Canfin, Jadot, Berger, L'Oréal, Coca-Cola...
Tous unis pour une «relance verte européenne» ?
Pour ceux qui se demandaient ce que faisait la Confédération européenne des syndicats pour défendre les travailleurs, la réponse nous est donnée de Bruxelles : elle était avec les PDG de L’Oréal, de Coca-Cola et consorts et la grande presse (la leur) pour nous tisser un avenir transitionnel et réenchanté, avec Berger à sa tête, lequel concède que parler de la « réforme des retraites », qu’il a tant voulue, est pour l’heure inopportun. On a le temps.
Lettre d'Annie Lacroix-Riz
adressée à ses collègues du SNESUP
Chers camarades,
Qui pense sérieusement au « développement durable » avec un tel équipage?
Qui pense qu’on va changer le monde avec ceux qui tiennent le présent monde, certes avec des complicités de nombre de délégués de « ceux d’en bas »?
Et tant qu’à ironiser sur Lénine-vieille lune, il est bon de lire ses propos de 1915 sur « les États-Unis d’Europe » dans un monde impérialiste : « à propos du mot d’ordre des États-Unis d’Europe », Le Social-démocrate, n° 44, 23 août 1915. Œuvres, tome 21, p. 351‑356.
Et si on ironisait, à bon droit, sur l’Union sacrée qui a fait tant de mal, et qu’on nous ressort toute fraîche, à l’aide de comparaisons fleuries avec la Grande Guerre (boucherie impérialiste, osera-t-on le rappeler : Jacques Pauwels, 1914-1918, la Grande Guerre des classes, Paris, Delga, 2016 ?)
Il faut bien dire que l’histoire réelle de l’Union européenne (Aux origines du carcan européen, 1900-1960. La France sous influence allemande et américaine, Paris, Delga-Le temps des cerises, réédition augmentée, 2016), a entièrement donné raison au vieux Lénine, toutes choses égales d’ailleurs, le « néo-colonialisme » ayant remplacé « le colonialisme ».
Je ne parle pas de la légende dorée de « l’Europe », dont l’histoire académique a été forgée sur le modèle des Mémoires de Monnet, eux-mêmes mitonnés sur fonds CIA (pardon, « fondations philanthropiques ») de « guerre culturelle » (enfin, « culturelle », c’est au sens très élastique du terme, qui comprend tout) : le très réactionnaire Philippe de Villiers l’a certes écrit en 2019, mais avant lui l’immense historiographie anglophone dont la population française est soigneusement tenue à l’écart grâce à la non-traduction obstinée. Mais attention, même l’historiographie en langue française commence à aborder, et ça va continuer, cette fâcheuse question du financement CIA, quasi illimité, qui, depuis 1948-1949, avec la complète collaboration de nos autorités et ministères (dont, cela va de soi, celui des Affaires étrangères), a conduit avec une efficacité redoutable nos pays, intellectuels compris et même en très bon rang, les plus honorés ayant en la matière un rôle de propagande essentiel, à haïr plus que tout le socialisme, l’URSS, les communistes, etc. C’est renversant, vraiment, et les « complotistes » ne sont pas là où on les soupçonne : c’est en haut qu’ils se trouvent, en France et à l’étranger, mandatés à la durable duperie des populations d’un « monde libre » aux frontières si élargies depuis 1989…
Chez nous, règne la légende de la bonne et bienveillante Europe unie, régulièrement entretenue, avant, pendant les élections, entre les élections, du genre de cette « pétition » où le grand capital, des PDG de l’Oréal et Renault à l’ex-PDG d’Unilever, des bienfaiteurs notoires de l’écologie, et la presse dudit capital voisinent avec les très vertes et écologiques championnes des privatisations (lisez, lisez les notices!) Mmes Borne et Poirson , M. Berger, le chef de la Confédération européenne des syndicats et des élus européistes divers, y compris présumés de « gauche » écologique. Légende indestructible, et ça va durer jusqu’à quel degré de destruction dont la Grèce a fourni le modèle, d’ailleurs inachevé? « L’Europe » peut faire mieux encore, elle va le faire, si les populations, intellectuels inclus, ne réagissent pas.
Voici la liste complète des 180 signataires de « l’appel à mobilisation » (en anglais comme il se doit : Green Recovery) en faveur d’une « alliance européenne pour une relance verte » : « Nous appelons à une alliance mondiale de décideurs politiques, de chefs d'entreprise et de dirigeants financiers, de syndicats, d'ONG, de groupes de réflexion et de parties prenantes à soutenir et à mettre en œuvre la mise en place de paquets d'investissement pour la relance verte et la biodiversité, qui serviront d'accélérateurs de la transition vers la neutralité climatique et des écosystèmes sains. Nous nous engageons à travailler ensemble, à partager nos connaissances, à échanger notre expertise et à créer des synergies pour mettre en place les décisions d’investissements dont nous avons besoin. »
On est étreint par l’émotion, on ne rigole pas surtout (c’est pourtant nettement plus rigolo et grotesque que d’invoquer Lénine). Ils sont classés dans l’ordre alphabétique, n’est-ce pas charmant, touchant et démocratique que de mettre les chefs (d’entreprise, comme il se doit) et leurs (sous-)lieutenants sans respecter la vraie hiérarchie?
Le voilà « le monde de demain », « plus jamais ça! », « tous ensemble! », dans l’ordre alphabétique!: https://www.actu-
Notons que le slogan des « États-Unis d’Europe » devint le grand « mot d’ordre » des partisans, notamment français, de « l’Europe » germanique dans les années 1930 et 1940 (les textes, déclarations publiques ou archives, sont renversants, j’en ai tout plein à disposition, avec en tête le brave Flandin, l’homme du télégramme de félicitations à Hitler après Munich). Je vais d’ailleurs les afficher sur mon site, pour consultation, « Textes Europe concours 2007-2009, session 2008-2009 », sur un sujet concocté par des historiens européistes distingués (« L’académisme contre l’Histoire », paru du 18 au 23 mai 2019, pour nous faire expier l’affreux résultat du référendum de mai 2005 dont le quinzième anniversaire approche. C’est un peu long, cette série 1923-1966, mais c’est à la fois si horrifiant et instructif.
L’histoire, toujours l’histoire, pour éclairer le présent…
Amitiés syndicalistes,
Annie Lacroix-Riz