Vidéo de la rencontre avec le mouvement russe Essence du temps,
Bruno Drweski, Denis Paillard et Jean-Pierre Garnier.
Texte de la conférence lue par Elena
la représentante russe du mouvement "Essence du Temps"
à l'occasion de cette soirée anniversaire de la Révolution d'octobre 1917
I. Introduction
Puisque notre soirée est dédiée à la Révolution d’Octobre, commençons par le sens même du mot. C’est que dans l’usage médiatique et politique actuel le terme de révolution subit un brouillage qui lui fait perdre ses contours historiques. En Russie, on assiste à un véritable effort pour discréditer la notion même et la mémoire historique qui lui est associée.
Les coups d’Etat comme celui de l’Ukraine en 2014 sont appelés « révolutions ». Il est vrai, que pour faire la différence, on y ajoute habituellement « de couleur ». Mais il n’empêche que, par exemple, les nationalistes russes fascisants (comme Vyatcheslav Maltsev) –, désormais alliés avec les libéraux, appellent à la « révolution » pour renverser le « régime ». Des émissions, des documentaires, des livres, des expositions, déforment délibérément l’idée même de révolution en l’attribuant aux événements qui ont une connotation très négative chez la population.
Les médias, même les médias pro-pouvoir, ou patriotiques, aussi des personnalités publiques (comme Vladimir Jirinovski, 13,3% dans les dernières élections) répandent souvent une attitude très négative envers la révolution, ainsi qu’envers les bolcheviks, le communisme et l’URSS. Cette attitude s’exprime souvent d’une manière biaisée ou sous-entendue, ce qui ne la rend pas moins corrosive. Regardant tout ce travail pour désamorcer le potentiel de la mémoire de la Révolution d’Octobre, on dirait décidément que ce potentiel représente toujours un danger sérieux.
Rappelons-nous maintenant que les définitions classiques de la Révolution sociale mettent l’accent sur l’aspect progressiste du changement révolutionnaire. Selon Marx, « les révolutions sont des locomotives de l'histoire ». Elles réalisent un sursaut, un dépassement des formes désuètes de rapports de production et de rapports sociaux, et mènent vers des formes plus évoluées de la société. Les révolutions détruisent les obstacles du progrès social. Or les révolutions de couleur ne cherchent qu’à détruire les obstacles de la régression (sociale, économique, politique, psychologique etc. à tous les niveau).
Pendant ce temps, les falsificateurs de l’histoire travaillent assidûment pour faire oublier les aspects progressifs des grandes révolutions : Révolution d’Octobre et la Révolution française (notamment, pour la Révolution d’Octobre, c’est l’abolition de l’exploitation de l’aliénation).
II. La situation actuelle en Russie. Son rapport à l’héritage de la Révolution.
1. La re-soviétisation et le retournement patriotique.
Depuis la Perestroïka, la Russie a connu plusieurs phases d’évolution (ou plus souvent d’involution) des mentalités. La situation que nous voyons aujourd’hui est en réalité toute récente. Elle a commencé à se former depuis 2011 environ. Et elle a pris les contours définitifs courant 2014, suite aux événements de l’Ukraine et au rattachement de la Crimée.
On peut noter deux caractéristiques les plus visibles de ce nouvel état d’esprit : 1) le retournement patriotique et 2) la re-soviétisation.
La re-soviétisation veut dire qu’une très grande majorité de la population a aujourd’hui une attitude très positive envers l’URSS, ce qui n’était pas le cas avant. L’élément patriotique est tout aussi remarquable, car il faut savoir que les années 90 ont porté un coup terrible non seulement à l’idée communiste, mais également à la dignité purement nationale. On peut, de plein droit, appeler cette période « années de l’humiliation ».
2. Les causes et les caractéristiques de la re-soviétisation.
La re-soviétisation a des caractéristiques parfois assez curieuses. Par exemple, pourquoi soudain la population a une forte nostalgie de l’URSS, et elle est fière de l’avoir, alors qu’il y a dix ans c’était vu plutôt comme une attitude rétrograde et minable ?
Autre contradiction : 70-80% environ de la population affirme son attachement à l’URSS. Tandis qu’il n’y a que 13,5% environ qui ont voté le Parti communiste (KPRF). Comment l’expliquer ? Pourquoi les masses soutiennent Poutine (qui n’a pas grand chose à voir avec l’idée communiste) et non Zyuganov ?
Pour comprendre tout cela il faut revenir à la perestroïka et les années 90. En effet, cela n’a pas été un simple changement politique. Cette transformation a été préparée et accompagnée par une opération idéologique menée depuis des décennies (aussi bien de l’extérieur que de l’intérieur). Les idées qui étaient diffusées à travers tous les canaux imaginables consistaient non seulement dans le dénigrement du communisme et de l’URSS, mais également dans le dénigrement de la nation, voire de l’ethnie même. On martelait ouvertement, même sur des chaînes officielles, que la Russie est une erreur de l’histoire (rien en moins !), qu’elle n’a produit que des atrocités, que c’est une civilisation bâtarde et honteuse. Que tout ce qui semble être un accomplissement a été obtenu au prix de terribles violences, oppression et victimes invraisemblables, etc. Que le peuple n’est qu’un troupeau de moutons et que l’URSS n’était que le résultat de son égarement et une malformation de l’histoire. Et les gens qui propageaient tout cela continuent à avoir la tribune jusqu’à présent !
Je me limiterai à une seule citation d’une certaine Svetlana Alexievitch dont vous avez sans doute entendu parler (prix Nobel de la littérature) :
« Nous avons affaire à l’Homme russe, qui au cours des deux derniers siècles a fait la guerre presque durant 150 ans. Et il n’a jamais vécu bien. La vie humaine pour lui ne vaut rien et la notion de la grandeur consiste non pas dans l’exigence de vivre bien, mais dans l’exigence que l’Etat doit être grand et farci de missiles. Sur cet énorme espace post-soviétique, tout spécialement en Russie et en Biélorussie, où le peuple a d’abord été berné pendant 70 ans et ensuite volé pendant encore 20 ans, se sont formés des hommes très dangereux pour le monde. »
La destruction de l’URSS avait pour une des principales causes le renoncement à l’idéal héroïque de l’Homme, de l’Homme qui combat pour des grandes causes historiques, qui relève de grands défis, qui se dépasse et accomplit des sursauts. Déjà depuis l’époque de Khrouchtchev, cet idéal a été supplanté par le l’« idéal » du consumérisme et du « bien-être » matériel, qui à terme ne peut que tourner le dos à l’Histoire et au développement, se replier dans l’instantané, et basculer dans la mollesse et l’irresponsabilité infantile. D’ailleurs le consumérisme en France ainsi que dans d’autres pays a des effets similaires.
Ainsi le peuplé était prêt pour subir l’opération finale, menée dans les années 90, qui lui a littéralement retiré sa colonne vertébrale : la dignité, le sens et la conscience historiques. Il faut savoir qu’il s’agit des éléments qui depuis des siècles étaient indissociables de la culture russe. En cela, elle a encaissé une attaque idéologique d’une violence inouïe.
La sortie de l’état de choc a été lente. Les événements de la Serbie de 1999 ont fait un peu tressaillir. Puis il y avait Iraq, Libye, enfin Ukraine... Les événements s’accumulaient montrant le vrai visage du capitalisme et des élites occidentales. Il est important que la population en Russie était sensible surtout à la faillite totale de l’Occident au niveau des valeurs, valeurs qui ont été promises : démocratie, justice, « valeurs européennes », « tolérance » et autres. La désillusion s’est soudain soldée par un puissant appel à la mémoire de l’URSS en tant que valeur en soi.
Ainsi, la re-soviétisation a été surtout une réponse à la soif exacerbée des valeurs et du Sens (en majuscule). Ce sens, la perestroïka et le capitalisme sauvage des années 90, l’ont simplement aboli en le remplaçant du jour au lendemain par le veau d’or, la réussite personnelle (au détriment des autres) et la course aux plaisirs et aux divertissements.
Progressivement, les gens se sont rendus compte que tout ce qui les entourait – simplement au niveau matériel –, tout ce qu’il y avait de bon et de valable, était hérité de l’URSS et n’était en aucun cas le fruit d’investissements occidentaux. Le fruit de ces derniers était, au contraire, la désindustrialisation, la destruction de l’éducation, de la société, de la solidarité, de la famille.
Cette recherche du sens et des valeurs, en Russie ne représente autre chose qu’une recherche d’identité. Ainsi l’URSS est devenue un appui palpable de l’identité historique.
Mais où est dans tout cela le communisme à proprement parler ? L’amour, la fierté où la tendresse pour tout ce qui est soviétique chez une très grande parte de la population ne dépassent pas le niveau de la nostalgie, somme toute assez passive. Tandis que les idées communistes ne sont pas à l’ordre du jour. Contrairement à la première moitié du 20e siècle, il n’y a pas d’idéologie capable de porter un processus historique. Le travail des forces qui cherchent à empêcher la formation d’un nouveau cadre idéologique, qui s’appuierait sur la mémoire de la Révolution d’Octobre et consoliderait les masses autour d’un objectif historique progressiste, porte ses fruits. Même si nous, Essence du temps, affirmons avoir une telle idéologie, cela ne fait pas (ou pas encore) un poids suffisant.
3. Le réveil patriotique et le national-poutinisme.
Le pouvoir actuel en Russie, c’est-à-dire le pouvoir de Poutine, massivement soutenu par la population ne peut s’appuyer que sur le versant patriotique du réveil populaire. On peut relever deux problèmes liés son fonctionnement :
Premièrement, suite au partage tacite du pouvoir qui date des années 2000, les poutiniens ne possèdent qu’une partie du pouvoir, notamment, la politique extérieure, l’armée et la garde nationale (entre lesquelles il existe un antagonisme assez sérieux), probablement les renseignements. L’économie, l’éducation, la santé, la culture, le social, sont essentiellement dans les mains des libéraux (même si depuis l’été dernier se profilent quelques améliorations dans ce domaine).
Deuxièmement, le patriotisme et l’idée de la justice, sur lesquels s’appuie le comportement international souverain du pouvoir actuel, ne représentent pas pour autant un projet capable de changer la donne historique. L’équipe qui s’est consolidée autour de Poutine n’a pas d’idéologie suffisamment claire et ferme pour affronter à long terme les forces destructrices du capitalisme.
La régression de la Russie, vertigineuse au cours des années 90, a été freinée par le national-poutinisme, mais elle n’a pas été stoppée ni renversée. Le consumérisme, l’apologie de la « normalité », de la société de l’autosatisfaction matérielle, prédominent encore. Ces vertus sont soutenues, par exemple, par un acteurs aussi important que le Premier Ministre Medvedev.
Le national-poutinisme en tant que force politique, autour de laquelle se consolide une partie importante de l’élite, a pour cadre l’affrontement entre la bourgeoisie nationale – qui ne peut concevoir son existence sans un Etat national protecteur – et le capital transnational. Nous reviendrons plus bas à cette confrontation majeure. En dehors de ce cadre conflictuel, le national-poutinisme n’a pas de ressources – ni idéologiques, ni humanes. Il n’a pas de projet global de l’avenir qui pourrait contrebalancer le projet de la Scientist control society, et autres cauchemars orwelliens que nous préparent les élites transnationales. Ainsi, dans le contexte actuel il joue un rôle positif, mais à long terme, il ne peut pas, tel quel, faire long feu.
4. Les ennemis
Quels sont les ennemis du national-poutinisme ? Curieusement, ce sont aujourd’hui les mêmes que ceux qui se déclarent comme les plus féroces ennemis du communisme. Sauf que les poutiniens ne s’empressent pas d’aller former un front commun avec les communistes. Ce n’est pas si simple que cela, aussi bien à cause de la base essentiellement bourgeoise du pouvoir actuel, qu’à cause du positionnement du KPRF lui-même (souvent assez ambigu).
Mais procédons dans l’ordre. D’abord quels sont lesdits ennemis ? Il s’agit surtout de deux forces politiques : les libéraux et les nationalistes.
En ce qui concerne les libéraux, ils ont été totalement discrédités déjà au cours des années 90, lorsqu’ils disposaient du pouvoir entièrement. Cependant, cela ne les a pas empêché de rester sur la scène politique. Il est vrai qu’aux législatives de septembre dernier, les libéraux, haïs par la population, ont totalement échoué. Le parti PARNAS de ex-Premier ministre Kassianov (2000-2004) a fait 0,73% ; le parti YABLOKO de Yavlinski – 1.99%. Mais, suivant le consensus tacite, mentionné plus haut, des classes dirigeantes de la Russie, les libéraux ont gardé les postes clés dans l’économie, les finances, la banque centrale, les médias et les ministères ou services liés à la politique intérieure.
Les nationalistes méritent une attention particulière, puisque c’est une force réelle et puisque selon les documents qui ont été divulgués avant les élections, ils se sont alliés avec les libéraux, incapables de prendre le pouvoir autrement que par le biais d’une « révolution ». Le but annoncé de cette alliance est le « changement de pouvoir » en Russie. Selon eux, ce changement devra se dérouler « de manière non-démocratique » car ils sont « prêts à autre chose ». Ainsi les groupes paramilitaires nazis devront épauler les « protestations » initiées par les libéraux, contre, évidemment, la corruption et autres maux subis par le peuple.
Vyacheslav Maltsev (à gauche), nationaliste, auteur du vidéo-blog « Mauvaises nouvelles », présenté par le parti libéral PARNAS de Kassianov (à droite) aux législatives avec un programme d’éviction de Poutine.
Les deux – les libéraux et les nationalistes – œuvrent en même temps activement à la nouvelle perestroïka rampante qui est dirigée contre la re-soviétisation. Les nationalistes sont liés à l’ancienne émigration blanche collaboratrice (représentée par la fondation Vassili le Grand, Templton Investment, fondation Soljenitsyne et autres structures basées en Occident). Malgré une rhétorique pseudo-patriotique, le caractère destructif de leur activité est clairement visible. C’est toujours la falsification de l’histoire, la justification du fascisme, la remise en cause de l’exploit de la victoire sur Hitler, le soutien aux séparatismes locaux, la haine du peuple (du « plèbes ») et, évidemment, la haine envers toute la période soviétique, le communisme et la Révolution d’Octobre.
Il va de soi que dans la guerre que mènent les élites occidentales contre la Russie et contre le pouvoir de Poutine, ces forces ont tout le soutien matériel et médiatique de l’Occident.
Quelque citations pour illustrer leurs propos :
Egor Prosvirnine, nationaliste, admirateur d’Hitler, rédacteur du site « Spoutnik et pogrom » : « Le 22 juin [date de l’attaque d’Hitler sur l’URSS] est le jour de vengeance (...) » ; « Tout ce qu’il y avait de plus truand, de plus sombre, détestable et forcené dans l’Empire russe, s’est libéré avec la Révolution en submergeant le pays. (...) »
Alexandre Minkine, chroniqueur du journal Moskovskij Komsomolets, ami et collaborateur de l’oligarque Vladimir Gussinski : « Non, nous n’avons pas gagné. Ou mieux : nous avons gagné, mais en même temps nous avons perdu. Et si c’était mieux, que ce fût Hitler qui avait vaincu Staline ? En 1945 ce n’est pas l’Allemagne qui a péri, mais le fascisme. De même, ce n’est pas la Russie qui aurait péri, mais le stalinisme. »
Je vous épargne la longue liste de ce genre de perles.
5. Le KPRF
Que fait pendant ce temps le KPRF ? Oppose-t-il une résistance sérieuse à ces attaques ? Malheureusement son action est plutôt inefficace.
Son échec dans les dernières élections a été sidérant. Dans un pays où quasiment 80% de la population partagent des valeurs historiques de gauche et sont attachés à l’URSS, faire moins de 15% est alarmant, le moins qu’on puisse dire. Selon nous, c’est un résultat de la ligne politique molle qu’a adopté le parti communiste. Sans rentrer dans le détail, car cela nous emmènera loin, je propose juste deux exemples de la campagne électorale du KPRF :
On voit clairement, que la lutte contre l’adversaire supposé (c’est-à-dire le capitalisme) est conduite en s’appuyant sur le langage, les valeurs et les appâts de ce même adversaire. Une pareille campagne n’est qu’un piège, qui n’est point différent de ceux que tendent d’autres partis. Comment voulez-vous que cela convainc la population ? Et quel est le type d’électeur qui est censé être attiré par cette publicité ?
III. L’héritage de la Révolution dans la perspective de l’avenir de l’Humanité.
En observant le panorama des forces politiques présentes en Russie et dans le monde, nous posons à présent deux questions :
Peut-on surmonter le sentiment d’une lutte totalement désorganisée et sans perspectives à long terme ?
Peut-on dans cette situation définir un objectif positif, c’est-à-dire, non seulement clamer notre NON à ceci ou cela, mais clamer un OUI à une idée, un projet, une direction ?
Selon nous la réponse doit être positive et elle doit s’articuler autour d’une certaine vision philosophique l’Homme qui est une vision profondément progressiste. Si nous analysons la conception qu’ont différentes forces politiques de l’Homme, de l’espèce humaine, de sa destination, nous nous rendons à l’évidence que cela représente un critère absolument fondamental et révélateur. Car aussi bien les néo-libéraux que les fascistes, les identitaires et autres national-socialistes, en partagent une : vision régressive d’après laquelle l’Homme est un être foncièrement méchant, nuisible, incorrigible, incapable à évoluer et totalement déterminé biologiquement, socialement et psychologiquement ; On peut y ajouter encore les écologistes et autres mouvements qui cachent leur jeu. Cette vision de l’Homme devient un véritable identificateur du camp adverse. On n’a pas le temps d’analyser maintenant les antécédents philosophiques et politiques de cette vision, mais ce sujet est d’une importance majeure (on peut remonter jusqu’aux sophistes en passant par plusieurs figures dont John Locke). Les détenteurs de cette vision, même si aujourd’hui ils s’opposent les uns aux l’autres, pourront demain trouver un accord sans problème, comme le font déjà les libéraux et les extrême-nationalistes en Russie.
La conjonction des forces qui partagent la vision négative et régressive de l’Homme ne peut servir qu’un seul projet de l’avenir : une société de castes, d’une inégalité irréductible, où la société sera réduite à une masse informe de bêtes abandonnées à leurs instincts primaires, gouvernés par une élite parasitaire qui utilise et manipule ces instincts.
L’idée positive, contraire à celle-là, consiste dans la vision de l’Homme en tant qu’être libre et créateur, capable d’évoluer et de s’améliorer (individuellement et surtout socialement) d’être concepteur et bâtisseur de son avenir. Cette vision est également très ancrée dans la culture européenne, dans la culture de la Modernité, dans la pensée de Descartes, de Leibniz, de Hegel, Marx, dans l’œuvre d’un Schiller ou d’un Beethoven. C’est elle qui animait la Révolution d’octobre, ainsi que et la Révolution française ; qui inspirait les bolcheviks, parti qui au moment de la Révolution ne comptait qu’une trentaine de milliers d’hommes et qui a su consolider des millions en leur donnant un sens, dans le combat pour une cause commune et universelle.
Comme l’a écrit Maxime Gorki, « L'homme! C'est magnifique! Cela sonne... fier! L'homme! Il faut respecter l'homme! Ne pas en avoir pitié... ne pas l'abaisser par la pitié... il faut le respecter! »
Depuis que les intellectuels et les politiques des années 60 ont remis en cause et dénigré le Progrès en tant que valeur, c’est la régression qui règne sur tous les niveaux. Oui, certaines technologies progressent, mais l’Homme, la société, leur complexité, leur potentiel humain et créateur déclinent en ouvrant le chemin à une société infernale du contrôle technologique et non-liberté totales : une trans-humanité ou post-humanité, si l’on peut dire.
De la mise en échec de cette perspective dépendra l’avenir de l’Humanité, rien en moins. Toute force politique qui militera pour l’idée progressive de l’Homme et contre l’idée régressive devrait donc être regardée comme un allié – stratégique ou tactique, c’est selon.
IV. L’affrontement majeur de nos jours : capitalisme financier mondialiste contre les bourgeoisies nationales
La dérive du capitalisme financier mondialiste, sa fuite en avant, ont généré un nouveau conflit majeur vers lequel c’est déplacé la principale ligne d’affrontement. Jadis cette ligne passait entre le capitalisme et le socialisme soviétique. Ce dernier a quitté la scène historique. Mais depuis quelques années les bourgeoisies nationales sont entrées en conflit fondamental avec le capital transnational. Autrement dit, il s’agit de la lutte entre l’Etat-Nation et le projet facho-mondialiste.
La lutte pour la présidence entre Clinton et Trump en est d’ailleurs une expression. On peut en trouver d’autres, non moins visibles. Par exemple l’histoire du Brexit, ou la tension entre le cadre de l’UE et certains pays qui se rebiffent (comme la Hongrie ou l’Autriche). Le natonal-poutinisme se situe à l’avant-scène de cet affrontement. L’attitude positive envers la Russie des droites européennes (notamment en France) est un des indices de ce grand conflit.
La lutte risque d’être sans merci. Le capitalisme plus conservateur des bourgeoisies nationales prend appui sur la mémoire et les valeurs de la Modernité. Le capital mondialiste, en revanche, se cantonne dans la culture de la Post-modernité.
Les deux sont de nature capitaliste, mais sur cet échiquier l’Etat-Nation souverain est nettement un moindre mal. Cela se voit surtout à travers le projet de l’Homme et de la société dont ils sont porteurs. Les élites mondialistes mettent activement à l’œuvre le projet de post-Humanité fondamentalement inégalitaire que j’ai déjà évoqué, les élites conservatrices s’accrochent (sont bien obligés de s’accrocher) à la Modernité qui en son sein porte également le projet, ou plutôt une mémoire du projet, progressiste de l’Homme et de la société. Force est de constater qu’il est nécessaire aujourd’hui de soutenir ce dernier élément pour éviter que la civilisation sombre définitivement.
V. Le dépassement est-il possible ?
Ainsi nous voyons que la lutte pour la justice sociale d’antan devient aujourd’hui lutte pour l’Homme. Est-il possible que le cadre entièrement capitaliste du conflit majeur actuel soit dépassé pour que le projet de l’Homme et de la société proprement communiste, celui de « l’Homme cela sonne fier », puisse revenir sur la scène historique ? Autrement dit, peut-on concevoir (et réaliser) un projet historique « Hyper-Moderne » qui ouvrira une voie à un véritable développement et épanouissement humains ?
En premier lieu, il est indispensable que l’Etat russe actuel, certes très imparfait, tienne jusqu’au moment où nous aurons construit des structures capables de pencher pacifiquement la balance du côté de la voie communiste. C’est-à-dire d’influer sur l’élite de telle sorte qu’elle change de direction et d’appui, qu’elle prenne l’appui sur le peuple et sur l’intérêt général. Mais pour cela il est nécessaire aussi que le peuple existe, c’est-à-dire qu’on ait affaire à une société de citoyens et non pas un marais de consommation.
En revanche, si l’Etat est anéanti plus rapidement, nous devrons être prêts pour servir de coussin sur lequel tombera la société. Mais cela sera dur de lui faire tenir le choc.
Pour ces raisons, en Russie d’aujourd’hui, toute activité qui mine l’Etat, notamment la préparation d’une nouvelle « révolution » orange ou autre forme du putsch, doit être combattue et neutralisée. Nous ne savons pas comment vont se passer les choses. Y aura-t-il une tentative du coup d’Etat ou une attaque militaire... Ce ne sont pas des scénarios impossibles déjà à l’horizon 2017-2018.
Lénine ne savait pas non plus en début 2017 que dans quelques mois seulement il allait voir le pays gésir en ruines et le pouvoir abandonné presque à qui veut. L’important pour nous est d’être prêts stratégiquement à entraîner les gens et la société entière. Ce n’est certainement pas une chose facile. Mais la Révolution d’Octobre tenait également du miracle. Peut-être pas la prise du pouvoir elle-même, mais le redressement du pays qui a été accompli par la suite dans des conditions extrêmement difficiles, sûrement si. Il y a quelques leçons à en tirer. Les bolcheviks n’étaient pas nombreux (30000 au plus). Mais ils étaient très soudés, très dévoués et disciplinés. Et ils ont pu entraîner une énorme partie du peuple dans la construction d’un Etat nouveau, sans précédent historique.
La création des réseaux internationaux solides est également un élément très important. Nous, Essence du temps, sommes menons une lutte très intense en Russie. C’est une lutte pour l’éducation (nous avons par exemple mis à jour plusieurs manuels scolaires des années 50), pour la culture (théâtre, clubs de discussion, communautés spécifiques dans les réseaux sociaux) ; c’est la création de structures sociales alternatives et anti-régressives – « points de croissance » – dont la vocation est de devenir les points de cristallisation d’une nouvelle société basée sur les valeurs communistes. Le principal exemple en est la commune d’Alexanrdovskoe, projet déjà réussi1. Aussi c’est le travail théorique soutenu, la consolidation et l’élargissement de l’organisation.
On a beaucoup de choses à faire dans l’année en cours. Le centenaire de la Révolution arrive dans un an. Pour nous ça sera une étape importante où tout doit être déjà prêt pour affronter les phases décisives de la lutte.
Pour terminer, je dis vive la grande Révolution d’Octobre !
1 Commune d’Alexandrovskoe : plusieurs dizaines de membres d’Essence du temps vivant en permanence dans le village d’Alexanrovskoe. Ils font tourner une scierie et une fabrique de textile (entreprises abandonnées et totalement délabrées, réhabilités par le mouvement) et, parallèlement, effectuent un énorme travail intellectuel : études, édition du journal national du mouvement, agence d’information, etc.