
La ventre de la bête est encore fécond ...*
À en juger, du moins, par la manière dé-confinée dont est commémorée par Frédéric Taddei la fin de la deuxième guerre mondiale, invitant à exposer ses thèses sur ce vaste sujet..."controversé", un premier de cordée de la presse la plus ouvertement droitière, anti-communiste et réactionnaire. Le ci-devant Jean Lopez, opportunément bombardé au statut d'historien ... de circonstance, et "cerise sur le gateau" présenté comme représentatif du “consensus historique tel qu’il existe aujourd’hui”. Sans doute, dans l'esprit de F.Taddeï, le genre de consensus coutumier du volapück des courageux "briseurs de tabou" appointés par l'idéologie dominante; et supposé validé par de non moins improbables et indiscernables sociétés savantes telles que la “communauté scientifique” ou la “communauté internationale”, sans parler de celle des historiens ... "de référence".

Cette banalité du mal s'aggrave ici d'une sorte d’inquiétante étrangeté quand on sait que F.Taddeï a intitulé péremptoirement "Interdit d'interdire" son "talk-show" mondain pour diners en ville crypto-complotistes.
Dont la "bande annonce" prévient le chaland qu'on "y écoute ceux qui ne sont pas d'accord", qu'on "y invite les plus compétents" ( Lopez comme historien par exemple !) et surtout qu'on y "reçoit ceux qu'on ne voit pas ailleurs". Une conclusion assez cocasse quand on sait le matraquage médiatique dont ont fait l'objet l'invité et son livre ... et pour cause.
C'est pourquoi, nous sommes assez réconfortés de pouvoir diffuser le beau texte qui suit, ainsi que la correspondance fort instructive qu'a occasionné cette diffusion.
* "Le ventre est encore fécond d'où a surgi la bête immonde".
Bertolt Brecht dans sa pièce posthume "La Résistible ascension d’Arturo Ui"

CHRONIQUES DE LA VOLGA
Stalingrad, Lundi 15 Mai 1945
Depuis le 8 mai une tristesse douloureuse s’est installé en moi…. Comment la capitulation des fascistes Allemands a put avoir eu lieu en ce début de mai à Reims, et après et seulement après, à Berlin devant Joukov ? Une reddition à Reims, en France même pas en Allemagne ! Et en plus sans un représentant de notre Quartier Général, la Stavka…
Comment tout cela a pu être possible ?
Comme si nos sacrifices durant ces 4 années de guerre étaient passé au second plan devant les faciles avancées Anglo Américaines, qui depuis février ont plus passé de temps à recueillir des soldats Allemands qui se rendaient qu’à les combattre ; comme si la piètre et tardive participation de la France Libre à la victoire pouvait se comparer aux sacrifices de nos soldats, de notre peuple, de notre terre.
Nos alliés ont agis égoïstement comme si la guerre avait débuté le 6 juin 1944, et leur anti communisme a repris le dessus, effaçant nos souffrances, nos douleurs, nos blessures. Cela ne présage rien de bon.
Dans ce timide printemps les pentes du Kurgan Mamayev sont encore resté nues ; aucune herbe, aucun fleur, rien qu’une nudité aride et obscure. La terre n’est plus la terre, c’est un humus d’acier fait d’éclats d’obus, de balles, de casques, tant les combats y ont été intenses, et qui ne laisse fleurir que les larmes et le souvenir.
Stalingrad est en train de renaître lentement, la vie s’infiltre partout dans les ruines et la Volga s’étire, indolente, après des mois passés bloquée dans les glaces. A sa surface, percent des épaves de bateaux, comme des mains appelant au secours dans le silence de la mémoire.
Elena Viktorovna Reisner
Extrait d'une correspondance
d'Annie Lacroix-Riz avec Didier Feldmann
Cher Didier,
Merci beaucoup pour ce très beau texte d’Elena Steiner, que je transmets à des amis, qui pourront du même coup découvrir vos « Chroniques de la Volga », documentaire que vous avez eu l’amabilité de m’adresser et dont nous avons récemment discuté. Ce texte émouvant d’une Soviétique de Stalingrad me rappelle le propos d’Ilya Ehrenbourg vers la fin de son si beau livre, La Tempête, sur le retour précoce de l’anticommunisme contre les héros communistes et soviétiques de la Résistance, indispensables aux Anglo-Américains pour l’emporter contre la Wehrmacht, mais écartés du festin de la victoire, qu’ils fussent soviétiques ou non-soviétiques : tels les FTP de France, puisque, comme le disait Jacques Duclos, à l’Assemblée nationale, le 17 décembre 1946, à la veille de la première exclusion des ministres communistes (avant le « gouvernement socialiste homogène » de Blum de décembre 1946-janvier 1947) « les ouvriers, c’est bon pour produire, c’est bon pour se battre, […] c’est bon pour payer mais ce n’est pas bon pour gouverner au même titre que les autres citoyens », Journal Officiel des Débats, 18 décembre 1946, p. 107).
Les scientifiques qui s’acquittent correctement de leur travail professionnel font l’objet, quand ils ont l’audace inouïe de demeurer marxistes, des mêmes vetos insultants, même là, et c’est très préoccupant, où on eût pu croire à la volonté d’un certain anticonformisme. Je vous transmets ci-dessous un échange avec M. Taddeï, qui se fixe désormais pour mission de livrer aux spectateurs de RT le seul « consensus historique » établi, et, je le rappelle, quotidiennement déversé par les médias dominants, écrits et audiovisuels et qui écarte tout « dissident » au motif qu’il serait « controversé ».
J’ai d’ailleurs fait connaître au rédacteur en chef de RT mon avis sur cet exclusivisme et cette allusion déplacée à mon « engagement », sans lien avec notre affaire, en ces termes : « j’ai été sidérée que M. Taddeï définisse désormais “Interdit d’interdire” comme une émission chargée de “faire état du consensus historique tel qu’il existe aujourd’hui”, dans une France médiatique qui l’a chassé du service public de télévision, l’a traité de traître à la nation quand il a été embauché par la chaîne de télévision des “ennemis” russes et ne cesse de définir RT comme une agence de “fake news” au service de Moscou. »
Bref, « l’interdit » fonctionne comme devant.
L’échange avec M. Taddeï est à lire ci-dessous.
Amicalement,
Annie Lacroix-Riz
De : Annie Lacroix-Riz
Date : vendredi 8 mai 2020 à 23:19
À : " David Bobin, Carla Martin Costantini Objet : Demande d'intervention historique sur RT
Cher M. Bobin, chère Carla,
Je ne dispose pas de l’adresse de M. Taddeï, qui m’a en 2018, aimablement reçue pour un débat sur le « populisme », en compagnie de divers interlocuteurs, et je vous remercie par avance de lui transmettre le présent courriel.
Un correspondant, très surpris, m’a communiqué les deux liens correspondant à la réception du journaliste Jean Lopez dans un « Interdit d’interdire » de deux heures, et m’a demandé d’y réagir après visionnage.
Dans l’heure consacrée au « front de l’Ouest » (https://francais.rt.com/
Puis, M. Lopez a décrit le rôle de l’URSS dans la Deuxième Guerre mondiale, en des termes assez bien résumés par l’interview qu’il a accordée au Figaro du 8 mai 2020 (https://www.lefigaro.fr/vox/
Ce qu’a longuement et sans contradiction pu exposer M. Lopez, sur les fronts tant de l’Est que de l’Ouest correspond strictement à ce qu’on pourrait appeler la Doxa idéologique qui triomphe en France et dans tout « l’Occident » (désormais fort vaste) depuis plusieurs décennies, mais est démenti par les travaux scientifiques de chercheurs tant occidentaux qu’orientaux
Je ne doute pas que M. Taddeï, qui apprécie l’esprit critique et la démonstration sur pièces, et dont la célèbre émission porte le beau titre d’« Interdit d’interdire » me permette de présenter, dans les mêmes conditions, les arguments scientifiques concernant la Deuxième Guerre mondiale tant à l’Ouest qu’à l’Est. Ainsi sera respectée la démarche déontologique qui prévaut d’ordinaire sur le plateau culturel de la chaîne RT, désormais confiné.
Bien cordialement,
Annie Lacroix-Riz, professeur émérite d’histoire contemporaine, chercheuse en activité
De : Carla Martin Costantini
Envoyé : samedi 9 mai 2020 15:15
À ; Annie Lacroix-Riz, David Bobin
Objet : Re: Demande d'intervention historique sur RT
Chère Annie,
Merci beaucoup pour votre message. Je l’ai transmis à Frédéric Taddeï qui vous adresse la réponse suivante. Excellent weekend,
Bien à vous,
Carla Costantini
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Chère Madame,
J’ai choisi de donner la parole à un seul historien pour pouvoir couvrir en deux heures la totalité de la Seconde guerre mondiale. Si j’avais organisé un débat, il m’aurait fallu vingt émissions. Et comme je voulais un seul historien, j’ai donné la parole au directeur de « Guerre & Histoire », dont le travail couvre la totalité de la période, dont j’ai lu la plupart des livres, et dont les conclusions sont tout à fait représentatives de ce que disent les historiens soixante-quinze ans après la victoire sur l’Allemagne nazie, ce que vous appelez "la Doxa idéologique qui triomphe en France et dans tout l’Occident désormais fort vaste ». Après tout, il s’agit d’une émission sur le 75e anniversaire, il me paraît donc normal de faire état du consensus historique tel qu’il existe aujourd’hui. Je sais toutefois que l’Histoire n’est pas une science exacte, qu’il s’agit d’un discours sur le réel, que ce discours n’est jamais unanimement partagé et qu’il est susceptible d’évoluer avec le temps, mais je ne peux pas accorder un droit de réponse à tout historien qui m’en fera la demande sous prétexte qu’il n'est pas d’accord avec l’ensemble des chercheurs. Je connais vos travaux, je respecte votre engagement. Reconnaissez néanmoins que si c’était à vous que j’avais donné la parole, à la place de Jean Lopez, j’aurais reçu beaucoup plus de plaintes d’historiens. Là, vous êtes la seule.
Bien à vous.
Frédéric Taddeï
De : Annie Lacroix-Riz
Envoyé : samedi 9 mai 2020 16:29
À : 'Carla Martin Costantini'
Cc : David Bobin
Objet : RE: Demande d'intervention historique sur RT
Cher Monsieur,
Je vous remercie de votre prompte réponse. Assurément, ma réception eût provoqué des réactions, comme, je le présume, toutes vos invitations à des intellectuels divers et souvent iconoclastes. Mais, d’une part, les envois de mes correspondants suggèrent que l’invitation de M. Lopez, dans des conditions exceptionnelles de non-contestation, suscite aussi de nombreuses réactions. Et, d’autre part, vous ne redoutez pas le contact avec les « dissidents » de la Doxa, vous en avez reçu bien d’autres, même lorsque vous exerciez sur France 2, où je n’ai jamais été moi-même invitée, et beaucoup plus depuis que vous exercez sur RT, plus que jamais depuis 2019, des hommes surtout, des femmes aussi, telle ma collègue Pinçon-Charlot, https://www.youtube.com/watch?
Par ailleurs vous avez reçu, seul, sans contradiction, et pour deux épisodes d’« Interdit d’interdire » un journaliste, d’ailleurs très tardif (https://fr.wikipedia.org/
Votre émission ne m’a jamais semblé souhaiter exposer la seule Doxa, pas davantage, concernant l’Histoire, le seul « consensus historique tel qu’il existe aujourd’hui » non pas d’ailleurs au sein de la communauté scientifique internationale, mais en France, où la situation scientifique de l’historiographie dominante est une des pires de la communauté internationale : voir mon ouvrage L’histoire contemporaine toujours sous influence, dont une réédition actuelle dresserait un tableau plus effrayant encore. J’y songe, d’ailleurs.
Je suis effectivement très isolée par rapport à mes collègues « bien-pensants » et à des journalistes tels que M. Lopez, dont la promotion médiatique est, vous le savez, universelle, comme l’a encore montré Le Figaro du 8 mai. Mais je ne suis pas isolée au sein de la communauté scientifique internationale, dont la production est largement inconnue en France parce que presque systématiquement non traduite. Mon « engagement », je présume que vous faites ici allusion à mon engagement politique, est sans rapport avec le sujet, pas plus, je le présume, que vous n’avez souhaité prendre en compte l’« engagement » politique de votre interlocuteur. Je maintiens que ce dernier émet une série de contrevérités énormes, appuyées de références catégoriques (et méprisantes pour les éventuels contradicteurs) aux « documents » qu’il n’a jamais dépouillés. Je ne sollicite pas l’invitation d’une historienne marxiste ou communiste, je sollicite la possibilité de contester, de façon scientifique et argumentée, une série d’affirmations non scientifiques. Concernant, par exemple, la Résistance, la responsabilité des non-militaires et notamment « les grands industriels » dans la Débâcle de la France, le rôle réel des dirigeants présumés républicains, le rôle du front de l’Ouest, la question des alliances internationales, la collaboration, économique et politique, mes ouvrages, qui vous ont été adressés systématiquement, établissent, archives à l’appui, des faits qui ne doivent rien à mon « engagement ». Qu’ils n’entrent pas en contradiction avec ce dernier relève de ma liberté politique, pas de mon métier d’historienne.
J’aimerais réfléchir sur votre thèse selon laquelle « l’Histoire n’est pas une science exacte », mais un simple « discours sur le réel » : discours, ou interprétation, admettons, « sur le réel », c’est-à-dire, j’y insiste, sur des faits que les sources originales croisées, convergentes, établissent solidement, faits entièrement distincts du « discours », terme par lequel vous désignez leur interprétation. Je ne sache pas que ma modeste contribution à votre débat sur le « populisme » ait provoqué une chute d’audience de votre émission ni l’indignation de vos habitués. Je m’obstine donc à solliciter de vous une émission où vous m’interrogeriez, dans des conditions équivalentes, sur les questions évoquées ci-dessus, et qui autoriserait le débat de fait qui n’a pu avoir lieu au cours des deux heures accordées à M. Lopez. Un ami qui s’intéresse particulièrement à l’Union Soviétique et à la Russie, avec hautes compétences, m’a suggéré une proposition de « débat aux environs du 2 septembre, […] anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale (Japon) et le moment choisi par M. Poutine pour “remettre le 9 mai. On espère être alors sorti du corona. »
Bien entendu, comme vous le savez, je suis par ailleurs disposée, à tout moment, à tout débat, formule qui a légitimé une émission qui « interdit d’interdire », et qui ne s’est pas donné pour mission de présenter la « pensée [historique] unique » d’Apocalypse-France 2, L’Express, du Point, du Figaro et alia.
Bien cordialement,
Annie Lacroix-Riz