Acte 18.
Fin des stocks, braderie de printemps.
Les Gilets jaunes ont pour l’instant marqué de nombreux points, exactement dix huit. Dix huit fois, ils ont battu le pavé et se sont appropriés les centres des villes ‘pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur’. Ils font face à l’impéritie d’un gouvernement qui a fait enregistrer ce samedi 16 mars au petit matin par seulement 27 voix (15 députés se sont prononcés contre et trois se sont abstenus) la loi qui autorise l’Etat à vendre à l’encan Aéroports de Paris, la Française des Jeux et Engie. Dans le cadre du Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), les députés ont approuvé la disposition permettant à l'État de passer sous le seuil d'un tiers du capital d'Engie et d'ouvrir à des investisseurs privés le capital de GRTgaz, sa filiale spécialisée dans le transport du gaz. Le Sénat qui n’est pas un repère de bolcheviks a trouvé à redire sur la modification du régime juridique d’ADP qui l’ouvre à la privatisation (concession de 70 ans, une éternité !) tant en raison de son absurdité budgétaire que pour l’impact stratégique de l’abandon d’un service quasi-régalien. Il bénéficie d’une situation de monopole, véritable nœud aéroportuaire très difficile à contourner pour la flotte commerciale ou de transport des passagers laissant présager de l’augmentation des taxes d’aéroport ce qui conduira dès lors à l’asséchement des revenus touristiques. Beaucoup peinent à comprendre les raisons qui poussent les promoteurs de la loi à céder des actifs qui ont une rentabilité de 3,5% voire 4,1% l’an contre un placement dans les fonds pour l’innovation qui ne restitue qu’à peine 2,5% de rendement.
Cette grande braderie est censée également désendetter l’Etat.
Mais un silence religieux entoure l’escroquerie à grande échelle organisée en faveur des banques privées par la politique d’assouplissement monétaire pratiqué par la BCE depuis janvier 2015. La Banque rachète des actifs financiers le plus souvent de mauvaise qualité aux banques et donc leur fournit des liquidités dans un contexte de taux d’intérêts quasi-nuls. En mars 2016, la BCE abaisse de nouveau ses taux directeurs, étend ses rachats aux obligations d’entreprises et augmente leur volume à 80 milliards par mois contre 30 jusque là. Ces liquidités jamais réapparues dans l’économie productive sont allées dans l’activité purement spéculative. Le gouvernement français en vendant les biens de la Nation leur offre un débouché fort avantageux.
Pour les distraits, on récapitule. La Dette souveraine française va être allégée grâce aux liquidités accordées par la BCE, la Banque centrale du Japon qui s’est livrée au même exercice de création monétaire et la Fed aux institutions financières vis-à-vis desquelles la France s’est endettée. Quelle étrange parenté avec le dépeçage des biens de l’URSS sous le règne de Eltsine !
Pour ceux qui n'ont pas suivi, la première saison.
Le Bran Dégât
Parmi les revendications explicites d’un mouvement en évolution constante depuis son émergence, il porte celui de la défense des services publics. Les règles ‘encore assouplies’ pour l’épargne retraite sont une avancée de plus vers la privatisation programmée de la retraite par répartition gérée par le fonds mutualisé de la Sécurité sociale.
L’intrépide jeune homme mis à la tête de l’Etat pour accélérer les réformes d’une France qui s’auto-administre les remèdes infligés par la Troïka à une Grèce agonisante, ragaillardi par un séjour sur une poudreuse bien blanche promet de sévir. Lors de l’Acte 18, des dégradations sur de nombreuses devantures de commerce, banques et cafés restaurants ont eu lieu dans la suite d’une confrontation avec les forces de l’ordre au cours desquelles des manifestants se sont fait abondamment gazés assez tôt dans la matinée. A plusieurs centaines de mètres de l’Arc de Triomphe, les puissantes effluves des lacrymogènes incapacitants et asphyxiants font pleurer et tousser dès 11 heures du matin. Manifester ses opinions publiquement, droit constitutionnel, est devenu un sport de combat dangereux car les risques de mutilation sont importants et les chances d’arrestation et de condamnation qui entachent un casier judiciaire non négligeables.
L’esquive adroitement montée par les ‘communicants’ du palais de l’Elysée du Bran Dégât national a vite tourné en une superproduction Monologues d’un Roi en bras de chemises sans aucun succès populaire. Les chaînes télévisuelles qui consolident le système en relayant et en amplifiant les discours des vrais donneurs d’ordre ont renoncé à retransmettre les braillements du plus authentiquement détesté Président de la République française, la 5ème. . La chute d’audience dès la quatrième prestation du celui qui a raté 3 fois le concours à l’entrée de l’Ecole Normale Supérieure les a découragées. Le ton et l’esprit de la chose ont été donnée d’emblée, ‘Je garde le cap’ de la déconstruction des principes et droits qui ont permis la reconstruction du pays au sortir de la guerre initiée par l’Allemagne nazie vite étendue à la planète. Aidée en grande part par le prêt de banques privées américaines dans le cadre du plan Marshall, la France s’était relevée en développant un secteur industriel étatique innovant et en instituant des mécanismes de solidarité dans le domaine de la santé, des retraites et de l’éducation tout en glissant sous la coupe politique des Usa. Il ne faut rien laisser ni des entreprises nationales (EDF, SNCF, etc..) alors assimilées à du service public édifiées par un effort national ni des organismes vouées à la santé, à la retraite et bientôt à l’instruction publique rebaptisée Education nationale. En effet ce qui se cache sous le partenariat public et privé n’est rien d’autre que le début d’une privatisation de l’enseignement supérieur et les frais de scolarité appliqués aux étudiants étrangers n’en est qu’une porte d’entrée à peine dérobée.
Le Jour d’après.
Les Gilets Jaunes dans un bel ensemble ont refusé de faire figuration dans le Grand Monologue car ni la façon éhontée avec laquelle le soliloqueur menait une campagne électorale pour les européennes ne leur convenait. Ni l’issue qui allait lui être donnée- le dépouillement et le traitement des doléances allaient recevoir un traitement statistique digne de la Monarchie en marche, ne pouvait satisfaire leur soif aiguë et inextinguible pour une démocratie vraie.
En effet, pour ceux qui se posent la question d’Après, celle du jour J Plus 1, qu’ils remisent leur angoisse de la page blanche. Les Gilets Jaunes, chaque groupe dans son coin, quartier, arrondissement, ville, rond-point tiennent des assemblées générales et décident démocratiquement de la conduite de leurs affaires. Du moins, ils apprennent à la faire. Ils discutent jusqu’à obtenir un consensus auquel tous adhèrent car chacun a été convaincu.
Ils sont loin de la représentation, fut-elle stochastique, comme l’aléatoire proposée par Etienne Chouard. Dans certaines circonstances, il se dégage un accord pour désigner des mandatés dont la mission est limitée dans le temps et à une tache particulière. Le plus souvent les mandatés sont ‘observés’ par qui veut bien les accompagner dans leur mission.
Ce fut le cas lors de l’assemblée des assemblées à Commercy. A Saint-Nazaire, cet exercice de démocratie directe sera encore à l’œuvre.
Pas de panique, les Gilets Jaunes prendront tout leur temps pour rédiger une nouvelle constitution entourée des moyens nécessaire pour son application. L’exemple de l’absence de gouvernement en Belgique de nombreux mois en 2007-2008 puis en 2010-2011 ne signifie en rien chaos et doit rassurer ceux qui se sentiraient orphelins de leurs chaînes. L’administration française a pléthore de règlements qui continueront à être appliqués sans préjudice pour les citoyens ordinaires.
Les principes qui guideront cette constituante tourneront autour de deux axiomes programmatiques.
Ce qui a été ou est obtenu par un effort collectif appartient à la collectivité, le mode de gestion de cette collectivisation des biens publics restera à déterminer. Il faudra veiller à empêcher la tentation bureaucratique et faire participer aux décisions qui concernent le commun le plus grand nombre. Les expériences révolutionnaires précédentes ont montré un abandon de ces tâches aux plus tenaces qui se peuvent se transformer vite en nouveaux maîtres une fois passé l’enthousiasme lié à l’explosion de la victoire. D’autant que tout processus d’enfantement d’une nouvelle société est long, étalé dans le temps et épuisant physiquement.
Toute production doit être pensée et évaluée en fonction de l’usage des produits qui en résulte et non de leur valeur marchande en est le deuxième. Au fur et à mesure, l’espace marchand ne sera plus qu’un échange d’usages sans que cela ne signifie le retour à une structure économique basée sur le troc. Bien entendu, l’usage escompté tiendra compte que certaines ressources naturelles sont limitées et il intégrera son impact écologique.
Déter**
Certains membres des forces de l’ordre se seraient épanchés et auraient avoué leur étonnement de ne pas avoir reçu les instructions pour empêcher la casse des vitrines* aux Champs Elysées. Il est vrai que la diffusion en boucle des trous béants dans les boutiques aux adresses prestigieuses peut impressionner certains tenants de la ‘crédibilité’ de ce mouvement inédit auprès des medias dominants. Mais pas la femme ni l’homme qui n’a plus de ressources dès le 15 parfois le 10 du mois et qui y sont indifférents mais s’en sont réjouis à peine secrètement. Inédit car sans chef, protéiforme, radical dans sa volonté de transformation sociale exprimée dans des exigences concrètes qui ne supportent pas la procrastination.
Non, un auvent détruit ou une vitre pulvérisée ne sont d’aucune gravité en regard aux milliers de vie dévastées par la précarité et/ou le chômage.
Peut-être même cela fait-il partie d’une stratégie de sortie du joueur de poker qui a longuement fréquenté la pègre marseillaise, le Castagneur et éborgneur en chef. En aucun cas, y compris l’institution d’un Etat d’urgence (de sur-Urgence tant cette mesure a été dévalorisée par la dernière carte social-démocrate représentée par un Hollande) ne découragera cette vague jaune, portée par le réel d’une indigence intolérable et le désir de la reconquête de la simple dignité.
Cette ‘Jaune et Jolie’ insurrection est regardée, contemplée, analysée par tous les gueux européens. Mais également d’outre Méditerranée. Les manifestations du vendredi en Algérie et celle en France le samedi sont des répons dans un chant vibrant d’espoir et se portent l’une l’autre. Notre tache est de bouter Macron, la leur est de ‘BoutezFlika’.
Badia Benjelloun
18 mars 2018
* toutes nos condoléances aux familles des vitrines.
** Déter pour déterminés dans la langue Gilets Jaunes