Je prends la parole en tant qu’africaine et arabe pour dire nos adieux à Samir Amin, qu’il repose en paix, Nous avons perdu un grand homme, une immense bibliothèque et un militant infatigable.
Un théoricien majeur qui a exprimé avec limpidité le caractère d’emblée impérialiste du capitalisme. Le capitalisme clive toute société en classes aux intérêts antagonistes, il divise aussi le monde en une zone centrale dominante et en une périphérie insérée dans son système global de force par la Dette ou la Canonnière. Cet apport conceptuel fondamental n’a été pas été assez intégré ni par les marxologues ni par les praticiens du communisme dans les pays du Centre. Samir Amin parlait depuis cette périphérie, il était africain et arabe.
Samir Amine avait participé aux réformes du nassérisme deuxième période, celui d’après Bandung. Nasser avait compris après l’agression tripartite de 1956 et les conditions de financement inacceptables des Usa du projet du haut barrage que le développement de l’Egypte serait impossible si elle restait dans le giron de l’impérialisme. Samir Amine a été recruté dès sa thèse terminée dans l’Institution économique qui a eu pour tâche d’égyptianiser et nationaliser les banques, les assurances et les services d’imports, de donner les orientations de développement agricole et industriel et d’assurer une réforme agraire qui n’a pas abouti. Cette formidable avancée comportait en germe ses limites : l’ultime légitimité a été donnée à l’institution militaire et non au peuple avec toutes les dérives d’autoritarisme et de clientélisme qui en découlent. Il en a tiré de nombreuses leçons.
La courte parenthèse du nationalisme arabe anti-impérialiste ouverte par la victoire de 1956 a été refermée par la défaite militaire de 1967, agression impérialiste dans laquelle la participation insigne de la France tout comme celle des Usa est encore occultée.
Samir Amine a su rester un jeune homme à l’intelligence vive, toujours en alerte, avec cette grandeur qui lui permettait de réviser ses jugements s’ils s’avéraient erronés. Ce qu’il a fait quand il s’est agi du coup d’Etat de Sissi. Les manifestations qui l’ont favorisé ont été orchestrées par les pétrodollars dont disposaient les militaires et qui ont tant manqué au président élu. Nous avions encore à discuter de la plasticité de l’Islam. Instrumentalisé par les puissances impérialistes pour avancer leurs projets sous la forme d’un islam politique réactionnaire grâce aux escadrons de la mort d’Al Qaïda qui essaiment partout. Mais l’Islam peut aussi être une arme idéologique révolutionnaire comme le montrent la vie et l’œuvre du soudanais Mahmoud Mohamed Taha théologien pendu par Numeïri pour ses positions en faveur de la démocratie. Samir Amine a préfacé de manière lumineuse la traduction de son livre le deuxième message de l’Islam ou la vocation libératrice de l‘islam.
L’honorer c’est œuvrer à travailler inlassablement à trouver les solutions politiques qui mineront l’impérialisme sous sa forme actuelle- concentré tau point qu’Apple a une capitalisation boursière de 1000 milliards de dollars, financiarisé et militarisé à l’extrême- et qui a rejeté à la périphérie émergente le rôle d’usines du monde.
Le socialisme peut-il naître dans d’autres conditions qu’une guerre de libération nationale et simultanément révolution sociale comme ce fut le cas pour l’URSS, la Chine et Cuba alors que le colonialisme formel a été aboli aujourd’hui partout sauf par Israël ?
Quelles alliances de classes construire ? Quelles étapes s’assigner pour parvenir au socialisme?
Quelle solidarité internationale concrète devrait entrer en action quand des insurrections et des changements de régime annoncent des révolutions ? Solidarité qui a fait tant défaut aux Tunisiens et aux Egyptiens par exemple ?
La construction de l’internationale des travailleurs et des peuples dont il a laissé le projet à l’état d’ébauche est une urgence réelle qu’il nous faut assurer car la dislocation en cours du système pétrodollar peut conduire à une régression barbare. L’hypothèse de sa fin par guerre mondialisée qui anéantirait l’humanité recule, la puissance militaire conjuguée de la Chine et de la Russie est désormais supérieure à celle du monde occidental.
Le glissement vers la barbarie oui, nous y assistons déjà, ce sont les destructions programmées des pays du MO et d’Afrique en cours. Ce sont les destructions d’économies et de sociétés entières au gré des activités spéculatives du centre.
Je prie le Très Haut qu’Il l’accueille dans sa Miséricorde.
Badia Benjelloun