Notre polémiste attitré m'adresse cette lettre en rapport avec l'actualité mondaine la plus pointue.
Bien qu'il l'ait assez peu fréquenté, sa lettre apporte de précieux éclairages sur la récente sortie de l'une de ces figures qui bouleversent occasionnellement l'ordonnacement des diners en ville un peu gourmés.
En dépit du repos dominical, le caractère comminatoire de cette chronique m'a paru justifier une publication immédiate, inaugurale de la nouvelle rubrique ( à périodicité aléatoire) que son auteur a accepté d'assumer, et qu'avec lui et d'un commun accord nous avons résolu d'intituler :
« Faisons nous des amis, avec Jean-Pierre Garnier »
Quels sont « les trois grands intellectuels de notre époque ? »
Régis Debray, Alain Finkielkraut et Michel Onfray.
Tel est du moins l'avis d'une autorité en la matière : Franz-Olivier Giesbert, dans un éditorial du Point où figure le dossier à la gloire de Régis Debray. Rien moins que treize pages avec illustrations ad hoc pour encenser ce « lutteur » chez qui « la volonté de savoir a pris le pas sur la volonté de pouvoir ».
Il faut le voir — bouffonnant en double page sur une balançoire, entre autre — pour le croire. Debray se surpasse en pitreries autosatisfaites, en contrevérités contredisant celles qui émaillaient se ouvrages précédents, en formules empruntées à d'autres auteurs, en assertions définitives reposant sur du vent, le tout pour se féliciter qu'il n'y ait désormais « plus d'après », le progressisme ayant failli.
Tout se passe, avec ce livre « testamentaire », comme si après Debray, devenu avec l'âge — il a 75 ans comme moi — la proie d'une punkitude sénile, plus rien d'important ne devait survenir dans l'avenir.
Je devine ta répugnance, égale à la mienne, à débourser 4 euros pour acquérir un numéro déversant sur papier glacé une prose aussi brillante que creuse applaudie par les éléments les plus réactionnaires de ce que l'on n'ose plus appeler l'intelligentsia française. Mais le cas Debray confirme le degré de dégradation où est tombé ce qui, selon lui, définit le « projet intellectuel » : « avoir de l'influence sur ses contemporains ». Étant entendu que ceux-ci ne sauraient être confondus avec le vil peuple. Debray et ses pareils ne conçoivent celui-ci que soumis à un prince lui même éclairé par des conseillers avisés, sous peine de demeurer « un tas » d'individus sans qualités au lieu de former un « tout » unifié marchant du même pas — Debray est favorable au rétablissement du service militaire — sous la houlette des grands hommes (ou femmes) du moment.
Ce dossier, à la fois ahurissant et consternant, à la gloire d'un personnage que l'on continue dans certains milieux, heureusement restreints, à prendre au sérieux malgré ses innombrables palinodies, montre en tout cas que si « exception culturelle française », c'est bien celle-là. J'oserai dire qu'il n' y a vraiment pas là de quoi se glorifier.
Jean-Pierre Garnier
Note du libraire destinataire : je confirme que je répugne absolument, et depuis fort longtemps, à la dépense de 4 euros évoquée par mon éminent chroniqueur.