En complément de sa lettre diffusée ce jour, nous recevons ce message d'Annie Lacroix-Riz :
Merci beaucoup, Dominique, pour cette transmission.
Le scandale des péroraisons banderistes a été tel que, à ma connaissance, Annette Wieviorka, une des participantes annoncées, dont les auditeurs avaient cru comprendre qu’elle assurerait les « remarques finales » de cette session parisienne, ne l’a pas fait. Elle n’a cependant pas jugé utile de faire connaître au public, via Le Monde, qui accueille volontiers ses prises de position, ou tout autre organe de presse, son avis sur ce colloque associant des négationnistes ukrainiens notoires, qui avait bénéficié du haut patronage et du financement de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, et de l’enthousiaste soutien du quotidien Libération. La légitime sensibilité de ma collègue à l’antisémitisme rend ce silence sidérant, d’autant plus qu’elle est également supposée participer au colloque de novembre 2017 prévu à Caen, qui va, sa problématique l’annonce clairement, donner consécration académique à l’équation « famine génocidaire en Ukraine »-Destruction des juifs d’Europe.
Je suis d’autant plus sidérée de ce silence qu’Annette Wieviorka vient, via une interview au Monde , de prendre position publique sur les propos de Marine Le Pen disculpant Vichy de la déportation des juifs de France, propos qui nous rappellent (qui pouvait en douter?) la stricte fidélité du Front national à ses origines. Cette intervention rappelle des éléments historiques incontestables sur l’éminente responsabilité de Vichy dans la persécution, la spoliation et la déportation des juifs de France, mais elle se conclut sur un amalgame politique douteux et choquant, en assimilant strictement antisémitisme et analyse sociale : « Le substrat antisémite est toujours remonté à la surface en période de crise. C’est encore le cas aujourd’hui. On l’entend encore au sujet d’Emmanuel Macron en rappelant qu’il était banquier chez Rothschild. Comme je le dis souvent, on ne lui collerait pas cette étiquette de banquier s’il avait travaillé au Crédit agricole. ».
Les deux premières phrases sont pertinentes. Les deux suivantes ne le sont pas. On peut observer que M. Macron a servi la haute banque (il se trouve que c’était la banque Rothschild) et ne pas être antisémite : il est tout à fait licite ‑ et d’ailleurs cette campagne électorale y a en partie contribué, en révélant les liens entre le candidat Fillon et de gros intérêts financiers ‑ d’établir des liens entre appartenance à une classe sociale et choix politiques, liens solides pour ne pas dire organiques, que ma collègue exclut ici.
Une partie de ma famille de même origine (juive polonaise) que celle d’Annette Wieviorka, a été déportée à Auschwitz, je ne suis pas antisémite, pour des raisons à la fois familiales et politiques. Je n’en ai pas moins tendance à prendre sérieusement en compte le fait que M. Macron, haut fonctionnaire théoriquement formé à l’ENA pour assurer le service de l’État, s’est, comme nombre de ses pairs, mis au service de grands intérêts financiers privés. Et j’y aurais porté la même attention s’il avait été un cadre de très haut niveau ou « associé » du Crédit agricole ou de tout autre établissement financier, quelle que soit la confession (ou la non-appartenance religieuse) de ses propriétaires. L’historienne marxiste que je suis considère que la politique est indissolublement liée à l’économie et à la société, qu’il existe entre classes sociales des contradictions de fait insurmontables (le salaire et le profit évoluant en sens inverse) et qu’on ne peut donc pas servir simultanément des intérêts antagoniques. La presse, Canard enchaîné compris, qui n’est pas un hebdomadaire subversif, l’a laissé entendre concernant François Fillon. Depuis quand cette conviction expose-t-elle à l’accusation d’antisémitisme?
Y aurait-il donc des antisémites ukrainiens sur lesquels on peut faire le silence, parce qu’ils disposent de cautions « occidentales » et russophobes, alors qu’on tient tribune sur les antisémites de chez nous très légitimement, certes, mais en leur assimilant, à mauvais escient, tout porteur de critique sociale, remarque de conclusion d’Annette Wieviorka que le lecteur de l’interview retiendra forcément plus que tout?
Il se trouve que je ne dispose pas des coordonnées électroniques de cette collègue. Je me permets de transmettre ma réponse à ta liste parce que je ne doute pas qu’une des personnes qui y figurent les connaissent. Je la (ou les) remercie donc par avance de lui communiquer ce commentaire sur l’antisémitisme, qui, à mon avis, ne se partage pas entre antisémitisme légitime et antisémitisme illégitime, mais qui doit, comme tout racisme, être condamné sans restriction.
Il va de soi que le présent courriel est de libre diffusion.
Amitiés,
Annie
Emmanuel Macron démentant formellement s'être fait des thunes en travaillant pour le Crédit Agricole (juste avant de recevoir un panier garni agrémenté d'oeufs frais, probablement d'origine russe)