Le Goncourt de la cuistrerie nombriliste auto-satisfaite
est décerné à...

Roland Castro,
(ex mao-spontex)
pour :
Sisyphe heureux
Les mille et uns projets de ma vie bâtisseuse,

Éditions du Canoë, Paris, 2021,18 €

 

On connaît la propension de personnalités des mondes politique, littéraire ou artistique à qui la rédaction de leurs mémoires fournit l’occasion voire un prétexte pour ériger par le verbe un monument à leur propre gloire. De fait, il arrive que des mémoires en viennent ainsi à être confondus avec un autre genre d’écrit, l’autobiographie, qui associe lui aussi écriture de soi et récit de vie, mais qui s'en distingue en mettant l’accent sur le contexte historique de la vie de l’auteur et sur ses actes plus que sur l’histoire de sa personnalité et sa vie intérieure. De quel genre relève donc le dernier ouvrage de l’architecte Roland Castro qui y donne libre cours à un contentement de soi poussé à son paroxysme, où le narcissisme et l’égocentrisme frisent à maintes reprises la pathologie ? Il faudra pour le définir recourir à un néologisme : l’auto-hagiographie.

Le titre du livre, pour ne rien dire du sous-titre, en résume l’esprit. Roland Castro ne fait par là que reprendre une recommandation de Albert Camus dans l’un de ses essais, «il faut imaginer Sisyphe heureux. Il faut dire qu’au regard de la tâche que s’était assignée R. Castro dès le plus jeune âge — «N’ayant été rien, je veux être tout, comme il s’en vante au début du livre —, le bilan globalement positif qu’il tire lui-même de sa vie et de son œuvre a de quoi le faire jubiler. Ce n’est pas un rocher qu’il se serait évertué à pousser avec succès, mais «le «caillou […] resté sur la cime» que constitueraient les quartiers «remodelés» par ses soins et les discours triomphalistes de son crû qui ont accompagné leur promotion. À le lire, en effet, il y aurait eu certes des «chutes de morceaux de cailloux au sommet», mais elles auraient été «fondatrices», «l’actualité les a authentifiées et «leurs concepts ont été validés».

Fringant octogénaire, R. Castro n’a donc rien perdu de sa superbe et de son culot comme si l’accumulation des ralliements et des reniements de cette ancienne figure de proue de la «contestation» soixante-huitarde au profit du rétablissement de l’ordre, d’abord, puis de l’ordre établi, l’avait galvanisé pour le restant de son existence. On n’en finirait plus d’énumérer ses retournements de veste incessants présentés avec allégresse dans son livre comme autant d’exploits. «Rien ne peut changer si ce n’est un individu par un individu», clame R. Castro, imputant au passage cette assertion débile au «jeune Marx»«très mal lu» selon lui par les marxistes qui en ont fait un «collectiviste» — pour légitimer les changements de bord continuels qu’impliquait un carriérisme effréné. Mais tout a été déjà dit sur le personnage dans le pamphlet mémorable que Guy Hocquenghem consacra en 1986, deux ans avant sa mort, à la «génération» dont il avait lui-même fait partie, celle des «contestataires» maoïstes ou trotskistes de 1968 qui, ensuite, renoncèrent rapidement à une révolution prolétarienne fantasmée pour faire bourgeoisement avec réalisme carrière à l’ombre des pouvoirs en place, publics ou privés1. Au passage, Hocquenghem avait aussi épinglé quelques autres figures connues de l’establisment mitterrandien qui ont contribué, avec les précédents, à faire passer à droite une gauche pseudo socialiste. Dans le lot, Roland Castro avait eu droit à un traitement de faveur anthologique à la hauteur de son ignominie dont on ne peut que conseiller la lecture à ceux qui n’en ont pas encore pris connaissance.

De ce point de vue, son dernier opus n’apporte rien de nouveau sinon des éléments à charge supplémentaires, évidemment présentés dans ce texte en forme de plaidoyer pro domo comme autant de lettres de noblesse, qui permettraient tout plus d’actualiser le réquisitoire porté par G. Hocquenghem contre lui et d’en confirmer le bien fondé. Si l’expression «manger à tous les râteliers a un sens», on peut affirmer sans risque d’être démenti — sauf par R. Castro, et encore !, car chez lui le cynisme tient lieu de sincérité — qu’il n’a pas cessé depuis lors de se goinfrer dans les hauts lieux où son arrivisme l’avait propulsé. Déjà, Régis Debray, conseiller des princes et prince des conseillers, sitôt promu chargé de mission pour les relations internationales par Mitterrand, s’était empressé de l’inviter à dîner à l’Élysée en compagnie d’autres renégats de haute volée, tel Bernard Kouchner, bien avant que l’humanisme sans frontières de ce dernier au service de l’OTAN le propulse au rang de gauleiter du Kosovo pour couvrir les crimes contre l’humanité commis contre les prisonniers Serbes et les Roms par Hashim Thaçi, ex-chef de l’UCK, la guerrilla indépendantiste, devenu premier ministre, puis ministre des affaires étrangères et enfin président de cet entité issue du dépeçage de la Yougoslavie. Autre convive de marque lors de cette soirée dinatoire, Henri Weber, ex-chef de file de la Jeunesse communiste révolutionnaire trotskiste à qui son étroite amitié avec Laurent Fabius vaudra par la suite de siéger comme sénateur puis député européen. Au trio s’était joint le compère de R. Castro en matière de vaticinations «urbaines», le philosophe Jean-Paul Dollé, tête pensante du groupe «mao-spontex» Vive la Révolution dont R. Castro. était l’un des fondateurs. Commentant ces agapes élyséennes, celui-ci évoque avec une nostalgie attendrie «les quatre copains heureux» qui «rigolent bien aux frais de la Princesse, la République […]». Du contribuable, plutôt, conviendrait-il de rectifier au risque de passer pour «populiste».

Ce n’était là cependant qu’un hors-d’œuvre, si l’on peut dire. Rien qu’à la table présidentielle où il sera convié à titre officiel, R. Castro a enchaîné les gueuletons, aux sens propre et figuré. Après avoir été chargé en 1983 par le président de la République, François Mitterrand, d’une mission sur la banlieue, Banlieue 89, présentée comme il se doit comme l’annonce d’une «révolution urbaine», avant d’être nommé en 1986, délégué à la rénovation des «cités», il sera retenu en 2007 parmi les architectes lauréats de la consultation internationale lancée par le président de la République, Nicolas Sarkozy, sur le Grand Paris. En 2018, le président de la République, Emmanuel Macron, lui confiera la réalisation d’un rapport sur sa vision et les enjeux de cette métropolisation de la capitale à marche forcée. Une vision grandiose, telle que dépeinte dans le livre, qui, en plus de laisser de côté les enjeux économiques réels de ce «Paris en grand» au service des grands d’un monde capitaliste maintenant globalisé, maintient un black-out complet sur l’impact délétère de ce super-grand projet inutile et imposé sur les plans financier, sociologique, écologique et politique.

À le lire, le demi-siècle que Castro a passé à plancher depuis 1968 sur «la question des banlieues» qu’il se faisait fort de résoudre par des (ré)aménagements idoines au profit de leurs habitants jusque-là délaissés par les pouvoirs en place, notamment par les bureaucrates et autres «énarcs» qui excitent sa verve, peut être «décrit comme un moment non marchand de la vie de tous, un moment kibboutz [sic] de la vie […]». Une comparaison qui ne manque pas de sel venant d’un prototype caricatural du renégat soixante-huitard vendu au capital, immobilier, en l'occurrence, personnifié entre autres par son «ami», le patron de Nexity, qui lui permettra d’enchaîner de juteux contrats de «fabrication de quartiers de villes qui échapperont à l’angoisse du code des marchés publics».

Les dirigeants politiques à qui il a servi de larbin et qui ont en retour servi ses ambitions ont droit à toute sa considération dans son livre. Charles Pasqua, par exemple, alors Président du Conseil général des Hauts-de-Seine, avec qui il «travaille la main dans la main» est présenté comme «un personnage délicieux, d’un bon langage inventif et fleuri, irrésistiblement drôle», «pour la République, un des derniers grands personnages, avec biographie, belle intelligence, amour des citoyens», un portait qui coïncide en tous points… avec l’autoportrait que R. Castro dresse de lui-même dans ce livre. Et gare à qui s’aviserait de pointer les aspects les moins reluisants du rôle politique de feu l’ancien ministre de l’intérieur. Ce serait là rejoindre la cohorte infâme des «bien-pensants feignants de gauche». La flagornerie de R. Castro à l’égard de puissants qui l’ont aidé dans son irrésistible ascension va en effet avec sa détestation des gens qui ne l’ont pas suivi dans les méandres de la servilité où le guidait son arrivisme. Malheur à «Méluche», par exemple, le leader de la F.I. ayant commis le sacrilège de traiter Daniel Cohn-Bendit de «dégénéré», qualificatif inadéquat, il est vrai, avec ses relents d’antisémitisme si on l’applique à l’individu, mais dont le substantif s’applique fort bien au lamentable processus de dépérissement qu’a connu la gauche française une fois enfin parvenue au pouvoir, dans lequel le fondateur du Mouvement du 22 mars a pris une part au moins aussi néfaste que R. Castro.

Tout au long des pages de son opuscule, R. Castro n’arrête pas de s’auto-encenser, parfois de manière plaisante, le plus souvent avec une lourdeur pompeuse assez horripilante. Dans la première catégorie qui seule mérite de retenir l’attention, on relèvera un chapitre énamouré dédié au psychanalyste Jacques Lacan qui, au prix de séances aussi courtes que coûteuses, à aidé son patient à s’extraire d’un gauchisme post-68 destructeur, «une sorte de gauche fasciste» [sic] est-il précisé dans le chapitre précédent, pour aborder la politique comme «l’espace de l’apaisement. Par la Justice. Par l’Éducation. Par la bonne Urbanité. Par le bon gouvernement.» Pour quelqu’un qui, déclare ne s’autoriser, à partir cette rencontre décisive avec le grand prêtre du psychanalysme, à «mener que des projets […] qui ne se présentent pas comme du prêt à penser ou du prête à porter», on a fait mieux ! De fait, toute la littérature de célébration déversée durant des années autour d’une «politique de la ville» censée, sous l’égide du duo formé par R. Castro et son alter ego, l’architecte Michel Cantat-Dupart, «faire la révolution en banlieue», n’est qu’un tissu de lieux communs plus consensuels les uns que les autres, reprenant la vieille antienne spatialiste selon laquelle il suffisait de changer physiquement la ville — en l’occurrence les quartiers dits «sensibles» — pour changer la vie des habitants qui y résidaient. Il est à cet égard assez cocasse que R. Castro persiste à y discerner aujourd’hui encore une réussite, alors que le moins que l’on puisse en dire est que les deux objectifs qu’elle visait, faire reculer à fois la délinquance et le vote Le Pen, relèvent plus que jamais du vœu pieux.

Que dire, en fin de compte, du récit cette reconversion d’un gauchiste défroqué dans le business urbanistico-architectural aux allures de conversion quasi-religieuse, au-delà de la trajectoire personnelle de R. Castro ? Il ne fait qu’illustrer rétrospectivement, de manière bouffonne, ce que recouvrait le mot d’ordre «contestataire» à succès «l’imagination au pouvoir !» : le désir inavoué de la petite bourgeoisie intellectuelle française de prendre une part effective à son exercice, quitte à mettre son «imagination» au service du remodelage des formes — urbaines dans le cas de R. Castro — de la domination bourgeoise. De ce point de vue Mai 68 fut effectivement une «irruption», pour reprendre la métaphore euphorisante du sociologue Henri Lefebvre2. Celle de nouvelles couches montantes refoulées par le type d’alliances de classes qui avait jusqu’alors prévalu avec la petite bourgeoisie traditionnelle, en France comme dans les autres pays du sud européen, et avides de transformer la société de façon à pouvoir y jouer un rôle à la mesure du poids qu’elles y avaient acquis et aussi des ambitions que celui-ci avaient nourries en elles3.

Jean-Pierre Garnier
 

1 Guy Hocquenghem, Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary club, Albin Michel 1986, réédition Agone, «Contre-feux», 2003, dernière édition revue & augmentée avec Préface de Serge Halimi , Agone 2014

2 Henri Lefebvre, «L'irruption de Nanterre au sommet», L’Homme et la Société, année 1968 Réédité sous le titre Mai 68, l’irruption… , Syllepse, 1998

3 Jean-Pierre Garnier, Louis Janover, La deuxième droite, éd. Robert Laffont, 1986. Re-éd. précédée d’un prélude : «Ils ont gagné !», Agone, 2013

Un des derniers témoignages sur notre "octogénaire auto-congratulant", qui semble désormais un peu moins fringant que ne le suggère son auto-hagiographie, par une de ses ex-condisciples ...


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Tag(s) : #Roland Castro, #jean-pierre garnier, #bouffons
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