Désormais avéré et notoirement démontré par les circonstances et le contexte de la "surprise" Trump, le formatage idéologique (inepte et servile) de nos médias et de la classe dirigeante qu'ils servent, ce sont les anarchistes "vrais" (donc rationalistes) qui en parlent le mieux. C'est à dire aussi bien que les experts compétents (et généralement de droite) commentant les errements chaotiques et l'amateurisme aveugle de nos élites actuellement "aux affaires", singulièrement en matière militaire et géopolitique "appliquée".
Ainsi devons nous à l'excellent chroniqueur attitré de la coopérative — la plus vieille d'Europe— de Longo Maï, observateur lucide et compétent qui signe "laconique", ce billet, tiré de sa chronique "L"ire des chênaies", qu'il nous a aimablement autorisés à relayer et où il commentait, un peu avant le "coup de tonnerre" électoral américain, les constats alarmants déjà rapportés dans l'article -de Caroline Galacteros- sur un thème connexe que nous avions reproduit ici, il y a quelques semaines .
Story telling et culte de la personnalité
en guise d’analyse
Super la soirée théma d’Arte sur les années Obama! Un chef-d’œuvre de documentaire qui remplace avantageusement Nounours, son marchand de sable et son «bonne nuit les petits». Il y était développé trois thématiques, «l’Obamacare», les tensions sécuritaires intérieures (racisme, petits massacres récurrents…) et la situation au Proche-Orient que j’ai suivies avec attention. On y cueille tout de même des indications sur les manières dont les décisions se prennent, mais surtout en creux les informations sur lesquelles il est de bon ton, de faire l’impasse (l’ambition officielle US de «redessiner la carte du Moyen-Proche-Orient»,comme Daech, par ex.), ou de surfer rapidement (les dissensions flagrantes et inquiétantes entre Maison-Blanche et Pentagone), ou d’évoquer comme des certitudes alors qu’elles sont le sujet de très sérieuses controverses, pas mêmes signalées (l’attaque chimique du 13 août 2013 évidemment attribuée «à l’armée de Bachar»).
L’infantilisation narrative se joue très sérieusement en une sorte de télé-réalité différée avec une flopée de vrais-faux témoins qui nous racontent dans le détail ce qu’ils ont envie de nous faire savoir des réunions qui se sont tenues dans le bureau ovale avec le président, ses doutes, ses réactions, et ses commentaires. Ils racontent très bien tous ces conseillers, conteurs, raconteurs que l’on ne nous présente même pas (à savoir quels lobbies ils représentent par exemple). En «com» ils sont vraiment très bons, rien à dire. Façonner l’image d’un Obama toujours tiraillé, sympathique, plus humain que ça tu meurs, ça laisse peu de place à la critique, mais ils ne sont pas là pour ça. Inutile d’évoquer ces réunions du mardi matin où Obama et ses conseillers CIA and Co font le listing des suspects à abattre repérés par les drones antiterroristes. Et pourquoi feraient-ils autrement avec des journalistes qui boivent leurs paroles avec la félicité de l’eau bénite? Ça doit faire partie du code d’accès à ces lieux décisionnels, ou prétendus tels.
760 milliards de dollars, c’est officiellement le budget militaire US annuel, c’est-à-dire plus que tous les budgets militaires des États du monde réunis, ce qu’un ex-président américain dénonçait comme le lobby militaro-industriel, et que Lavrov nomme «la machine militaire américaine» pour souligner le fait qu’elle ne paraît plus répondre au commandement du président Obama (NTV 26 Sept). D’ailleurs dans une lettre ouverte de 15 anciens responsables du renseignement US adressée à Obama début octobre (site Zéro Hedge) sur la situation explosive en Syrie, l’appelant à «négocier avec la Russie ou les conséquences seront catastrophiques» ces vétérans du renseignement soulignent: «Les différences entre la Maison-Blanche et le Pentagone ont rarement été aussi ouvertement exprimées qu’elles le sont aujourd’hui à propos de la Syrie», «des remarques publiques proches de l’insubordination» de la part de hauts responsables du Pentagone, qu’ils accusent dans leur texte de saboter militairement sur le terrain toutes les négociations russo-américaines. Aussi recommandent-ils à Obama des négociations personnelles directes avec Poutine.
Le message semble n’être pas entendu, depuis la crise des missiles de Cuba jamais la tension n’a atteint un tel niveau. Côté américain on déclare que «toutes les options sont sur la table», y compris une guerre totale et meurtrière, côté russe les systèmes de défense anti-aérienne en Syrie ont été très renforcés et le général Igor Konachenkov, porte-parole du ministère russe de la Défense a mis en garde «les systèmes russes n’auront pas le temps de déterminer «en ligne directe» le trajet précis des missiles et leur appartenance. Et ceux qui prétendent qu’il existe des avions invisibles vont au devant de graves déconvenues». Les milieux d’affaires ont été avertis par le Wall-Street Journal fin septembre informant que le gouvernement américain envisage désormais ouvertement de participer directement à la confrontation armée contre l’armée syrienne et donc la Russie.
Caroline Galactéros, docteur en sciences politiques, colonel au sein de la réserve opérationnelle des Armées, et directrice du cabinet d’intelligence stratégique «Planeting» dans un article du 11 octobre dans le Figaro, s’interroge sur le projet de résolution au Conseil de Sécurité de l’ONU déposé par la France demandant l’arrêt des combats sur l’est d’Alep. «Ce cinéma diplomatique vient évidemment se solder par un veto russe, attendu par Paris, Londres et Washington qui veulent faire basculer l’indignation internationale contre Moscou... Mais prendre la tête du chœur des vierges ne suffit pas et ne trompe plus personne. L’évidence crève l’écran. «L’Occident» ne mène pas la guerre contre l’islamisme sunnite ou alors de façon très résiduelle: il le nourrit, le conseille, l’entraîne. Daech, dont la barbarie spectaculaire (...) sert d’épouvantail opportun (…), permet de juger par contraste «respectable» l’avalanche de djihadistes sunnites d’obédience wahhabite ou Frères musulmans qui ne combattent d’ailleurs pas plus que nous l’État islamique mais s’acharnent sur le régime syrien. Et l’Amérique comme la France cherchent avec une folle complaisance, dans ce magma ultraviolent, des interlocuteurs susceptibles d’être intronisés comme «légitimes» et «capables de remplacer un autocrate indocile qui a le mauvais goût de résister à la marche de l’Histoire version occidentale et à la vague démocratique censée inonder de ses bienfaits un Moyen-Orient politiquement arriéré.»
Comme Saddam Hussein et Mouammar Kadhafi, «Bachar el Assad a bien failli y passer lui aussi. Mais à notre grand dam, Moscou a vu dans cette nouvelle guerre occidentale de déstabilisation par procuration, une occasion inespérée de sécuriser ses bases militaires, de défier l’Amérique qui la méprisait trop ouvertement, de regagner une influence centrale dans la région et de traiter «à la source» le terrorisme qui menace ses marges d’Asie centrale et du Caucase» poursuit-elle.
«Dans le Grand jeu explosif de reconfiguration de l’équilibre du monde et notamment du nouveau duel cardinal, celui de Washington avec Pékin, la France s’est trompée du tout au tout et démontre à la face du monde mais surtout à l’ennemi -qui observe notre incohérence diplomatique et politique- qu’elle pratique admirablement le grand écart stratégique (…). Comment justifier en effet notre combat au Mali contre les djihadistes sunnites, notre soutien en Irak aux chiites contre les sunnites, et en Syrie notre appui aux groupuscules sunnites les plus extrémistes contre Bachar el Assad... tout en prétendant profiter du marché iranien entrouvert... et vendre des armes aux Saoudiens et Qataris sunnites qui sont by the way les financiers du djihadisme mondial dont nous subissons la haine et la violence terroriste sur notre sol désormais à un rythme soutenu? C’est de l’opportunisme à très courte vue, mais plus encore un hiatus stratégique béant et la manifestation d’une totale incompréhension du réel». Dommage que ce ne soit pas elle, Caroline Galactéros, ce colonel de réserve opérationnelle, qui ait interrogé les conseillers de Obama!
Elle finit son article en fustigeant les entretiens de J-M. Ayrault sur LCI le 5 octobre et celui de Hollande sur TMC dans une émission de divertissement franchissant «un nouveau seuil dans le ridicule et le suicide politique», et questionne «si Assad (…) était finalement militairement et politiquement mis hors jeu, par qui compte-on le remplacer? (...) Quels individus veut-on mettre au pouvoir? Les pseudo «modérés» qui encombrent les couloirs des négociations en trompe-l’œil de Genève? (…) Croit-on sérieusement que l’on pourra contrôler une seule minute ces nouveaux «patrons» du pays qui se financent dans le Golfe -dont nous sommes devenus les obligés silencieux-et dont l’agenda politique et religieux est aux antipodes de la plus petite de nos exigences «démocratiques»? (…) Quelle naïveté, quelle ignorance, quelle indifférence en fait!»
Et de conclure son long argumentaire dont je vous recommande l’intégral «Le sort de Bachar el Assad est à la fois central et accessoire. Si l’État syrien devait tomber sous la coupe de Daech ou sous celle d’Al Nostra et de ses avatars, alors ce seront les massacres communautaires et le chaos. Qui aura alors des comptes à rendre pour les avoir laissés advenir?»
Au-delà du conflit syrien, comme le titrait, page 9, le Monde Diplo de septembre «Washington réarme face à Moscou et Pékin: Scénario pour un conflit majeur», Michael Klare concluait «l’éventualité d’une guerre ouverte entre grandes puissances se diffuse dans les esprits et conduit les décideurs à s’y préparer». L’arrivée d’Hilary la belliqueuse à la Maison-Blanche ne va rien calmer à ce grand jeu de grands malades.
Détourner le regard, courber l’échine, ou refuser les scénarios du pire, à chacun de prendre ses responsabilités, aussi minimes soient-elles. La première pourrait être d’arrêter avec les story telling à dormir debout et le culte de la personnalité. Lâche ton Syrien laïc et révolutionnaire, et arrête de rêver camarade!
L’Ire des Chênaies 26 octobre, n°652
Laconique
Dimanche 16 octobre 2016
Heureusement ... Trump nous aura peut-être procuré un petit délai ... de réflexion.