En réponse à l'amicale missive reçue de ses amis des mutins de Pangée (voir lettre reproduite ci-après) . Notre chroniqueur favori leur adresse cette amicale réponse:
Je vote, donc tu suis
Des Mutins de Pangée aux moutons de Panurge
Salut Olivier1,
Malgré votre recommandation, j’ai quand même lu les «quelques lignes» qui, selon vous, pourraient «probablement ennuyer» ceux pour qui «voter c’est abdiquer». Et je n’ai pas eu l’impression de «perdre mon temps». Car j’ai retrouvé dans votre appel à voter en faveur de l’«un des quatre candidat en tête des sondages » dont «les discours et le programme» contiennent «beaucoup des idées et des arguments » que vous défendez depuis des années à travers vos films et les messages que vous envoyez, la même candeur que celle de vos homologues du 10 mais 1981 qui célébrèrent, extasiés, la victoire d’une fripouille politicienne des IVe et Ve République — sans parler des premiers mois du régime de Vichy — qui leur avait annoncé durant sa campagne électorale par voie d’affiches géantes : «Le socialisme, une idée qui fait son chemin ».
Certes, l’heureux élu de vos cœurs — à défaut de votre raison —, s’est bien gardé de vous promettre la lune d’une révolution autre que «citoyenne» aussi bidon que l’«insoumission» autoproclamée de ses supporters. Celui dont vous avez cru bon de taire le nom, par prudence, pudeur ou coquetterie, dont je n’ai pas peur de reprendre les surnoms que lui ont accolé les pêcheurs du Tréport — Merluchon — dont sa «transition écologique » à coups d’éoliennes en mer va ruiner l’activité, ou les militants de l’UPR — Baudruchon — qui considèrent à juste tire ce tribun indéniablement talentueux comme un expert hors pair en matière d’opportunisme, de mensonge et de démagogie, se prépare à vous enfumer — pour ne pas user d’un terme plus cru que vous méritez pourtant bien —, fidèle en cela à ses prédécesseurs de la deuxième droite auxquels il ne manque jamais de se référer avec respect : Mitterrand, Rocard et Jospin.Je ne vais pas vous dresser la liste que vous connaissez — du moins les plus anciens et les plus politisés parmi vous — des retournements de veste, promesses non tenues et autres trahisons des idéaux de gauche dont est jalonnée la carrière de cet arriviste chevronné. C’est peu dire que son passé ne plaide guère en faveur de ce nouveau «défenseur des travailleurs» qui n’a jamais travaillé de sa vie sinon comme apparatchik dans des partis qui prétendaient les «représenter». Le présent immédiat non plus à en juger par son revirement récent, lors d’un meeting à Dijon «hologrammé» sur cinq autres scènes, lorsqu’il avait mis en garde ses fans tout en rassurant l’«oligarchie» honnie : «Ne croyez pas ce qu'ils vous disent: “il veut sortir de l'Europe, de l'euro” » (...), allons, un peu de sérieux" ». À la différence de Tsipras demeuré son ami — et l’on verrait rapidement pourquoi s’il parvenait à succéder à Hollande — Baudruchon n’a même pas attendu le premier tour de la présidentielle pour contredire ce laissait entendre depuis des mois. Si le « un peu de sérieux » doit vous être intimé, ce serait pour vous dissuader de prendre au sérieux les discours de ce nouveau sauveur du peuple. Sinon, je vois mal en quoi les Mutins de Pangée se distingueraient des moutons de Panurge !
À cet égard la présence du leader de Podemos à ses côtés comme invité étranger de marque pour un «apéritif insoumis» à Belleville, le dernier jour de campagne électorale, est tout à faire symbolique, mais pas au sens où il le souhaitait. Le fringant Pablo Iglesias partage, en effet, avec Merluchon au moins deux point communs. Le premier est leur statut de députés européens, sinécure dont ils tirent une bonne part de leurs revenus. Ce qui vaut également pour Marine Le Pen, évidemment. On les voit donc mal quitter l’Union Européenne ou même envisager de le faire, ce qui il est vrai, n’a jamais fait partie des engagements de Podemos. Le second point est que Iglesias, alors en pleine campagne électorale aux législatives de 2015, avait pris soin de mettre de l’eau dans le vin rouge de la «radicalité» à qui il devait ses premiers succès populaires, en choisissant de se définir comme un «social démocrate moderne». Une appellation qui n’engage à rien, aux sens propre et figuré, comme chacun sait, et qui va aussi comme un gant à Baudruchon. Lui non plus ne se risque pas à annoncer une quelconque «sortie du capitalisme». Si «transition» il y a, elle sera écologique, et non vers le socialisme. Bref, l’«avenir en commun» sera tout sauf communiste.
Vous croyez bon de reprendre à votre compte, le vieux dénigrement ironique de cet idéal, dont aime à user la gauche bien pensante pour le caricaturer en le réduisant à l’« attente du grand soir qui ébranlera le monde». Outre que vous savez fort bien que plus personne parmi les partisans d’un bouleversement des rapports de production capitalistes ne croit qu’il prendra cette forme, une telle croyance n’était pas plus ridicule que celle consistant à imaginer, comme l’avait fait avec un gros titre un journaliste assez optimiste du Monde diplomatique, que l’arrivée au pouvoir à la Moncloa d’une élite dirigeante issus de la caste universitaire allait «bousculer l’Espagne». Et il y a fort à parier qu’il en ira de même avec les illusions d’avènement d’«une nouvelle civilisation » — écolo-compatible avec le capitalisme — entretenues chez les soi-disant «insoumis» par ce charlatan de Merluchon.
C’est la raison pour laquelle, pour en revenir au faux bond dont je me suis rendu coupable vis-à-vis de Mutins de Pangée, je ne regrette rien, comme le chantais Édith Piaf. J’avais finalement refusé d’animer des débats à l’issue de la projection de La cigale, les corbeaux et les poulets, prévoyant que la question «que faire ?» qui allait inévitablement d’être posée — je l’avais déjà vérifié face aux spectateurs de Merci patron ! — allait en fin de compte être rabattue sur celle «pour qui voter ?». Avec en prime une réponse prévisible parce que prémâchée par les vidéos, plates-formes et autres «groupes d’appui » installés pour la mise sur orbite présidentielle de Merluchon. D’autres que moi me paraissaient plus indiqués, comme l’expérience l’a prouvé, pour suivre sans réticence voir avec allégresse le chemin ainsi balisé.
Comme à la veille du 10 mais 1981, je me retrouve une nouvelle fois confronté — différence de générations mise à part — à une foule de gogos-de-gôche qui croient le jour gloire arrivé. Métaphore des plus adéquates s’il en est quand on voit les drapeaux bleus-blancs-rouges remplacer les drapeaux rouges dans les meetings de Baudruchon, et entendre ceux-ci se clore sur les accents de La Marseillaise et non plus de L’Internationale.
Jean-Pierre
1 Olivier Azam, réalisateur documentariste et animateur de la coopérative audiovisuelle et cinématographique Les Mutins de Pangée.
Et pour ceux qui ont la mémoire courte :
---------- Message transféré ----------
De : Les Mutins de Pangée <contact@lesmutins.org>
Date : 21 avril 2017 à 19:47
Objet : Avant de tourner la page présidentielle...
À : garnier jean-pierre
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