Stanislas Adotevi 5 juin 2020
Chère amie,
Je viens de lire vos deux puissantes interviews ennoyées par nos amis de ‘’Tropiques’’.
Enfin un texte qui nous permet de respirer. De bien respirer : de l’air frais dans cette atmosphère fétide qui depuis plus de 70 ans nous bouche les narines dans l’espoir vain de nous empêcher de marcher. Tout le discours délirant et grotesque (genre apocalypse}, cette démarche mortifère et révisionniste tendant à minimiser le rôle décisif de l’Union Soviétique, un des piliers de la victoire sur le nazisme et même le Japon en dépit des 2 bombes atomiques.
On sait comment, et vous le démontrez puissamment, comment s’articule ce babillage ridicule et prétendument savamment historique :
1- Sans l’aide américaine à L’URSS (600,000 camions, prêt -bail etc.,) et le débarquement anglo-américain, la guerre n’aurait pu être gagnée !
2- L’Allemagne aurait pu gagner la guerre i.e. battre les russes si Hitler n’était intervenu trop intempestivement et trop souvent dans la stratégie des généraux. Des généraux géniaux au point d’accepter de faire une guerre sans connaitre ni l’histoire ni la géographie ni la démographie du pays ennemi contre lequel ils allaient se battre. . Enfin des généraux dociles et heureux tant qu’ils étaient comblés d’honneurs, des générosités financières et matérielles du’’ Führer’ ’ ; avec l’arrogance de croire qu’iIs allaient, dès les premiers jours, les premières heures, parvenir à une victoire foudroyante : blitz krieg et le fameux coup de pied dans la fourmilière du patron en qui ils ont cru jusqu’à la catastrophe totale. Et lorsque tout foira mortellement ils sortirent du chapeau pour amuser les naïfs, la galerie ; et la clique des bien-pensants de l’Occident la faribole du’’ général hiver. Alors que plus personne aujourd’hui n’ignore qu’après Moscou et Stalingrad, presque toutes les vraies grandes batailles eurent lieu en été de Koursk à Berlin.
Dans une vie antérieure au cours de laquelle j’occupais des fonctions politiques dans mon pays, j’ai eu à deux reprises, pendant des voyages officiels en Allemagne entre 62 et70, l’occasion de rencontrer et de déjeuner à l’État-Major de la Bundeswehr dont ils étaient les conseillers, deux de ces généraux. Déjeuner au demeurant fort copieux et sympathique, si on omet les moments d’éclats de voix et de fureur rentrée. Ils étaient magnifiques les généraux et les colonels de l’État-major. Aucun remords. Rien que le regret d’avoir la perdu la guerre à cause des décisions inspirées, farfelues et évidemment incompétentes du « diabolique » caporal Hitler. A qui ils reconnaissaient cependant d’avoir régénéré la Nation Allemande en la dotant d’une direction, d’ institutions solides et surtout forgeant une armée puissante ; capable de dominer le monde. Ils se mirent en colère lorsque je leur ai demandé quels furent le résultat et la « fin finale » de cette aventure de dément. Ils en accusèrent les américains et les anglais qui, par gloutonnerie et aveuglés par le discours de quelques âmes sensibles oublièrent qu’Hitler était le seul vrai rempart contre le communisme. Ils s’en mordront, dirent-ils, très vite les doigts.
Mon deuxième séjour se fit via Moscou où invité officiel, j’avais insisté pour qu’après les musées, le Bolchoï, Leningrad et les merveilles de l’histoire et de la culture russe, on introduise dans mon programme la visite des grands lieux des grandes batailles de la guerre. Bouleversant ! D’autant plus émouvant que mon accompagnateur était un colonel retraité de l’armée soviétique qui m’expliquait avec passion, science et émotion tout ce qu’il avait vécu pendant la guerre qu’il fit de bout en bout. : l’Ukraine, Moscou, Stalingrad, Koursk, l’Allemagne et Berlin. Il avait été blessé deux fois et sa veste était couverte presqu’entièrement de décorations signe de sa bravoure au combat. Il portait sur lui les photographies des destructions des villes et des villages russes et des atrocités allemandes partout où ces derniers passaient. Il pouvait difficilement contenir sa haine au souvenir de certains évènements dont il fut témoin. Il voulait à tout prix que nous visitions BABY YAR et autres hauts lieux où s’exhala le délire apocalyptique des archanges de la fureur nazie. Cette visite fut pour moi un terrible voyage au bout du temps…
Je rejoignis L’Allemagne à BAD-GODESGERG ancienne capitale de de la République Fédérale. La réception par le protocole fut aimable et parfaite. Mon séjour comprenait outre les autres obligations, une séance de travail au Ministère de la Défense suivie d’un diner avec le ministre et deux de mes compagnons généraux de la première visite. Je ne comprendrai la raison de leur présence qu’au jour de mon départ. Au café, l’allemand qui avait été le plus agressif au premier passage et qui savait que je venais de l’URSS me demanda si les Russes ont eu le temps de se civiliser depuis la guerre. L’ayant prié de me dire les raisons de sa question. Il me parla des viols aussi bien que des destructions qui eurent lieu dans toutes les villes de l’Allemagne sous occupation russe. Enfin si mes amis m’avaient montré les Goulags ?. Le Ministre voulut mettre fin au diner. Je le priai de me laisser répondre. Il accepta agacé. Avec calme et sang-froid, J’ai fait savoir que :
1- Pour les destructions de villes c’étaient leurs amis américains et anglais qui avaient conduit les raids sur les villes allemandes. Ce qui normalement ne devait pas l’étonner, car les raids de terreur qui avaient ravagé les villes et villages toute L’Europe avaient été le fait de l’aviation nazie.
2- pour les viols, sans justifier aucunement ce qui s’était passé en Allemagne, ce que j’avais découvert dans des centaines de villes et de villages russes ajoutés à toutes les atrocités qui font froid dans le dos aujourd’hui encore, lui interdisait tout droit à la parole. L’autre général me répondit que c’était l’œuvre des. SS. J’en convins a moitié pour BABY YAR. Il garda un silence triste pour ce qui touchait aux autres champs de bataille et de la terreur dans tous les pays sous la botte du führer
3- Enfin en ce qui concerne les goulags que je n’ai pu visiter, c’était un fait d’histoire que l’Allemagne d’Hitler fut le premier pays européen où fleurirent et prospérèrent sur toute son étendue les Camps de concentration destinés d’abord aux allemands hostiles à la politique nazie : les communistes, les socialistes, les chrétiens démocrates, les intellectuels de gauche et tous ceux qui refusaient les débordements schizophréniques du nazisme. etc. Enfin tous les allogènes à la morale nazie de surhomme : les malades mentaux, les homo-sexuels, les enfants de malformation congénitale. Je parlais, parlais, parlais, sans savoir quand j’allais m’arrêter J’étais essoufflé Je transpirais. Puis, sans savoir comment, ni pourquoi, je me suis tu. Il y eut un long silence. Puis le même général reprit la parole de manière incongrue pour affirmer que mon discours était inspiré du discours de certains communistes ou de certains hommes d’extrême gauche qui n’ont jamais voulu voir ce que Hitler avait fait de bon, notamment la résurrection de l’Allemagne et surtout sa lutte contre le danger du communisme qui menaçait le monde : le vrai danger qui continue de menacer le monde. En niant par aveuglement les conséquences humaines et sociales de la folie meurtrière de Staline. Le Ministre mit brutalement fin à la séance. Me prit de côté pour des excuses. Et me pria de garder le contact avec lui. Ce que je fis quelque temps.
Je fus rejoint à l’aéroport par Madame la responsable de Protocole, le Secrétaire d’Etat du Ministère délégué spécial du Ministre pour renouveler ses excuses. Toute cette agitation frisant quelque peu l’obséquiosité m’intrigua. L’explication viendra de la cheffe de protocole et surtout du général silencieux au cours de nos deux discussions. Aristocrate issu d’une grande famille de Prusse pleine de mépris pour Hitler Il me rapporta que le Ministre était sincèrement désolé et furieux du comportement inacceptable de l’autre général qui fut un ami d’enfance qu’il perdit de vue pendant la guerre à cause de sa proximité frénétique avec les officiers nazis. Il échappa au tribunal de Nuremberg et fit amende honorable.et retrouva son ami devenu ministre civil. Ayant appris par l’Etat-Major que j’étais venu pour un contrat portant sur la réception de parachutes il demanda, parce qu’il souhaitait venir en Afrique comme conseiller technique assister au déjeuner. Ce que le Ministre, loin de s’attendre à tant de goujaterie de la part de son ami. accepta. Jusqu’à ma démission du Gouvernement quelques six mois après mon retour je ne recevrai aucune demande émanant de lui. J’ai appris qu’il travailla un ou deux ans au Ghana avec Hanna Reitsh. Puis, plus tard dans l’Afrique du Sud raciste, comme conseiller des commandos chargés de liquider les nationalistes sud-africains et angolais.
Chère Madame, chère amie Je suis désolé de vous avoir épuisée par tout ce bavardage, cette ratatouille où tout semble se mêler : l’histoire, mes propres problèmes, mes témoignages personnels et la chance d’avoir vu face à face les reliquats de cette culture de tueurs et de monstres par millions, Puis la lecture fréquente de vos textes m’ont confirmé dans l’assurance d’une adéquation totale avec vous. Adéquation prenant racine dans une collusion essentielle. A l’allure où vont les choses, dans le monde tel qu’il est dominé aujourd’hui, vous verrez qu’avant la fin du siècle, Hitler sera canonisé puisqu’il a voulu nous débarrasser du communisme …
Merci chère amie de m’avoir comblé de vos deux interviewes qui m’ont vraiment bouleversé.
A bientôt, chère amie, avec mes plus sincères et les plus cordiales salutations
Stanislas
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Réponse d'Annie Lacroix-Riz
Cher ami, cher collègue,
J’ai été extrêmement touchée par votre message et, en tant qu’historienne, particulièrement intéressée par le témoignage précis que vous apportez sur vos contacts de 1962 et 1970 avec des officiers supérieurs de RFA.
J’y ai retrouvé tout ce que les archives du Quai d’Orsay m’avaient livré dès les années 1990, où j’ai consacré plusieurs articles au réarmement allemand, parus dans des revues très confidentielles : les fonds sont intarissables sur la morgue des officiers de la Wehrmacht que Washington (comme Londres) n’avait cessé de flatter depuis 1945 (et même pendant la guerre, comme l’attestent l’organisation de la relève britannique de la Wehrmacht en Grèce et l’opération Sunrise de Dulles en Italie du Nord.
Recevez, cher ami, cher collègue, mes plus amicales pensées.
Annie
PS. Je viens de découvrir qu’était publié ce mois-ci un ouvrage allemand que je vais lire au plus vite, Hannes Heer / Christian Streit, Vernichtungskrieg im Osten. Judenmord, Kriegsgefangene und Hungerpolitik, Hamburg, VSA Verlag, juin 2020 (Streit est justement tenu, depuis 1978, pour le plus précoce et grand historien, en Allemagne occidentale, des crimes de la Wehrmacht : Keine Kameraden. Die Wehrmacht und die sowjetischen Kriegsgefangenen 1941–1945).
Voilà une étude qui n’oublie pas la masse de toutes les « victimes innocentes » de la guerre d’extermination de l’impérialisme allemand, dont « 30 millions en Union Soviétique ». Elle mérite publicité, et surtout, traduction, et je m’y emploierai dans la mesure de mes modestes moyens.