Le Bolchevisme contre l'Europe : exposition internationale
organisée par le gouvernement de Vichy, de collaboration avec l'Allemagne nazie
En Juillet Août 1942 sous le haut patronage du Secrétariat général à l'information
Correspondance à propos de la commémoration à l’initiative de l’Etat d’Israël des « Justes parmi les Nations » et d’un projet de portrait de Blanche Molino en qualité de « Juste ».
Transmise par Pierre Roubaud
Table des matières :
(1) Lettre de Cindy Biesse (notée CB) à Pierre Roubaud (noté PR) et François Roubaud ;
(2) Projet de réponse de PR à CB ;
(3) Relativement à ce projet de réponse, les points de vue (commentés par PR) de Jacques Roubaud, Jean-Michel Goux, Denis Lemercier, François Roubaud ( en pièce jointe PDF);
(4) texte corrigé de la réponse de PR à CB.
(1)
Le 13 09 2017,
Cindy Biesse a écrit :
Messieurs,
Je vous envoie ce courriel grâce aux conseils de Micha Roumiantzeff. Je me nomme Cindy Biesse: je suis agrégée d'histoire et j'ai soutenu une thèse en décembre 2015 sur les Justes parmi les nations et le sauvetage juif en région Rhône Alpes. Un projet de publication aux éditions Vendémiaires est en cours. J'ai choisi pour ce faire de me concentrer sur le portrait de quelques Justes féminines dont Blanche Molino. C'est là la raison de cette prise de contact. Seriez-vous prêts à m'aider dans cette entreprise ? Accepteriez-vous de me fournir des informations sur Blanche ?
Je vous remercie d'ores et déjà pour l'aide que vous voudrez bien m'apporter
Cordialement
Cindy Biesse
Pierre Roubaud a écrit un projet de réponse :
Madame,
Je vous remercie d’avoir pensé à nous comme source d’informations dans le cadre de vos recherches sur l’histoire de cet aspect de la Résistance française que fut le « sauvetage » des victimes de certaines persécutions nazies.
A l’adresse suivante, sur internet https://yadvashem-france.org/les-justes-parmi-les-nations/qui-sont-les-justes/, je lis :
Au cours d’une cérémonie officielle, le Représentant de l’Ambassade d’Israël remet aux « Justes parmi les Nations» ou à leurs ayants-droits, une médaille gravée à leur nom ainsi qu’un diplôme d’honneur. Leurs noms sont inscrits sur le mur d’honneur du Jardin des « Justes parmi les Nations » de Yad Vashem, à Jérusalem. Les noms des Justes parmi les Nations de France sont également inscrits à Paris, dans l’Allée des Justes, près du Mémorial de la Shoah, rue Geoffroy l’Asnier.
Ceci-dit, il est évident que j’apporterai tout mon soutien à une démarche visant effectivement à la fois :
(3)
Relativement au projet de réponse reproduit ci-dessus, les avis de Jacques Roubaud, Jean-Michel Goux, Denis Lemercier, François Roubaud (commentaires de Pierre Roubaud) ;
Voir pièce jointe en PDF.
Relativement au projet de réponse reproduit ci-dessus, les avis de Jacques Roubaud, Jean-Michel Goux, Denis Lemercier, François Roubaud
(4)
Le 01 10 2017, Pierre Roubaud a présenté
une nouvelle version corrigée de sa lettre-réponse à Cindy Biesse :
Madame,
Je vous remercie d’avoir pensé à nous comme source d’informations dans le cadre de vos passionnantes recherches sur l’histoire de cet aspect de la Résistance française que fut le « sauvetage » de certaines victimes dites « juives » des persécutions nazies.
Cependant, j’ai tout de suite été troublé par l’expression « sauvetage juif » que je trouve dans votre message en lieu et place de l’expression qui selon moi s’imposait : « sauvetage des victimes du nazisme dites « juives » par les nazis ».
En effet, en ce qui concerne l’œuvre de ma grand-mère, ce n’est pas la personne auteur du sauvetage qui peut être qualifiée de « juive », mais celle de certaines des personnes qu’elle a contribué à sauver.
Et encore, je voudrais être certain que vous ne tombez pas dans ce travers à mes yeux insupportable de qualifier automatiquement du nom de « Juif » les personnes que les nazis avaient ainsi qualifiées, reprenant ainsi implicitement à votre compte les critères que ceux-ci avaient adoptés dans ce but, alors que nombre d’entre elles, dont certaines que j’ai personnellement connues, avaient toujours refusé d’être considérées comme telles ! Ce n’était pas aux nazis de décider suivant leurs critères racistes, qui était « juif », et qui ne l’était pas. De même, ce n’est pas à l’Etat d’Israël d’en décider rétrospectivement i. Au contraire, il n’appartenait qu’aux victimes du nazisme elles-mêmes de décider si elles revendiquaient ou non d’être ainsi qualifiée. De même, il n’est pas tolérable de voir certaines personnes encore aujourd’hui être appelées « juives » contre leur gré, au seul énoncé de leur nom de famille !
Dans l’introduction de sa thèse (p. 14), CB écrit :
« …Yad Vashem se dote en février 1962 d’un département des Justes. La sélection des personnes à titulariser est encore balbutiante : elle revient au Président de Yad Vashem, ses décisions étant ensuite ratifiées par le Comité Exécutif. L’année suivante, une commission est mise sur pied afin d’évaluer chaque cas individuel. Composée de 35 membres, elle comprend trois responsables institutionnels, six représentants des rescapés, des déportés et des partisans, quatre hommes de loi, juges ou avocats, et est présidée par un membre de la Cour Suprême Israélienne. Réunie pour la première fois le 1er février 1963, elle statue, sur la base exclusive de témoignages de juifs sauvés, sur le bienfondé de l’attribution du titre. Deux critères prévalent : le risque encouru et l’absence de tout intérêt financier. Une fois la décision entérinée, une médaille et un diplôme sont délivrés au récipiendaire, son nom gravé sur le Mur des Justes, un arbre planté dans le jardin de Yad Vashem. Par ce geste, les Justes se trouvent « enracinés » dans l’État hébreu. ».
Comment ne pas mettre en relation la dernière phrase de cette citation, et votre recours à l’expression « sauvetage juif » qui tend à annexer au caractère « juif » (au sens de l’Etat Israélien du terme), et au-delà, à l’Etat d’Israël lui-même, en même temps la personnalité du sauveteur et celle de la personne qu’il a sauvée ? Comment ne pas s’indigner de cette récupération posthume des actes héroïques de Résistance que l’on prétend honorer par ceux-là mêmes qui, depuis la fondation de l’Etat d’Israël, (et je pense par exemple au massacre de Sabra et Chatila ou à l’opération « Plomb durci ») se livrent à une politique de rapines et de conquêtes contre laquelle toute personne animée par les valeurs de la Résistance ne peut que se dresser.
Comment ne pas refuser que le soin d’établir la liste des sauveteurs de victimes du nazisme destinés à être honorés soit confié au représentants d’un Etat à propos duquel l’auteur d’un rapport d’une commission des Nations-Unies a pu récemment écrire : « La conclusion la plus importante de ce rapport est, après en examen approfondi des éléments de preuve pertinents, qu’Israël est coupable du crime d’apartheid (comme défini par la convention internationale de 1976 sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid) à l’égard du peuple palestinien dans son ensemble ».ii
A la page 15 de sa thèse, CB écrit :
« Après la Guerre des Six Jours, la communauté juive française se tourne de plus en plus vers ses origines. (…) …les demandes de reconnaissance sont de plus en plus nombreuses, l’objectif étant d’affirmer une forme de lien avec l’État hébreu et de mettre en avant celles et ceux que les juifs considèrent comme des soutiens implicites à l’État d’Israël. ».
Il paraît donc clair que pour CB elle-même, la commémoration des « Justes » représente une opération politique de l’Etat d’Israël cherchant rétrospectivement à parer ses objectifs des vertus de certains des acteurs choisis de la Résistance française.
Je ne voudrais surtout pas que les informations que je pourrais vous fournir à propos de la vie et de l’action de ma grand-mère, soient utilisées dans le cadre de cette entreprise en cours, et qui revient à faire un tri entre les victimes du nazisme, pour, à la faveur de ce tri sélectif, cacher l’appartenance du nazisme à ces catégories historiques plus générales que sont l’impérialisme et le colonialisme.
Isoler les Juifs ou prétendus tels parmi les victimes du nazisme, isoler l’antisémitisme parmi les manifestations racistes de l’idéologie colonialiste, revient à délibérément rompre avec l’esprit et la réalité de la Résistance Française, et, en son sein, en particulier défigurer l’esprit et la réalité de l’œuvre et des convictions laïques de Blanche Molino. Ce serait, à l’échelle mondiale, dénaturer la réalité de la nature véritable de la guerre contre le colonialisme hitlérien.
Il en est de même du privilège mémoriel accordé sous le nom de « Justes » aux auteurs d’actes de résistance parce qu’ils auraient été le fait de personnes « ni politisées, ni armées ». Comme si tous les actes de sauvetage de victimes du nazisme n’avaient pas bénéficié, et au bout du compte n’avaient pas été rendus possibles par l’action de la Résistance politisée et celle de la Résistance armée, à l’échelle nationale et internationale.
A la page 13 de sa thèse, en tête de son introduction et sous le titre « Le Juste, une nouvelle figure mémorielle », CB cite et commente, un « Texte apposé dans la crypte du Panthéon (en), janvier 2007 »
« Hommage de la nation aux Justes de France. Sous la chape de haine et la nuit tombée sur la France dans les années d’Occupation, des lumières, par milliers, refusèrent de s’éteindre. Nommés Justes parmi les nations ou restés anonymes, des femmes et des hommes, de toutes origines et de toutes conditions, ont sauvé des Juifs des persécutions antisémites et des camps d’extermination. Bravant les risques encourus, ils ont incarné l’honneur de la France, ses valeurs de justice, de tolérance et d’humanité. » « Apposée au Panthéon, cette plaque marque le triomphe dans les années 2000 d’une nouvelle figure tant mémorielle qu’historique : le Juste. Ni politisé, ni armé, rarement illustre, il incarne cette France des petites gens, anonyme, nombreuse, ce héros auquel tout un chacun peut s’identifier. »
Mais pourquoi, concernant l’histoire de la Résistance, le « héro auquel tout un chacun peut s’identifier » devrait-il, pour « incarner la France des petites gens, anonyme, nombreuse », n’être « ni politisé ni armé ». Un peu partout en France lors de la Libération les défilés populaires au passage des Résistants armés, dont beaucoup étaient des communistes, n’ont-ils pas témoigné du contraire ? (Cf., par exemple, pris au hasard sur internet : http://www.ecpad.fr/debarquement-de-provence-defile-des-troupes-apres-la-liberation-de-marseille/.
Cf. aussi : https://wikimonde.com/article/Bombardement_de_Marseille_%281944%29, une information qui rend compte de l’écrasement sous les bombes étatsuniennes de la population des quartiers populaires de Marseille qui manifestaient, drapeaux rouges en tête, après s’être libérés à l’appel des communistes.)
Et peut-on accepter, par cette assimilation de « la France des petites gens… » à celle de « Justes ni politisés ni armés », de voir a contrario, le Résistant politisé et le Résistant armé exclus de cette même France ? Une exclusion que CB va confirmer, lorsque (p.16) elle écrit : « Par la diversité des professions qu’ils exercent, de leur localisation géographique, de leur appartenance sociale, les Justes épousent les contours de la société française. (…) Progressivement, partiellement, la figure du Juste se substitue à celle du résistant… ».
« Communiste, pas français », est-ce cela qu’il s’agit de faire implicitement admettre ? Les Résistants politisés, les maquisards armés, n’étaient-ils pas eux aussi inclus dans « les contours de la société française » ? Personnellement, n’ai-je pas des raisons de m’indigner d’une telle exclusion infâmante alors que mon propre père fut l’un des dirigeants de la Résistance unie, armée et non armée, « politisée » et « non politisée » dans laquelle les communistes jouèrent un tout premier rôle ? Alors que mon père et ma mère ont accueilli chez eux des victimes de l’antisémitisme nazi, au risque de sacrifier leur propre vie et celle de leurs quatre enfants en bas âge ! Alors qu’ils ont aussi accueilli au péril de leur vie, ma grand-mère, Blanche Molino recherchée par la Gestapo et dont Cindy Biesse se propose de tracer un portrait enfermé dans la catégorie de « Juste ».
Exit donc, à l’occasion de la commémoration des « Justes », la résistance politisée et armée.
Mais ce n’est pas tout : cette exclusion, ce nettoyage historique, se double d’un trouble jeté sur la véritable attitude de la Résistance communiste, la plus importante parmi les résistances organisées politisées :
« …la Résistance, écrit CB (p.17), pourrait apparaître comme une zone de lumière. Mais le soupçon l’atteint à son tour. Les ouvrages d’Henri Frenay et de Claude Bourdet mettent à mal l’image d’une Résistance unie sous la direction du général de Gaulle. La direction du Parti Communiste est sommée à son tour de faire la lumière sur ses activités jusqu’en 1941. Des attaques sont lancées contre d’éminents dirigeants de la Résistance : Jean Moulin est ainsi accusé par Henri Frenay de connivence avec le Parti Communiste Français ; le couple Aubrac doit répondre de ses actes lors d’une table ronde tenue par des experts en 1997. Le prestige de la Résistance recule. Elle est même accusée d’indifférence envers le sort des juifs. ».
Que pourra retenir le lecteur de ce paragraphe de la thèse de Cindy Biesse dont la publication est annoncée, sinon, sur l’air de la calomnie, des accusations lancées en particulier contre le Parti Communiste Français, sans, à aucun moment, ne laisser la moindre place à la plaidoirie de la défense ?
Et, symétriquement, l’exclusion des forces politisées hors « des contours de la société française », permet à CB de ne pas parler de la trahison massive de la classe dirigeante française, par exemple du vote, le 10 juillet 1940 des pleins pouvoirs à Pétain, par 569 voix contre 80, alors que…
(https://fr.wikipedia.org/wiki/Vote_des_pleins_pouvoirs_constituants_%C3%A0_Philippe_P%C3%A9tain#Texte_adopt.C3.A9 ) :
« 61 parlementaires communistes (60 députés et un sénateur) ne peuvent siéger : depuis le 16 janvier 1940, ils sont déchus de leur mandat4 à la suite du pacte germano-soviétique8,2 et du décret-loi d'Édouard Daladier du 26 septembre 1939 interdisant le Parti communiste » !
Exclu donc « des contours de la société française », F Mitterrand qui fut un sous-ministre de Pétain auquel il fit, devenu Président de la République, porter des fleurs blanches en hommage à sa mémoire, chaque année sur sa tombe.
Exclu, Louis Renault qui décida, entre autres, la reconstruction des usines du même nom et donc de maintenir la production sur le site de Boulogne-Billancourt, pour les Allemands.
(http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http%3A%2F%2Fwww.historiographie.info%2Frenault.html)
Exclu, Eugène Schueller, de la société L’Oréal, à propos duquel le n°3847 d’août 2010 de la revue « Valeurs actuelles » a pu écrire, sans, à notre connaissance être démenti (un long extrait qui en dit long sur les relations de la classe dirigeante avec les milieux de la Collaboration avant, pendant et après la 2ème guerre mondiale) :
« Dans les années de l’immédiat avant-guerre, il est riche… Il a des idées sociales… devient l’apôtre de l’impôt sur l’énergie et le théoricien du « salaire proportionnel » qui permettrait à l’ouvrier d’être rémunéré au mérite… Il a quitté la franc-maçonnerie en 1913.
En 1939, ses sympathies vont aux mouvements nationaux. Pour lutter contre les communistes…, il finance l’Organisation Secrète d’action révolutionnaire nationale… connue sous le nom de la Cagoule.
En 1940, … il se rapproche de Marcel Déat qui a créé le Rassemblement national populaire… Il aide l’Atelier de Déat et Révolution Nationale. C’est lui qui, après un déjeuner chez Louis et Christiane Renault, avenue Foch, convaincra Drieu la Rochelle d’y signer des chroniques (…), mais surtout, il quadruple, de 1940 à 1944, le chiffre d’affaire de sa maison… (…) L’après-guerre est une période de grande prospérité pour L’Oréal… Schueller est dénoncé par le syndicat des industries chimiques. Il est d’abord dédouané par un officier des services de renseignement britanniques, puis cautionné par la filière suisse. Ses jeunes protégés son désormais du bon côté de l’Histoire. Bénouville et son ami d’enfance, François Mitterrand sont embauchés à Votre Beauté et ne vont pas tarder à plaider en sa faveur. Bénouville surtout lui obtient le patronage de l’OSS, ancêtre de la CIA américaine.
En 1948, Schueller est relaxé. Les affaires ont continué… Les Etats-Unis où Schueller crée Cosmair en 1953…pour des raisons fiscales… En France, la société profite de la prospérité de la IVème République et de l’élévation du niveau de vie… (…) …il est milliardaire. Il a quitté la politique où le remplace André Bettencourt qui a épousé sa fille unique, Liliane en 1950… en 1957, L’Oréal est dirigé par André Bettencourt et François Dalle, lui aussi ancien membre du petit cercle Bénouville-Mitterrand… »
Affirmera-t-on, après cette lecture qu’il est juste, comme voudrait le faire la définition du « Juste » par CB, d’exclure des « contours de la société française » tout ce que cette société compte de forces politisées. Comme il est regrettable que CB ait omis, dans la bibliographie de sa thèse, la monumentale « Chronique de la Résistance » de Alain Guérin (éd. Omnibus, 2010, p.1221) où, par exemple, se trouve citation d’un texte du Dr. G. Daumézon :
« On trouvera a priori plus de gens qui iront dans le sens de la Collaboration chez les banquiers, plutôt que chez les ouvriers d’usine, parce qu’entre autres l’avantage est plus grand chez le banquier à conserver, à être conservateur que chez l’ouvrier qui n’a pas grand-chose à perdre et qui est plus menacé. A un niveau social déterminé, on se débrouille assez facilement pour éviter les inconvénients graves… ».
Dans le même sens, Alain Guérin (p.1619) cite J-P Azéma et F. Bédarida :
« Jadis, au temps de la toute-puissance de la mémoire communiste qui faisait du parti de la classe ouvrière l’alpha et l’oméga de la résistance intérieure, (…) une grande partie des débats (…) tournaient autour du rôle des communistes dans la Résistance (…) De là, une impression de surdose. Or, l’évolution politico-idéologique, en faisant partir le balancier dans l’autre direction, aboutit à minorer indûment la place des communistes, auxquels dans le public on ne s’intéresse plus guère que par inadvertance, sauf à considérer la seule stratégie par rapport à Moscou ».
Et Alain Guérin d’ajouter :
« Cette tendance (…) n’en implique-t-elle pas une autre qui en est le très logique corollaire : un retour en force du pétainisme ? ».
Or, simple coïncidence, au moment où Pierre Roubaud écrit ces lignes, l’homme politique français J-L Mélenchon déclare devant une foule appelée à manifester contre la loi dite « loi travail » : « …c’est la rue qui a abattu les rois, c’est la rue qui a abattu les nazis, c’est la rue qui a protégé la République contre les généraux félons en 1962 », une déclaration qui a ceci en commun avec la définition des « Justes » par CB qu’elle exclut de plusieurs évènements essentiels de l’Histoire l’action politique organisée, et, en particulier, dans la défaite des nazis et celle des généraux factieux à l’assaut de la République en 1962, le rôle des militants communistes.
Or, il se trouve, que là aussi, je puis apporter un témoignage personnel : au moment de la guerre coloniale d’Algérie, le PCF avait donné consigne à ses militants appelés sous les drapeaux de ne pas écouter les sirènes vantant les vertus de la désertion, mais au contraire, de partir avec l’ensemble des jeunes du contingent et, malgré les risques que cela représentait, militer auprès d’eux pour les convaincre d’agir contre cette guerre dont ils étaient, eux aussi, parmi les victimes. C’est ainsi, que, lors du coup de force fasciste de 1962, les militants communistes au sein du contingent dont l’un de mes camarades étudiant communiste de l’époque furent de ceux qui, sous la menace de leurs armes, enfermèrent leurs officiers, et firent ainsi échouer à la source leur coup de force projeté.
Ce rappel historique montre que la démarche qui a voulu et obtenu que « Progressivement, partiellement, la figure du Juste non politisé et non armé se substitue », « à celle du résistant » (en la calomniant) fait partie d’un plan plus vaste de réécriture de l’Histoire.
Lorsque J-L Mélenchon attribue « à la rue » la défaite des nazis, il se place dans le même courant que les créateurs de la notion de « Juste », visant, dans un premier temps, à minimiser voire rayer de l’Histoire la participation majeure des forces communistes organisées à l’échelle nationale comme internationale dans la défaite du nazisme. En particulier, comme le texte de CB visant lors de la deuxième guerre mondiale, sous le nom de « Juste », à exclure, du sauvetage des Juifs ou prétendus tels les sauveteurs politisés et armés, la déclaration de J-L Mélenchon tend à nier dans la victoire sur le nazisme, et donc dans le sauvetage des « Juifs », le rôle déterminant de l’Etat Soviétique, des communistes soviétiques et des « petites gens » soviétiques !
Alors qu’à la fin de la deuxième guerre mondiale, l’Union Soviétique et les organisations communistes en Europe et notamment en France, disposaient d’un prestige considérable, l’entreprise de renversement idéologique en faveur des tenants occidentaux de la guerre froide commença par le discours pacifiste destiné à mettre dans le même sac ceux qui font la guerre pour se libérer d’une oppression, et ceux qui font la guerre du côté des oppresseurs. Citons, de mémoire et à titre d’exemple, une chanson autrefois célèbre de Francis Lemarque :
« Quand un soldat s'en va t-en guerre il a
Dans sa musette son bâton d'maréchal ;
Quand un soldat revient de guerre il a
Dans sa musette un peu de linge sale
(…)
« Quand un soldat s’en va-t-en guerre il a
Dans sa musette un bâton d’Maréchal ;
Quand un soldat revient de guerre il a
Simplement eu de la veine, et puis voilà. »
Ensuite, commémorant la victoire sur le nazisme, on se mit à maximaliser le rôle des États-Unis et à minimiser celui de l’Union Soviétique et des Résistances intérieures des pays occupés par l’armée allemande, au sein desquelles, logiquement, on fit tout pour minimiser le rôle des organisations et militants communistes. La commémoration des « Justes » telle que décrite par CB peut-elle être séparée de cette entreprise ?
Enfin, on s’attacha à discréditer complètement la résistance communiste et la lutte héroïque des Soviétiques contre l’envahisseur nazi en présentant le communisme et le nazisme comme deux variantes d’un « totalitarisme », d’abord alliées contre les « démocraties » occidentales, puis ennemies en raison de leurs ambitions concurrentes de domination mondiale. N’est-ce pas à cette entreprise que doivent être rattachées les références de CB destinées à semer le doute sur l’activité de la Résistance française, coupable d’avoir accepté en son sein la Résistance communiste, elle-même accusée de collaboration avec les nazis jusqu’au déclenchement de la guerre hitlérienne contre l’Urss, puis, de ne servir que les intérêts d’un « totalitarisme » soviétique décrit comme aussi épouvantable que celui des nazis.
Or, au sein de ce renversement idéologique de l’Histoire, il fallait briser le prestige immense acquis par le communisme dans les populations victimes de l’antisémitisme nazi, du fait, d’une part de la participation des communistes au sauvetage sur place de ces populations et, d’autre part de la participation majeure de l’armée soviétique à la défaite de l’Allemagne nazie. Comme cela a été montré plus haut, c’est dans le cadre de cette entreprise particulière que se place la commémoration par l’Etat d’Israël de ceux qu’il désigne sélectivement du nom de « Justes parmi les Nations ».
Cindy Biesse écrit (CB, p. 16-17) :
« Le titre de Juste devra ainsi devenir une référence commune pour évoquer tous ceux qui ont aidé des juifs sous l’Occupation. Le résultat est spectaculaire : la décennie 1990 voit le nombre de dossiers croître, l’année 1996 atteignant le pic de 194 nominations9. Deux types de témoins s’expriment alors : les uns, minoritaires, habitant en Israël, appartenant au milieu conservateur voire ultra-orthodoxe, continuent à voir les Justes comme des êtres exceptionnels face à l’hostilité postulée du reste du monde occidental vis-à-vis de l’État d’Israël et, plus largement, des juifs. Les autres, majoritaires, vivant en France, sans ancrage communautaire ou religieux, les considèrent comme des Français ou des non juifs ayant agi en conformité avec les valeurs républicaines et les droits de l’Homme.
L’État lui-même s’empare progressivement de ce référentiel. Le 16 juillet 1995, lors du cinquante-troisième anniversaire de la rafle du Vel’ d’Hiv’, le Président Jacques Chirac les mentionne pour la première fois : « Ces heures noires souillent à jamais notre histoire et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été, chacun le sait, secondée par les Français, secondée par l’État français. ».
Ainsi, Jacques Chirac prétendant que les « heures noires » de la Collaboration sont une « injure à notre passé et à nos traditions » (sans que CB, semble-t-il trouve à y redire) tente-t-il de laver « notre » passé et « nos » traditions de tout ce que celui-ci et celles-là ont de commun avec la Collaboration, à la fois la trahison de l’intérêt national (Cf. Thiers faisant massacrer les Communards) et la pratique du pillage et des guerres coloniales, traditions aujourd’hui sans cesse renouvelées (Cf. d’un côté la vente des biens publics de l’Etat aux plus puissants lobbys internationaux se portant acquéreurs (privatiser, c’est vendre la France), et de l’autre l’écrasement sous les bombes et la force militaire de pays entiers, tel l’écrasement de la Libye.
Ainsi, Jacques Chirac attribuant les crimes du nazisme à une « folie » (sans que CB, semble-t-il trouve à y redire) efface purement et simplement les caractéristiques colonialistes et impérialistes du nazisme, autant de caractéristiques que l’on ne peut comprendre sans les mettre en relation avec la crise générale de suraccumulation du capital survenue à partir de la fin de la décennie 1920-1930. (Cf., à ce propos : Joëlle Fontaine et Gisèle Jamet : « Enseignement de l’histoire. Enjeux, controverses autour de la question du fascisme », 2016, ADAPT/SNES éditions).
C’est une constante dans la guerre idéologique menée par les fauteurs de guerre (dont, en particulier, les producteurs et marchands d’armes dont, curieusement, aucun des récents candidats à la Présidence de la République Française n’a pensé à demander la nationalisation !), une constante que leur tentative d’attribuer d’honorables motifs à leurs entreprises de rapines et de conquêtes.
Déjà, les guerres coloniales françaises du 19ème siècle se présentaient comme relevant d’une mission civilisatrice de la France. Déjà, les guerres de 14-18 étaient-elles dites « guerres « pour la Patrie ». Ainsi, de nos jours, et depuis les attentats du World Trade Center, les guerres de l’Otan un peu partout dans le monde se présentent-elles comme « antiterroristes ». En Libye, il n’aurait été question que de créer un « couloir humanitaire » pour sauver la population civile d’un génocide qui n’existait pas. En Irak, il aurait fallu arrêter un programme de production d’armes de destruction massive qui n’existait pas. En Syrie, il s’agirait d’imposer une « transition démocratique » (c’est-à-dire conforme aux intérêts des Etats-Unis), sauver des enfants, chasser un groupe d’extrémistes religieux (avec l’aide d’autres groupes terroristes concurrents, et auxquels on fournit des armes en passant par l’Arabie Saoudite). En Ukraine, il s’agirait de « défendre l’intégrité territoriale d’un Etat souverain » et « défendre la démocratie » (en soutenant un gouvernement animé par des néonazis). Dans la même veine, il s’agirait en Israël et Palestine de continuer à protéger le « peuple juif » victime éternelle d’un antisémitisme consubstantiel à l’espèce humaine, le protéger comme surent héroïquement s’y employer les « Justes parmi les Nations » au cours de la deuxième guerre mondiale.
i …et suivant quels critères, sinon celui, touchant au racisme, de la transmission génétique par la mère d’un nom de famille arbitrairement considéré comme « juif », ou celui d’une conversion au Judaïsme ? Selon l’article « Qui est Juif ? sur Wikipedia « le Parlement israélien a voté en 1970 « un amendement de la loi du retour de 1950 (…), dans lequel est défini comme Juif tout individu « né de mère juive, ou converti au judaïsme et ne pratiquant pas une autre religion »
ii C’est ce qu’a déclaré Richard Falk du contenu de son rapport d’évaluation pour la Commission économique et sociale des Nations-Unies pour l’Asie occidentale, sous le titre « Le calvaire des Palestiniens dure depuis trop longtemps » (in L’Humanité du 13/09/2017).
Membres de la Légion des volontaires français visitant l’exposition La Vie nouvelle
Cette exposition, qui fait suite à une première intitulée simplement « La France européenne » tenue au printemps 1941 également au Grand Palais, est consacrée plus spécifiquement à la collaboration franco-allemande et à « l’épanouissement des préceptes de la communauté sociale de demain ».
Paris, Grand Palais, juin 1942
© Lapi/Roger-Viollet