Au moment vécu et présenté par notre appareil idéologique comme celui où la perfide Albion et ses complices impériaux ne se gênent plus pour torpiller notre vaillant appareil industriel (et submersible), sans la moindre déclaration d'intention (belliqueuse) préalable;
La claque que vient de nous infliger l'Australie, et avec elle les Etats-Unis et le Royaume-Uni, impose de rappeler quelques vérités qui dérangent, assez contraires aux valeurs que nous chérissons. Tout d'abord le fait qu'en relations internationales, il n'y a jamais d'amis, tout juste des alliés partageant des intérêts communs. Les Européens ont longtemps vécu avec cette illusion que les Etats-Unis, pays frère, ne nous voudraient que du bien et que Joe Biden nourrissait une affection toute particulière pour la terre de ses ancêtres.
En convaincant Canberra de rompre ses engagements avec Naval Group , il montre sa détermination à ne suivre qu'un seul cap : celui des intérêts économiques et commerciaux de Washington. Joe Biden est, de ce point de vue, bien plus préjudiciable que Donald Trump, car plus réfléchi et plus efficace (1). Notons que ce camouflet est le deuxième infligé à la défense française depuis le début de l'été : le premier a permis aux Américains - déjà eux - d' imposer leurs avions de chasse à la Suisse , au détriment du Rafale.
Le tabou nucléaire
(1) NdE : une opinion "positive" qui est clairement celle de l'appareil militaro-industriel et de son administration étasunienne, mais qui ne semble guère partagée par les intéressés, tant afghans qu'américains... voire "en marche".
Le fiasco australien nous enseigne autre chose : nos alliés ont moins de scrupules que nous à transférer leurs technologies. La France s'est toujours interdite d'exporter ses navires à propulsion nucléaire, car elle y voit la clé de son indépendance et de son savoir-faire. En acceptant de partager le leur avec les Australiens, les Américains lèvent un tabou majeur.
L'histoire ne fournit qu'un seul précédent, quand Washington avait fourni son expertise atomique aux Britanniques. C'était en 1958, au paroxysme de la guerre froide - ce qui en dit long sur le front anti-Chine qui se constitue aujourd'hui. Cette coopération américano-australienne incitera-t-elle d'autres pays à développer leur arsenal nucléaire, civil ou militaire ? Beaucoup le craignent.
DECRYPTAGE - Sous-marins : pourquoi l'Australie a laissé tomber la France
Le plus cruel, dans cette affaire, est de voir à quel point l'influence de l'Europe s'érode. Nos tergiversations vis-à-vis de la Chine poussent les Etats-Unis à forger des alliances ailleurs, et sans nous . Au passage, ils donnent à Boris Johnson une formidable occasion de concrétiser ses ambitions de « Global Britain ».
L'Europe, par contraste, ne donne aucun corps à la défense commune qu'elle appelle de ses voeux. La résistance de nombreux pays, Pologne en tête, devrait nous pousser à créer des mini-alliances, à l'instar de ce que font les Etats-Unis désormais. En espérant que l'élection allemande de la semaine prochaine désigne un chancelier plus volontariste qu'Angela Merkel, qui soutienne activement cette autonomie stratégique. Olaf Scholz, qui a la faveur des sondages, n'y est pas forcément disposé.
La vassalisation volontaire
ou :
de la juste résolution des contradictions
au sein de la classe dirigeante
Que vont faire les européens pour réagir aux dernières initiatives unilatérales des USA en matière de droits de douane et de commerce international ?
Il ne feront rien... du moins rien de sérieux sinon les gesticulations habituelles permettant (au mieux) de sauver la face au bénéfice de quelques brimborions symboliques que l'appareil d'Etat étasunien balancera au titre de "concessions", obtenues de haute et courageuse lutte par leurs obligés européens ( et autres ).
Si on veut tirer quelque intelligibilité instructive de cet événement, somme toute assez anecdotique, du moins pour nous français*, il faut le replacer dans un contexte historique, économique et politique dont nous célébrons aujourd’hui le centenaire : celui de la fin de la première guerre mondiale.
* Les conséquences de ce coup de trompe sur l'acier et l'aluminium étant assez collatérales voire marginales pour nos exportations comme pour nos industriels nationaux, vu que notre appareil industriel sidérurgique a été bazardé de longue date...
Quand Trump proclamait :
"Je tiens une promesse que j’ai faite pendant la campagne", au nom de son "America first", au motif que "Notre industrie a été la cible depuis des années, depuis des décennies même, d’attaques commerciales déloyales. Et ç'a provoqué chez nous la fermeture d’usines ,de hauts fourneaux, le licenciement de millions de travailleurs, avec des communautés décimées. Eh bien, ça, ça va s’arrêter"
Bien sur il oubliait de préciser que les "attaques commerciales déloyales", quand elles n'étaient pas le fait des groupes capitalistes US eux-mêmes, n'ont jamais été que de timides initiatives, encouragées par le "modèle mondialisé" promu par multinationales U.S. . Mais surtout, il faut mesurer que les bientôt 600 milliards de dollars* atteints par ce déficit ne datent pas d’hier mais sont à peu près concomitant de l’époque de « contestation » dont nous célébrons le cinquantenaire … la fin des années 1960, en même temps que la fin de la première guerre mondiale 40 ans plus tôt.
* 566 milliards de dollars en 2017 (483 milliards d'euros)
En réalité cette balance commerciale, qui a déjà par le passé atteint -6% du PIB étasunien avait toujours été excédentaire, pendant plus d’un siècle, depuis le début de l’ère industrielle. Mais, à la fin du 20ème siècle, elle a commencé à devenir déficitaire, précisément au tournant des années 1970 au moment où il fut mis fin aux accords de Bretton woods, par une décision unilatérale arbitraire et contre l’avis de ceux qui étaient déjà les « partenaires » des USA, les mêmes qu’aujourd’hui, face aux barbares totalitaires orientaux.
Depuis elle n’a cessé d’être déficitaire et l’est devenue lourdement voire dangereusement dès les années 1995, symétriquement d’ailleurs avec le creusement de la dette américaine.
Il est donc essentiel de bien comprendre ce qui s’est joué en 1971 lors de l’annulation des accords convenus, toujours par la même « communauté internationale » ( c’est à dire les alliés de la superpuissance étasunienne) en 1944, au sortir des hostilités de la deuxième guerre mondiale.
Le 15 août 1971 les autorités US suspendent la convertibilité du dollar en or. En 1973 il n’y a plus de système des taux de change fixes, associés via les dollar ( seule monnaie jusque là convertible ) à la valeur de l’or, on passe aux changes flottants, déterminés par les fluctuations du marché.
Il n'y a plus, depuis lors, de système monétaire international organisé, résultant d'un commun accord entre ses agents. Et pour cause : les USA, clef de voûte de ce système dont ils constituaient l’indispensable autorité de certification, du fait de leur statut de superpuissance, étaient passés dans un régime d’accumulation du capital désormais contradictoire avec celui de l’après guerre, qui s’était progressivement épuisé de lui-même.
Il suffit pour s’en convaincre d’observer l’évolution concomittante de la "productivité" , au sens des économistes libéraux, et de sa « compensation en salaire horaire réel » accordée aux ouvriers de l’industrie américaine, à partir des années 1970 :
On voit alors que les "gains de productivité" ne fléchissent pas trop, mais au prix de l’appauvrissement des travailleurs.... et pour cause. Or, il y a peu, ce sont précisément ces travailleurs appauvris qui ont permis l’élection de Trump. Ceux qui produisaient notamment l’acier américain...
Pour bien prendre la mesure de tout ça il faut savoir qu’en même temps à Bretton woods, en 1944 , les « coalisés » d’alors, sous l’espèce de leurs appareils d’états représentant leurs grandes bourgeoisies respectives, vont créer le FMI, la Banque Mondiale et la plupart des instances monétaires et financières supranationales destinées à normaliser l’économie mondiale sous la houlette du nouvel empire sorti vainqueur de la guerre.
Une guerre qui a d’autant plus profité aux USA qu’ils n’en ont pas subi les conséquences calamiteuse mais au contraire ont pu booster leur économie au détriment des empires déclinants qu’il ont décisivement supplantés.
Quand Macron s’émeut, dans un cri du cœur adressé à sa « communauté internationale », du fait que les européens, comme le reste du « camp anti-totalitaire » soient les vassaux des américains, il ne fait qu’exprimer sa conscience malheureuse, et tardive, d’un état de fait déjà séculaire.
En France ce constat factuel avait été longtemps brouillé par le fait que pendant la période de l’après-guerre et surtout depuis la fin du plan marshall, le retour de De Gaulle et jusqu’à son départ, juste avant la fin de Bretton Woods, nous étions non pas dans une posture soit-disant « Gaullo-Mitterandiste »* comme dit Macron, mais sur une position « non-alignée » qui résultait d’un consensus politique national qualifié de « gaullo-communiste ».
* un oxymore absurde concocté en pur "Volapük intégré"
par H.Vedrines pour les discours électoraux de Macron.
De Gaulle n'imaginait évidemment pas, en moquant ainsi les "apatrides s'exprimant en volapük intégré" que c'est précisément, avec la clique dont résulte Macron, ce genre "cabri" de la classe dirigeante qui allait transformer son beau projet, inspiré de l'humanisme de la renaissance, en "souveraineté européenne" de la concurrence libre et non faussée...
Pour en revenir aux origines, c’est à dire à la fin de la première guerre mondiale, donc l’émergence des USA comme première puissance économique mondiale, sur les décombres des anciens empires coloniaux espagnols, puis anglais et français. On observe que cette dynamique va naturellement accélérer le développement de l’impérialisme américain. Et pour donner un exemple très symptomatique et éclairant pour le public français, on observe déjà à ce moment là les premières « sanctions » imposées par la nouvelle superpuissance à ses « alliés » , avec les mêmes cibles et et les mêmes finalités qu’aujourd’hui :
- promouvoir les produits et les industries étasuniennes et les répandre sur les marchés des pays désormais assujettis ou en voie de l’être du fait de leur déclin,
- au motif de combattre celui qui est déjà l’ennemi principal : le totalitarisme communiste des russes devenus bolchéviks. Alors que pour l’Europe du capitalisme industriel c’était pourtant le partenaire idéal : la Russie était sous-industrialisée et regorgeait de matières premières bien meilleur marché que celles fourguées par les américains.
Dès le début du 20ème siècle Teddy Roosevelt (le premier président du clan Roosevelt mort en 1919) proclame « le corollaire de la doctrine de Monroe » qui récuse l’idée d’une neutralité absolue, pour affirmer que les USA ne toléreraient pas que l'on s'oppose frontalement à ses intérêts. Actant ainsi officiellement les désirs d'expansion nord-américaine vers l'Amérique latine. Bientôt ses successeurs élargiront le champ d’action.
Pour l’anecdote ce corollaire avait provoqué l'indignation des dirigeants européens, notamment … l'Empereur allemand. On connaît la suite …
En réalité, pour nous français il est assez instructif d’observer que ce corollaire Monroe a été fort bien intégré à la nouvelle gouvernance euratlantiste qui émerge dès le départ de De Gaulle via un "concept innovant et soutenable" qui est du reste une « invention française » * visant à substituer au « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » le « droit d’ingérence humanitaire », version post-modernisée de la « politique de la canonnière » ** chère à Teddy Roosevelt et à ses successeurs.
* que nous devons à la conjonction des puissances créatives
de J.F.Revel, B.Kouchner et accessoirement Sarkozy, Hollande, BHL et consort.
** forme de "diplomatie offensive" pratiquée à l’époque des "empires centraux"
à rapprocher de la Doctrine du Big Stick (doctrine du gros bâton en français),
qui sous l'administration de Theodore Roosevelt,
visait à protéger les intérêts américains à l'étranger
par la menace de l'usage de la force.