Cher Éric,
Je vous remercie de l’envoi de ce texte sur Michelin et un de ses candidats aux élections, sous la bannière LREM, importante contribution à la connaissance des liens organiques entre grand patronat et fascisme français, que je communique à plusieurs correspondants : il mérite de circuler très largement, sur les plans tant local que national. Les destinataires du présent courriel pourront juger, d’une part, des connaissances historiques postulées par Eric Faidy, haut cadre de Michelin et candidat LREM de Clermont-Ferrand (Internet fournit une ample documentation : https://dirigeants.bfmtv.com/
Les champions et bailleurs de fonds décisifs de la Cagoule transformés en « démocrates », on aura décidément tout vu en ce 21e siècle de casse de l’histoire et de transformation des loups en agneaux (et inversement).
Bien cordialement,
Annie
Il serait très utile que vous affectiez un lien à ce texte, pour qu’on puisse le faire plus largement circuler, par exemple sur les listes universitaires, dont les membres ont été appelés en 2017 par leurs associations professionnelles diverses à voter pour l’« antifasciste » Macron au second tour des présidentielles.
http://chec.uca.fr/article539.
On trouvera sur la Cagoule en général, et les Michelin en particulier, des informations dans Le choix de la défaite et De Munich à Vichy (index Michelin, Cagoule et CSAR). Sous l’Occupation, « Résistance » extrêmement tardive (que confirme votre texte sur les persécutions anticommunistes et la collaboration policière maintenues en 1943), très liée à la conjoncture politico-militaire générale et limitée à la volonté de ne pas vendre tous les bijoux de famille à l’étranger (voir les prestations de Citroën, propriété Michelin, égales à celles de toute l’automobile), voir Industriels et banquiers français sous l’Occupation, index Michelin et Citroën.
Le candidat Michelin, Eric Faidy, comme barrage au fascisme ?
“Face à de telles méthodes, il ne faut pas regarder ailleurs. Dans le passé, le déchainement (sic) contre les locaux des partis politiques et des syndicats a toujours précédé l’avènement du fascisme, accompagné d’étranges connivences entre rouges et bruns. Tous ensemble, étouffons dans l’oeuf cette tentation de revenir aux heures les plus sombres de notre histoire. [ ] C’est pourquoi je propose à tous ceux qui sont attachés aux valeurs de la République et à la liberté d’expression, au maire de Clermont-Ferrand, Olivier Bianchi, comme aux différents candidats à la mairie, aux partis et aux syndicats, de dénoncer clairement et publiquement de tels agissements contraires à ce que nous sommes, quelles que soient nos différences.”
(Eric Faidy, Appel aux amis de la démocratie, 14 janvier 2020)
Ainsi s’exprime le candidat de La République en Marche à la mairie de Clermont-Ferrand, Eric Faidy, dénonçant “une horde hurlante” ayant voulu assister et intervenir lors de sa cérémonie des voeux le 11 janvier.
Lire un haut cadre Michelin, candidat aux municipales de Clermont-Ferrand, la ville de Michelin, qualifier de "fascistes" des travailleurs et syndicalistes en lutte pour être venus perturber sa réunion, n’est pas seulement une calomnie, c’est surtout se présenter à bon compte comme la victime du fascisme alors que depuis plus d’un siècle, la famille Michelin et certains de ses hauts cadres n’ont pas manqué d’être du côté du fascisme, contre les travailleurs, contre les syndicalistes, contre les droits démocratiques.
Souvenons-nous :
En mai 1920, pour la première fois, les Bibs se mettent en grève, plusieurs jours. La troupe intervient à cheval. Il y a des dizaines de blessés. Plusieurs dizaines d’ouvriers sont condamnés, le jeune syndicat est décapité. Édouard Michelin mis immédiatement en place une Garde civique, forte de près de 200 salariés Michelin triés sur le volet, entraînés aux sports de combats, au tir, portant des matraques. L’une des principales armes utilisées en 1920 et les années suivantes fut les lances à incendie pulvérisant de l’eau bouillante. Elle fonctionna au moins jusqu’à 1930. Cette organisation n’avait pas seulement pour but la défense de l’usine et de ses alentours, elle constitua en réalité une formation d’attaque et de combat dont le champ d’opération pouvait être étendu suivant les desseins patronaux. Elle fut d’ailleurs placée sous la haute protection du général Balfourier, un des généraux de la 1ére GM, en retraite.
Ainsi, la Garde intervient par exemple en 1928 pour déloger des militants socialistes en campagne électoral devant les usines. En octobre 1927, la Garde, menée par Borrot, chauffeur de Marcel Michelin, tente de déclencher une bagarre lors d’une réunion de la SFIO à Pérignat-les-Sarlièves.
En juin 1936, la direction Michelin empêche physiquement l’occupation de son siège, les Carmes, en faisant appel à plusieurs centaines de cadres, contremaîtres, la plupart membres des Croix-de-Feu du colonel de la Roque, une organisation de la droite autoritaire. Michelin finançait depuis plusieurs années cette ligue qui fut dissoute suite à la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées, en réponse aux émeutes du 6 février 1934.
Craignant la réaction ouvrière, plusieurs dizaines d’entre eux décident alors de s’unir dans un groupe d’autodéfense (les Enfants d’Auvergne), organisation secrète, soutenue et financée dès son origine par Pierre Michelin, le nouveau grand patron. Des mitraillettes sont achetées, des liens sont rapidement tissés avec ce qui au niveau national fut bientôt désigné sous le sobriquet de la Cagoule, une organisation de plusieurs milliers d’hommes, puissamment armée, se donnant l’objectif de renverser le gouvernement Blum et d’imposer une dictature militaire. Environ 300 hommes rejoindront le groupe d'autodéfense, le groupe le mieux armé au niveau national.
Le 8 septembre 1936, pour s’opposer à une nouvelle occupation de leurs usines, les dirigeants Michelin, Marcel et Pierre Michelin en tête, sont à l’initiative de l’occupation de la préfecture du Puy-de-Dôme pendant toute une journée, aux côtés de plus de 1500 salariés et de nombreux cadres Croix-de-Feu ou du groupe d’auto-défense. Ce jour-là, Michelin ne faisait pas appel à l’opinion publique et aux élus pour défendre les valeurs républicaines !
C’est Pierre Michelin qui fut le principal bailleur de fonds de la Cagoule avant de se tuer accidentellement fin décembre 1937, une dizaine de jours avant que le complot soit dévoilé. Le scandale survint suite à l’arrestation d’un ingénieur Michelin, Pierre Locuty, auteur d’un attentat le 11 septembre à Paris au siège du patronat, tuant deux policiers de faction. La Cagoule avait voulu faire croire à un attentat communiste et espérait en retour un coup d’État militaire à la Franco.
Pierre Michelin a soutenu l’une des organisations fascistes les plus dangereuses pour la République, une organisation qui ouvertement s’en prenait aux libertés démocratiques. Michelin d’ailleurs n’était-il pas celui qui depuis des décennies s’en prenait aux droits démocratiques en chassant impitoyablement tout militant syndicaliste, socialiste et surtout communiste identifié dans l’entreprise, en refusant de reconnaître le droit de grève et de se syndiquer ?
Arriva ensuite septembre 1939 et l’interdiction du Parti Communiste et la dissolution du syndicat CGT Michelin (70000 adhérents en 1938 sur environ 10000 salariés). Ce fut la curée : Michelin profita de la mobilisation pour se débarrasser de très nombreux militants communistes et CGT.
« Michelin a demandé à mes services le licenciement de 108 membres de son personnel parce que vous êtes catalogués communistes et parce que vous sabotez la Défense Nationale et nuisez à la production. » répond l’inspecteur du travail à Hélène Marret, ex déléguée du personnel, licenciée le 30 janvier 1940.
Le 26 novembre 1940, un cadre Michelin, dont les rapports de police ne nous livrent pas l’identité, est reçu par le préfet et le commissaire. Il leur livre une liste de 55 suspects “actifs chez Michelin”, faisant de la “propagande communiste ou de nature à nuire aux intérêts de l’État”. Cette même personne, rapporte le commissaire, « affirme sur l'honneur que les gens qui y sont désignés méritent tous l'internement dans un Camp ; aucun fait matériel pouvant permettre l'ouverture d'une information judiciaire ne pouvant être étayé. » Bref, Michelin demande l’internement de dizaines de salariés sans avoir le moindre élément à charge contre eux !
Michelin, en particulier par le biais de son chef du personnel, dénonça en 1940, 1941, 1942 et même 1943, oui 1943, plusieurs ouvriers accusés soit de propos contre le gouvernement, soit d’avoir distribués des tracts ou inscrits des slogans au sein de l’usine. Certains des militants arrêtés furent lourdement condamnés après ces dénonciations.
Défenseur des valeurs républicaines face au fascisme, Michelin ?
Le 30 juin 1941, une cérémonie de Salut aux couleurs est organisée au stade de l’ASM devant plusieurs milliers d’enfants des écoles Michelin.
A l’arrière, un immense portrait du Maréchal Pétain. Le directeur d’une des écoles fit un discours inspiré des préceptes du maréchal.
Nous pourrions évoquer aussi l’attitude de Michelin dans l’Italie fasciste et les louanges dressées à Mussolini dans le bulletin de la société Michelin à Turin, notamment après la brutale conquête de l’Ethiopie. Le titre introduisant ce numéro spécial consacré à cette conquête est sans ambiguïté : « Les brillants architectes de la plus formidable entreprise coloniale dans l’histoire » avec la photographie de Mussolini en militaire casqué pour illustrer ! Et en bandeau de ces titres dithyrambiques, Bibendum déploie un drapeau italien assis au- devant d’un char entrant dans un village indigène où là encore la population acclame les conquérants.
En 1936, Franco prit le contrôle d’une partie de l’Espagne et notamment du Pays Basque. Michelin continua de faire tourner son usine de San Sebastian, travaillant uniquement pour fournir des pneus aux troupes franquistes. Michelin envoya ses ingénieurs et ouvriers pour faire tourner l’usine alors que le gouvernement Blum refusait lui d’aider les Républicains et interdisait en principe l’aide aux franquistes.
Eric Panthou,
15 janvier 2020