Mouvements centrifuges dans l'UE.

Badia Benjelloun

 

L’Union européenne est en train de connaître un double mouvement qui conduira s’il persistait à sa désintégration. Sa construction, progressivement élaborée depuis la seconde guerre mondiale selon les vœux de la puissance étasunienne, devenue le prêteur des pays d’Europe occidentale détruits sans avoir subi aucune perte, arrivée à son terme révèle la non viabilité de son objet. L’union économique et accessoirement politique est une chimère, une entité composite faite d’unités hétérogènes.

La ‘guerre commerciale’ entamée par les Usa sous forme de relèvement des taxes douanières va frapper durement les exportations de l’UE en particulier allemandes. Les plaidoyers encore il y a peu avec grandes envolées lyriques en faveur d’une circulation des marchandises et des flux financiers sans entraves qui avaient présidé à l’organisation de l’OMC et d’autres partenariats régionaux comme l’ALENA se sont taris. Ils se sont heurtés à l’effet que la libéralisation avait induit, le développement économique considérable de la Chine qu’elles avaient induit. Dix ans après la crise financière des crédits  de piètre qualité (vendus partout pour leur haute rentabilité proportionnelle au risque de leur non recouvrement), la solution qui l’avait jugulée ne peut plus secourir l’économie des Usa. Le Quantitative Easing, impression de papier monnaie dispensé largement aux établissement financiers en déroute, a sauvé les grosse banques sans remédier à une production industrielle demeurée atone. L’analyse de l’emploi montre que le chômage s’est surtout résorbé par la création d’emplois précaires et à temps partiel dans des secteurs des services comme la restauration.

 

Trump déploie le protectionnisme qu’il avait annoncé dans son programme électoral pour créer de l’emploi consistant et favoriser une reprise de l’industrie. L’échec de cette ambitieuse démarche est prévisible en raison de la très étroite interdépendance de toutes les économies tissée par des décennies de délocalisations ayant configuré une distribution internationale du travail, une dissémination des produits financiers et la perte de la nationalité des entreprises dès lors qu’elles sont cotées en bourse. Les décisions qui seront appliquées par Bruxelles vont dépendre du poids respectifs des lobbies européistes et eurasiatiques face aux atlantistes, ces derniers semblent perdre de leur prépondérance. Les amendes infligées à la BNP, les frégates Mistral commandées et payées mais non livrées à la Russie, la vente d’Alstom Energie à General Electric, sans que l’Etat français n’aie opposé son veto au titre de la protection d’un intérêt national, montrent le degré de vassalité de la France tout en excitant le camp des souverainistes dont les intérêts se portent plutôt vers l’Est. Ce ne sont pas les piteuses démarches auprès des tribunaux de l’OMC qui trancheront la question, toute loi (et son application) résulte d’un rapport de forces.

 

Dans l’agrégat européen, certains pays, gros exportateurs comme l’Allemagne 1700 milliards de dollars (3ème mondial) et premier devant la Chine et l’Arabie Séoudite pour son excédent commercial qui se place loin devant la France 794 milliards de dollars (6ème mondial) * devraient être enclins à davantage de fermeté que les importateurs nets.

Cette mesure protectionniste est venue renforcer les nouvelles sanctions décidées contre la Russie et l’Iran qui ne lèsent réellement que les pays européens.

Taxes douanières et sanctions sont le couple de forces appliquées aux impérialismes périphériques français et allemand pour les contenir dans leur périmètre et forcer en l’Allemagne à réduire sa balance (trop) excédentaire. Face aux Usa, les pays de l’Union européenne risquent de se présenter en ordre dispersé et saper leur cohésion toute relative.

Le second topos autour duquel se noue la dislocation de l’Union concerne les déficits publics des pays de l’Union. Seuls l’Allemagne et les Pays-Bas se placent au-dessus de la ligne de flottaison des 3% fixés par la réglementation communautaire.

L’Allemagne a bénéficié des avantages du marché unique pour ses exportations en Europe tout en conservant une monnaie forte, l’euro est un deutsche mark imposé à une communauté de pays ligotés par une monnaie unique dépourvus du levier d’une politique des changes. Elle refuse maintenant de collectiviser les pertes, déficits et dettes accumulés par ses partenaires principalement en raison de sa domination économique.

Elle récuse par la voie de 154 économistes (1) le MES, Mécanisme européen de Stabilité mis en place dans la suite du désastre de 2007-2008 et de la crise grecque, ne sert joue comme un fond d’assurance pour les emprunts d’Etats qu’elle juge impécunieux.

 

La BCE, dans le sillage de la Fed et de sa politique dite d’assouplissement monétaire, a racheté sous formes d’obligations des dettes d’abord publiques puis privées (2). Le gonflement monétaire qui en résulte affaiblit l’euro. Cette perspective est inacceptable pour un pays obsédé par les souvenirs de l’inflation et ses dramatiques conséquences qui n’ont été pas moins que les prémisses de la seconde guerre mondiale.

 

Il commence à s’envisager publiquement en Allemagne la possibilité de sortie ordonnée de l’Euro des pays du Sud. L’Italie semble s’acheminer vers un détachement du carcan en n’écartant pas l’hypothèse d’une monnaie nationale parallèle. Les taux auxquels les Etats qui s’émanciperont de la tutelle de la BCE emprunteront sur les marchés financiers grimperont sans les mécanismes de garantie européens, mais au moins, ils réorganiseront leur production et seront plus compétitifs que s’ils demeuraient sous le joug de l’euro. La lente agonie infligée à la Grèce est LE contre-exemple à ne pas imiter.

 

 

Le Royaume-Uni pour sa part a amorcé la prise du large et retrouvé son insularité sous les effets inexorables du Brexit même si le processus s’avère sinueux et accuse des retards.

Il apparaît que seuls les dirigeants actuels de la France ne prennent pas la mesure du mouvement centrifuge qui éloignent les 27 les uns des autres. Pourtant, elle se range parmi les cinq pays qui ont connu la plus faible croissance en 2017, près de 1,6% versus l’Allemagne 2,2% (3) . L’Allemagne dont la croissance du PIB a été stimulée par l’accueil des migrants s’oriente vers son marché intérieur (4) et redoute la création de bulles en particulier sur l’immobilier par le maintien de la politique de la BCE, taux bas et rachat des dettes publiques. Elle ne veut plus s’embarrasser des problèmes de son plus vieux partenaire et ancien ennemi.

 

A cet égard, la remarque taquine adressée par Poutine à Macron lorsque celui-ci a été reçu à Saint-Pétersbourg à l’occasion du Forum Economique prend toute sa saveur. Poutine en tsar débonnaire conseillait Macron, l’encourageant à ne pas avoir peur, peur de quitter l’OTAN et l’Union Européenne. (5)

 

Badia Benjelloun

5 juin 2018

 

  • Données de la Banque Mondiale de 2015 non actualisées.

  1. http://www.faz.net/aktuell/wirtschaft/eurokrise/oekonomen-aufruf-euro-darf-nicht-in-haftungsunion-fuehren-15600325.html

  2. https://www.lemonde.fr/economie/article/2016/07/19/la-bce-rachete-les-dettes-des-groupes-du-cac-40_4971700_3234.html

  3. https://www.touteleurope.eu/actualite/la-croissance-en-europe.html

  4. https://francais.rt.com/international/51035-emmanuel-il-ne-faut-pas-avoir-peur-vladimir-pas-peur-video

  5. https://francais.rt.com/international/51035-emmanuel-il-ne-faut-pas-avoir-peur-vladimir-pas-peur-video

Tag(s) : #badia benjelloun, #économie, #géopolitique
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