Le 22 août 2014
Une rentrée dialectique
Pour inaugurer cette nouvelle petite rubrique il fallait évidemment un concours de circonstances favorables. En l’occurrence la concomitance de la rentrée littéraire, d'un courriel de fidèle client et de la demande plus ancienne de certains habitués pour un commentaire des livres que nous leurs présentons sur nos étals de libraire. C'est donc l'aimable et très précieux courrier que Jacques vient de nous adresser qui aura été l'occasion et la source de cette chronique inaugurale, qu'il en soit doublement remercié.
Bonsoir Dominique,
Comme promis je vous transmets l'article, paru dans le Nouvel Obs du 14 août 2014, qui fait l'éloge de Mathias Menegoz qui a pubié Karpathia.
En revanche je vous ai dit une grosse ânerie concernant sa pub faite sur BFM. Ce n'était pas de M. Menegoz qu'il parlait mais d'Aurélien Bellanger.
Bonne lecture et ne passez pas la nuit à jouer aux cartes.
Amitiés.
Jacques.
Bonjour et merci Jacques.
Ces précisions remettent les choses dans un ordre plus naturel ...
Il faut d'abord reconnaître à Aeschimann, en dépit de mes préventions à l'égard de la gazette où il se produit, qu'il connaît assez de littérature pour avoir su distinguer le livre de Menegoz que je suis en train de lire (grâce à vous) et dont je confirme la valeur romanesque, littéraire et historique. J'ajoute que c'est une des (rares) « bonnes surprises » de la rentrée. Surprise d'autant plus grande pour nous que P.O.L est notoirement un des plus prévisibles des éditeurs du milieu parisien (raison pour laquelle je l'exclue généralement de mes lectures), plutôt coutumier de la soupe branchée (prétentieuse, démagogique et insipide, du genre Marie Darrieussecq ou Emmanuel Carrère) dont sont friands les Panurges de classe moyenne (De gôche « mais pas que ») et leurs hérauts de la presse ad hoc. Il est d'ailleurs à craindre que nous en soyons abondamment gavés dans les prochaines semaines.
Je n'ai pas lu l'article du Nouvel Observateur que vous citez (pas lisible sur votre courriel). Si vous pouvez me l'amener à votre prochaine visite, ça m'intéressera de savoir comment ce manuscrit a pu être publié par P.O.L. En effet « Karpathia » se présente comme une vaste reconstitution historique, incarnée et passionnante, marquée du souci scrupuleux (au bénéfice du lecteur) de consistance romanesque, servi par un style limpide, appuyé sur une érudition qui sert et enrichit l'intrigue plutôt que de l'étouffer. De la Vienne impériale aux marches obscures de l'Empire des Habsbourg, où plane encore l'ombre de Vlad l'empaleur (alias Dracula), au milieu du XIXème siècle, un couple à la Tolstoï emporte le lecteur dans son histoire violente et passionnée. Pour imaginer et écrire convenablement ce genre de fresque, comme l'a fait Menegoz, il faut un travail considérable et un art maitrisé.
Des qualités peu fréquentes chez nos auteurs égotrophiés, narcissiques et mondains, de grande vacuité imaginative (et dont la désinvolture d'expression masque un « savoir-faire limité »), tels ceux habituellement publiés par P.O.L... Pour réussir ce genre de livre, il faut aussi une ambition littéraire et un parti-pris romanesque qui rappellent ceux qui triomphèrent avant les « maîtres ignorants ». Je ne voudrais pas accabler Menegoz de comparaisons trop intimidantes mais il est clair qu'on songe en le lisant (mutatis mutandis) à Balzac, Tolstoï et Pierre Benoit (et in petto Gogol et Joseph Roth), bien plus qu'à Marie Darrieussecq ou Emmanuel Carrère d'Encausse... et naturellement on ne s'en plaindra pas !
De même ensuite (nous sommes dans une figure dialectique) il est parfaitement congru que sur BFM un chroniqueur économique vante les mérites du Bellanger. Dès lors que ce « produit culturel » est promu par Gallimard sur le modèle commercial appliqué naguère aux eaux de toilette pour midinette. C'est du même tonneau ... pour vous en convaincre il n'est pas même nécessaire d'ouvrir le livre : tout est sur l'étiquette. Voir la tronche de pâtre branché et barbichu qui a été soigneusement attifée à ce clone croisé d'Olivier Adam, Gerbeigbeder et Béchamelle (jeune), sur le bandeau de couve où, pour bien faire, le jeune, et fringant « auteur prometteur » prend même une pose mystérieuse et distante, sans doute supposée évoquer les poètes maudits (et « forcément » profonds).
Nous avons là un ouvrage sur papier «enrichi » (sur le modèle de la réalité augmentée), dont le business plan est sans doute de compléter l'offre visant la chalandise de Poubellebecq (dont la productivité est limitée par une malencontreuse pratique péri-pathétique et d'hygiène relâchée). Car il ne s'agit plus vraiment de concurrencer le yoda aux remugles de vieilles chaussettes, sur le marché du cynisme post-moderne, ranci et enfumé, puisque Gallimard a également racheté Flammarion.
Du particulier au général...
Bref, là comme ailleurs, la double négation est à l'oeuvre et la dialectique est donc la seule heuristique capable de nous découvrir le sens (et les conséquences prévisibles) des phénomènes, fussent-ils aussi superficiels et aussi peu « logiques » que peut l'être la rentrée littéraire parisienne.
Certes, c'est sur un mode répétitif et futile, pour ne pas dire sur celui de la « farce » et des maronniers. Mais ces choses de la représentation collective, transmises et marchandisées, qu'on désigne ordinairement comme « culturelles » exercent une influence sociale décisive, qui déborde du champ propre du Livre et de la Lecture. Sous leur forme sociale actuelle les « livres de la rentrée » s'inscrivent donc, comme toute chose économique, dans l'ordre de la valeur, et à ce titre sont nécessairement asservies à l'impératif de fétichisation de la marchandise, qui en commande la circulation profitable. Seule donc la logique dialectique, aussi abstraite et sollicitée qu'elle puisse paraître de prime abord, permet d'en rendre compte utilement à l'honnête lecteur que vous êtes, comme nous tous, simples amateurs de l'humaine gratification qu'apportent le commerce et l'usage des livres.
À l'inverse de son confrère et ami Gallimard, c'est en niant sa négation primordiale (son déterminisme particulier) d'éditeur mondain et in-signifiant que P.O.L. peut dépasser la contradiction centrale qui confine ordinairement les éditeurs parisiens dans leur médiocrité, par une production d' « Intérêt général », celle de romans et de littérature satisfaisant au réquisit de l'Universel concret : c'est à dire médiateurs symboliques d'une vérité sensible « partageable par tous, partout et toujours ».
Il est amusant d'observer enfin que ce dépassement passe par la médiation du genre : le genre classique du roman historique (plaçant personnages et intrigue dans un contexte historique déterminé) et moraliste (de critique des moeurs). J'ajoute pour conclure que cela passe aussi, comme toujours, par des circonstances (celles que révèlent peut-être « votre » article). Des circonstances qui ne sont pas à comprendre comme des causes occasionnelles mais plutôt selon l'ordre et la logique qu'agence la sélection naturelle au cœur des forces productives, ce que Patrick Tort appelle « l'Effet réversif de l'évolution ».
Amitiés, à bientôt.
Dominique
PS : je transmets copie aux excellents représentants de Gallimard et de P.O.L. (également une entreprise Gallimard) pour leur soumettre la démonstration empirique (établie sur de solides bases matérialistes) de la validité de mes commentaires sur les livres qu'ils me présentent, car ces défenseurs obstinés des auteurs qu'ils diffusent me jugent souvent excessif et péremptoire ...
La preuve que … NON.