hölderlin nous est offert parce que patiemment ouvert, démontrant ainsi, comme en passant, le peu de vérité de ce en quoi Heidegger l’avait enfermé. Il faut lire cette libération.
Alain Badiou
Alain Badiou & Judith Balso. L'Art contemporai
considéré du point de vue philosophique et poétologique 2014 - YouTube