Écritures carnassières

Rencontre avec Ervé 

 

« Depuis longtemps je taquine la rue. Aujourd’hui encore. Guidé par mes failles, mes blessures, j’arpente trottoirs bitumeux ou sentiers poussiéreux. Partout le même bitume. Partout les mêmes poussières âcres. Ô comme j’aimerais trouver un trou de verdure où chante une rivière mais je ne suis pas ce dormeur. J’ai cependant deux douleurs dans le dos qui me font dire que je n’étais pas de taille et que vous m’avez vaincu avec vos mots. J’ai perdu. Oui. Je me suis perdu. »

Au travers de ces fragments d’une vie en éclats, de cette écriture tout à la fois vibrante, poétique et carnassière, se déploient la noirceur et les instants de grâce d’un céleste parmi les clochards de Paris.

Ervé vit dans la rue. Et celle-ci l’habite. Il traîne avec lui le fardeau d’une mal enfance et, entre colère, tristesse et mélancolie, il écrit. Écritures carnassières est sa première publication. 

 

Extrait 1

« Quelle force a-t-elle en elle pour avoir pardonné, à ma demande, mes errances, mes colères, mes pleurs d’enfant, ma violence verbale, mes manquements, mes penchants autodestructeurs ? Qu’est-ce qui peut animer une si belle âme pour avoir, à maintes reprises, tendu la main ? Elle reste un mystère pour moi. L’ai-je vraiment aimée ? Oui. L’aimè-je encore ? Oui. D’une tendresse particulière qui se renforce chaque jour qui passe loin d’elle et de mes deux poumons. 

Au hasard de mes visites, chez mes deux poumons, je la trouve toujours un peu plus belle et intrigante. J’aime à penser qu’elle a refait sa vie, à sa façon, sans moi, obsolète, sauf pour le bien-être de nos filles. Il est sûr que je me suis fait mille mauvais sangs à me dire qu’elle pouvait rencontrer quelqu’un d’autre. Elle est encore jeune et belle. En même temps, je la sais très accaparée par son travail, un boulot de dingue. Quand je veux lui parler, je suis en mode petits chaussons. J’ai l’impression de m’adresser à une travailleuse sociale qui va me juger et non pas à la mère de mes enfants ou à la femme qui m’a aimé. Sans doute est là le nœud du problème et de ma corde au cou. »

 Extrait 2

« La petite boule puante :

—   Tu ressembles à ton père.

—   Je ne sais pas madame, je ne l’ai jamais connu.

—   Je suis ta maman.

Il regarde cette femme à peine plus haute que lui, grosse, les cheveux d’un brun mal colorés. Elle sent la cigarette mêlée à du mauvais parfum, le genre de truc que tu achètes avec des timbres glanés dans les pages publicitaires des magazines.

Il est convoqué chez la juge pour enfant. Il a 12 ans. Son frère, d’un an et demi son aîné n’est pas là. Il a déjà rencontré la juge. Son autre frère, plus âgé encore est présent et a déjà été entendu par la juge. Il a déjà été convenu qu’il pourra vivre avec la génitrice. Il observe ce frère dont il n’a que des souvenirs visuels flous. Il était trop petit pour se souvenir. Il aimerait lui parler, juste pour entendre le son de sa voix. Mais la juge arrive et :

—   Veuillez entrer.

La pseudo-mère entre la première. Lui hésite. Il n’a qu’une envie, se tirer de là et aller boire une bière (si jeune et déjà alcoolique), fumer une cigarette (il en a sur lui, tout un paquet) dans le parc tout à côté. Il se plie à l’injonction, entre, s’assoit deux chaises plus loin de la femme qu’il ne connaît pas. Le parfum mélangé lui a déplu.

—   Tu sais pourquoi tu es là ?

—   Non M’Dame.

—   C’est ta mère qui souhaite que tu reviennes revivre avec elle. Tu comprends ?

—   Non M’Dame.

—   Qu’est-ce que tu ne comprends pas ?

—   Revivre avec elle. Je ne la connais pas, je n’ai jamais vécu avec elle, madame... »

 

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