Inaugurant en juin 2016, les deux dernières tranches d’un programme de logements de l’opération de « rénovation urbaine » Clichy-Batignolles, dans le 17e arrondissement de Paris, Anne Hidalgo, plus contente d’elle-même que jamais, en avait profité pour se féliciter d’« avoir tenu sa promesse de favoriser la mixité sociale et l’innovation architecturale dans les nouveaux quartiers de la capitale ». Et Le Moniteur, gazette chère aux capitalistes de l’immobilier, de surenchérire avec complaisance en titrant : « Aux Batignolles, Anne Hidalgo fait l’éloge de sa politique de la ville »1. La maire de Paris avait effectivement de quoi pavoiser !

C’est en effet sous la houlette de cette éminente représentante politique de la petite bourgeoisie intellectuelle parisienne, que cette opération prévue pour accueillir 3 400 logements et près de 150 000 m2 de bureaux à terme avait été lancée au début des années 2000 sur 54 hectares de terrains, avec un parc central d’environ 100 000 m². Anne Hidalgo présidait alors le conseil d'administration de la Société Publique d'Aménagement (SPA) Paris-Batignolles Aménagement créée à cet effet en tant que première adjointe du sémillant maire PS Bertrand Delanoë, chargée des questions d'urbanisme. Lui succédera une autre politicienne de la deuxième droite, Annick Lepetit, conseillère et députée de Paris, qui, lors de la cérémonie de son intronisation, n'avait pas manqué de « saluer la vision et la détermination » de celle à qui elle devait sa promotion. Au service d’une « politique de la ville » favorisant la « mixité sociale » ? Vaste blague ! Car on a affaire, avec ce projet en cours d'achèvement, à un parfait échantillon d'une politique urbaine destinée à satisfaire à la fois les désirs des nouveaux résidents qu'il s'agissait d'attirer, l'électorat néo-petit-bourgeois rose-vert de Delanöe, Hidalgo et Cie, et les intérêts de la bourgeoisie immobilière (les groupes Nexity, Vinci, Effage, Cogedim...) en quête de « friches urbaines » (ferroviaires, en l'occurrence) pour y faire du blé.


Exemple de projet d'urbanisme mixtifiant, vert, créatif et innovant,
promu par Mme Hidalgo dans le périmètre des logements sociaux parisiens.

Rapportés dans la gazette cité plus haut, les propos mêmes de Anne Hidalgo révèlent au demeurant la visée réelle de la « requalification urbaine » opérée dans secteur du nord-ouest parisien : « enrayer la fuite des classes moyennes, chassées par l’envolée des prix de l’immobilier ». En langue peu châtiée mais claire : notre électorat risque de foutre le camp, maintenons-le sur place et faisons en sorte qu'il s'accroisse. Comme c'est souvent le cas dans la « politique de la ville » — en, fait le polissage de sa composition sociologique —, la mince part réservée aux logements dit sociaux témoigne de la mixité sociale très relative de l'habitat programmé: elle n'est en outre accessible qu'à du CSP + mais bas de gamme — le bobotariat — et non aux prolos. À cet égard, Ian Brossat, un normalien affilié au PCF nommé adjoint au logement, à l'habitat durable [sic] et à l'hébergement d'urgence [re-sic] dans la fine équipe municipale de A. Hidalgo, est passé maître dans l'art du «mixage social». Hors de question, en effet, pour lui et ses supérieurs publics ou privés de mélanger les torchons populaires avec les serviettes néo-petites bourgeoises.

« Nous avons su éviter, s’était réjouie A. Hildago, de faire construire pour des investisseurs étrangers des immeubles dans lesquels personne ne peut se loger ». Sauf les bourgeois, aurait-elle pu préciser. Il est vrai que la zone des Batignolles, même « réhabilitée », ne compte pas parmi les « beaux quartiers » et que, toute façon, ce n’est pas cet électorat huppé qui intéresse la maire de Paris. Quant aux investisseurs qui ont misé sur la nouvelle zone d’aménagement concertée (ZAC)… en leur compagnie, ils sont effectivement français, mais si, avec eux « on a réussi, en travaillant directement sur le programme, à faire revenir les classes moyennes », comme le signalait encore A. Hidalgo, décidément intarissable sur le succès de l’opération, c'est parce que l'on a pu préalablement y contenir la spéculation foncière par une règlementation adaptée. Une condition favorable voire indispensable, aurait-pu ajouter la maire de Paris, à une spéculation immobilière qui, toute « encadrée » qu'elle soit, n'autorise pas toutefois à loger n'importe qui dans un de ces hauts lieux de l’urbanité contemporaine telle que la ZAC de Clichy-Batignolles.

Reste à savoir ce qui a pu rendre attractif ce nouvel ensemble urbain aux yeux des résidents visés. « Un éco-quartier intelligent ». Telle serait, en pure novlangue techno-communicante, la caractéristique majeure qui les aurait séduit. Or, il se trouve que l’un des aléas de ma vie professionnelle m’a donné l’occasion de côtoyer à l’École Spéciale d’Architecture où j’enseignais alors, l'architecte en chef de l’opération Clichy-Batignolles, François Grether, qui a toujours pris soin — à juste titre — de dissuader ses étudiants de me choisir comme membre de leur jury pour leur diplôme, compte tenu de mes écrits et de ma réputation « gauchistes ». C'est lui qui a orchestré la genèse et le suivi de ce modèle de « renouvellement urbain » en vogue au cours de la période jospinienne et poursuivi par la suite sans encombre au-delà des « alternances » politiciennes. Et il faut dire que la vision de ce bâtisseur, Grand prix de l’urbanisme 2012, qui a œuvré aussi, entre autres, à l’édification de ces merveilles du patrimoine urbain hexagonal que sont Confluence à Lyon, Euralille à Lille ou Seine-Rive gauche dans la capitale, correspond en tous points à ce que les élus locaux de la gauche rosâtre-verdâtre attendent d’un homme (ou d’une femme) de l’art pour donner une image pimpante à l’urbanisme de classe qui porte leur marque.

Très symbolique, déjà, de l'idéologie pseudo-progressiste des promoteurs et des bénéficiaires attendus du projet, est l'appellation choisie pour le parc aménagé avec plan d’eau en son cœur: Martin Luther King. « Élément de convergence », « fédérateur », selon F. Grether et sa paysagiste associée, ce parc attesterait à lui seul de son caractère indubitablement écologique confirmé par un 1er rôle dans la web-série documentaire sur les éco-quartiers diffusée sur Arte TV et le Grand Prix « Ville durable » accordé en 2016 à l'Atelier Grether dans le cadre du concours international Green Building & City Solutions Awards. Dommage toutefois qu’issus des environs encore mal peuplés malgré la « gentrification » en cours, des « racailleux » empêcheurs de jogger en rond viennent de temps à autre troubler la quiétude et la convivialité de cet « écrin de verdure ouvert à tous » propice au « vivre ensemble » ! Quant à l’« intelligence », mise au service elle aussi de la qualité environnementale, elle se matérialiserait dans la litanie habituelle des innovations technologiques « vertes » : profusion de toitures végétalisées et de panneaux photovoltaïques, recours à l’énergie géothermique profonde, collecte pneumatique des déchets, création d’espaces paysagers au sein des îlots d’habitation, sans oublier un « bassin biotope » garant de la diversité de la faune et de la flore.

Terminons par le bilan socio-politique de la « mutation » de cet espace parisien. Il est globalement positif. Ne participe t-il pas de plein droit de l'avènement de ce « Paris sans le peuple » analysé et critiqué avec pertinence par la géographe « radicale » Anne Clerval2 ? Voilà en effet qu’un « lieu jadis mal famé voué à la prostitution et aux trafiques en toute genre » (dixit l'une des pubs de la SPA Paris-Batignolles) figure aujourd'hui, comme il fallait s'y attendre pour ce genre d'opération de « requalification urbaine innovante », comme un « laboratoire de la ville de demain » qui ne peut être testée que par des citadins de qualité.

Jean-Pierre Garnier

1 LE MONITEUR.FR - 21/06/16

2 Anne Clerval, Paris sans le peuple La gentrification de la capitale, La Découverte 2012 Rééd. Poche 2016.

 

Réhabilitation innovante et créative des congères de trottoir parisien

 

Tag(s) : #liberté d'expression, #jean-pierre garnier, #urbanisme, #escrologie
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