Les nouvelles aventures de Macron - En Serbildalvie

La joie véritable, les amis sincères, les constats de l’histoire.

La Serbie après la visite d’Emmanuel Macron.

Filip Rodić

Pečat, Belgrade, 6 septembre 2024

La visite d'Emmanuel Macron est-elle une bonne ou une mauvaise affaire pour la Serbie ? Ouvre-t-elle une voie vers la perte ou vers la préservation du Kosovo, les bonnes relations avec la Russie vont-elles en souffrir alors que ralliement à coalition anti-russe est mis sur le tapis, va-t-on ouvrir la porte à la « destruction de la Serbie » par l'exploitation du lithium ? Ce sont autant de questions que suscite le séjour de Macron en Serbie alors que nombre de contradictions, d’incohérences entourant sa visite interdisent la formulation de réponses claires à ces interrogations vitales pour le pays et ses habitants.

L’hebdomadaire belgradois Pecat en date du 6 septembre publie, sous la plume de l’un de ses rédacteurs les plus en vue, Filip Rodic, un article au vitriol consacré à l’événement. Le président français n’en sort pas grandi car les Serbes, formant une nation foncièrement attachée à l’histoire, se souviennent. Les Serbes se rappellent de Louis XIV à l’origine de la Première grande migration qui mena les Serbes du Kosovo au Donbass en Ukraine actuelle, ils se rappelent des guerres napoléoniennes comme des événements récents ; les bombardeents du printemps 1999 mais aussi les célébrations parisiennes du centenaire de la victoire de 1918 sont demeurés dans leur mémoire. Se souvenant de la sorte comment leur président Aleksandar Vucic fut relégué sur une estrade auxiliaire alors que le premier ministre de l’état fantoche kossovar HassimThaci (détenu depuis trois ans à la Haye, inculpé de crimes de guerre) avait droit à la tribune principale immédiatement aux côtés du président français, ils savent à quoi s’en tenir quand ils considèrent les « tweets » d’Emmanuel Macron, touchant témoignage du manque de savoir-vivre du prestigieux visiteur, insinue Filip Rodic.

Ainsi, si la Serbie demeure dans l’incertitude quant à la véritable nature de la visite que lui a rendu le président français les 28 et 29 août dernier, la France de son côté, par ce même séjour, comme le montre le journaliste belgradois, se trouve confronté aux contradictions que lui impose le fameux couple franco-allemand dans le cadre de l’UE. En effet, en Serbie – comme probablement partout ailleurs -, la France et l’Allemagne ne sauraient avoir en commun une même politique, tout s’y oppose à commencer par l’histoire mais également la culture et l’économie et, peut-être surtout, la géographie qui fait de la Serbie la porte vers le Proche orient.

En chaque mal il y a quelque chose de bon, disent nos gens. Bien que ce dicton soit la première chose qui nous vienne à l’esprit quand on envisage la récente visite du président français Emmanuel Macron en Serbie, force est de constater qu’on peine à l’applique à l’événement considéré. Il n’y a en effet rien de vraiment mauvais dans le séjour du président français alors que dans le même temps on ne parvient pas à y trouver d’éléments indubitablement positifs. Aussi, réflexion faite, est-il évident que la visite présente deux aspects, elle pourrait être comparée aux icônes représentant Jésus-Christ le visage peint de manière asymétrique pour représenter symboliquement ses deux natures - humaine et divine. D'ailleurs, Macron lui-même a montré avant son arrivée qu'il envisageait cette visite de manière binaire en quelque sorte. En effet, il est d'usage que lorsque les plus hauts responsables d'un gouvernement étranger visitent un pays, ils envoient à l'avance une sorte de « lettre d'intention », c'est-à-dire un texte d'auteur dans lequel ils évoquent l’objet de la visite et en soulignent les aspects les plus importants. Dans cet ordre d’idée, avant sa visite à Belgrade début mai de cette année, le président chinois Xi Jinping a envoyé un texte au plus ancien journal des Balkans, « Politika » de Belgrade. Cependant, si Macron a ressenti le besoin de faire la même annonce écrite, il l’a cependant faite dans deux médias : le quotidien « standard » « Politika » et le quotidien « non standard » fortement oppositionnel « Danas ». Voulait-il ainsi se mettre au diapason de la « division » de la société serbe, entendue que jamais les mêmes personnes ne liront « Politika » et « Danas », alors qu’il souhaite que tout le monde entende ce qu'il a à dire.

Pour être honnête, je dois dire que j'aime le président français autant (même un peu moins) que les Français eux-mêmes ne l'aiment (pour paraphraser la célèbre inscription du monument de Kalemegdan à Belgrade). Lors des élections législatives, n’ont-ils pas montré ce qu’ils en pensaient en votant majoritairement pour les partis qui s'apprêtent maintenant à engager une procédure de destitution à son encontre, lui qui « refuse d'obéir à la volonté du peuple » en donnant mandat de former un nouveau gouvernement à l’improbable Lucie Castets, incongrue représentante de la coalition de gauche qui a triomphé. Cependant, on se doit de remarquer que les Français aiment leur président plus que les Allemands n'aiment leur chancelier, comme le montrent les récents résultats électoraux dans deux des provinces les plus importantes de la république fédérale. ,

LE BEAU VISAGE DE MACRON En premier lieu abordons ce qui est indiscutable et ce que d’aucuns voudraient mettre en question, autrement dit dégrader. Ainsi en est-il d’ une vérité qui va de soi, à savoir que la visite d'un homme d'état étranger dans votre pays, en particulier quand il s’agit d’un dirigeant d'un des principaux pays non seulement du continent, mais du monde entier, représente une événement important. Peu importe la personnalité du président, peu importe l’état du pays qu’il représente. En tout état de cause, il en va d’une preuve incontestable de la considération et du respect, même si les motivations réelles ne sont pas des plus honorables. La venue du président français à Belgrade aurait-il, par exemple, une incidence sur le combat pour la préservation du Kosovo-Metohija ? La pression pour un « Kosovo indépendant » est une donnée politique permanente, ce voyage ne contribuera guère à modifier la donne. L’exploitation ou non du lithium dépendra du fait que Macron pose ou non le pied sur le sol serbe ? Difficile aussi. La Serbie va-t-elle désormais imposer des sanctions à la Russie parce que Macron s’est rendu au palais de Serbie ? Au contraire, le président Aleksandar Vučić a profité de ses entretiens avec Macron pour souligner une fois de plus, non pas qu'il n'y a aucun doute à ce sujet, mais qu'il est fier de sa décision selon laquelle la Serbie ne fait pas de telles choses. Je voudrais vous rappeler que dans la période précédente, jusqu'à il y a quelques mois, lorsque l'on parlait de sanctions, la terminologie était beaucoup plus nébuleuse, vague et incertaine, du genre « nous tiendrons le plus longtemps possible ».

Si le but de toute cette visite était seulement que le président exprime clairement, haut et fort cette position ferme devant un haut responsable étranger, cela suffirait. Il est également important que toute une série d'accords interétatiques aient été signés lors de la visite de Macron, dont le plus important concerne la coopération dans le développement du programme nucléaire civil, mais aussi celui relatif au thème, très impopulaire actuellement en Serbie, de l'exploitation des ressources « critiques », comme c'est désormais à la mode de dire, et des ressources minérales stratégiques. Par ailleurs des accords ont été signés sur le traitement des eaux usées, la coopération dans l'agriculture et l'industrie alimentaire, le traitement et la lutte contre le cancer, etc. Et il y a bien sûr celui de l'achat des fameux "Rafales", qui, peu importe les discours du gouvernement, ressort plus clairement à une sorte de « corruption » qu’à un choix avisé pour notre pays et notre armée. De nombreux experts nationaux affirment que les "Rafales" sont un choix imparfait par nécessité, et soulignent qu'il s'agit d'un jouet très coûteux et compliqué qui ne pourra pas être utilisé dans le combat mais presque exclusivement pour des missions de surveillance. Quand nous disons coûteux, nous entendons que deux escadrilles de SU-35 russes pourraient être achetées pour le prix de ces 12 avions, mais en réalité, nous ne pourrions pas les obtenir dans les conditions présentes. Lorsque nous parlons de compliqué, nous entendons la complexité de la transition d'un système aéronautique (russe) à un autre (OTAN), qui comprend tout, depuis l'infrastructure jusqu'à la formation des pilotes et des techniciens. Et des coûts de maintenance et d’utilisation nettement plus élevés.

QUE VEUT MACRON POUR NOUS ? Le côté obscur de la venue de Macron est clairement souligné dans le texte d'auteur mentionné, publié dans deux médias et largement repris lors de la conférence de presse commune des deux présidents. Macron nous assure que la Serbie ne devrait pas craindre pour son identité et sa souveraineté en rejoignant l’UE et que seul le bloc européen peut lui fournir l’indépendance et la souveraineté qu’elle recherche. Voyons d’abord comment la France elle-même a préservé son « identité » ! Son identité est-elle désormais celle qui nous a été pompeusement montrée lors de la fameuse ouverture des Jeux Olympiques ? Est-ce ainsi qu'ils nous la présentent ? Est-ce une identité digne de Charles Martel, de Louis XIV, de Napoléon, des guerriers de Verdun ou des partisans de De Gaulle ? Mais bien plus intéressante que cela est la fausse promesse de préserver l'indépendance et la souveraineté - ce sont précisément les deux choses qui disparaissent en premier lorsqu'un pays entre dans l'UE, et ce serait particulièrement le cas de la Serbie, car Macron lui-même, tout en encourageant nous parle de notre souveraineté, il souligne qu'il mettra en œuvre "l'accord", ce plan franco-allemand qui officialise que cette partie du territoire de la Serbie, à savoir le Kosovo et la Metohija, devienne un État indépendant. De Gaulle, l'homme qui, au nom de l'indépendance, a retiré la France du commandement conjoint de l'OTAN, auquel son "successeur" Nicolas Sarkozy l'a rendu, doit se retourner dans sa tombe en raison de la conception française actuelle de sa souveraineté alors que la vision de Macron sur la souveraineté serbe est en réalité une véritable « anti-souveraineté ». L’idée d’évoquer « l’autonomie stratégique » de l’Union européenne est en soi tout simplement risible. Premièrement, la véritable Europe devrait être « stratégiquement indépendante », et non « autonome », et deuxièmement, nous avons vu à quel point cette autonomie était importante depuis le début de l'opération russe en Ukraine, puisque l'Europe se tire régulièrement une balle dans le genou à chaque fois que Washington claque. ses doigts.

En plus de garantir cette souveraineté tronquée, Macron nous propose d'"assurer notre sécurité et de renforcer la coopération de défense" en "maintenant un front uni face à la Russie". J’ai longtemps cru que Macron souffrait sérieusement d’un complexe napoléonien, mais là il va trop loin. Hitler a été le dernier à nous appeler à former un « front unique contre la Russie » et il n'a pas trouvé même trois Serbes intéressés pour cela, mais il y avait une poignée de Français volontaires. Et ce front unique s'est déployé de telle sorte que, répétons-le encore une fois, ce sont les Français de la division Charlemagne SS qui ont été parmi les derniers à défendre le bunker d'Hitler. Après cela, et après la débâcle napoléonienne, Macron renoue avec cette idée pour lancer une initiative visant à envoyer ouvertement des troupes françaises et d’autres troupes de l’OTAN en Ukraine pour combattre les Russes. C'est un plan qui ne peut pas échouer. Selon Macron, nous avons donc besoin du "courage nécessaire pour parvenir à un compromis" sur l'indépendance du Kosovo-Metohija, mais aussi pour être encore plus courageux dans la lutte contre la Russie. Mais là il ne pense guère à un compromis ; il n’y a pas de compromis avec les Russes.

Et nous arrivons ici à un moment vraiment déchirant. Touchant est en effet le message que Macron met sur X après la rencontre avec Vučić : « Dans un monde où tout est instable, c'est bien d'avoir des amis fiables et des constantes historiques. Nous les partageons. C'est une joie sincère de retourner en Serbie. » De vrais amis ? Rappelons des faits historiques ! Ainsi la Première Grande Migration des Serbes est une conséquence directe des actions de Louis XIV qui, en guerre contre les Turcs avec l'aide des insurgés serbes libéra la Serbie jusqu'à Skopje, pour, après avoir attaqué l’Autriche, se retirer pour défendre le « front occidental » en laissant les Serbes à la merci des Ottomans. Des artilleurs de Napoléon n’ont-ils pas contribuer à écraser le premier soulèvement serbe avec les Turcs ? Quant au mythe sur la Première Guerre mondiale, bien des choses devraient être révisées ! Nous pouvons être amis, mais il n’y a aucune fidélité à proprement parler, et la constante historique de 1689 à 1999 s’avère être exactement le contraire de ce que Macron voudrait nous faire croire. Encore une fois, pour être honnête, j'aime la France et les Français, c'est pour toujours le pays de ma jeunesse, mais les faits sont les faits. Et la constante historique pourrait changer si de vrais souverainistes et adeptes de la vision de De Gaulle arrivaient au pouvoir dans ce pays, qui ne préconiseraient pas la formation d'un front unique contre la Russie mais avec la Russie - l'Europe de Lisbonne à Vladivostok.

Traduction A.J. 6 septembre 2024

Tag(s) : #Alain Jejcic, #Serbie, #Emmanuel Macron
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