Les larmes de Raffarin : quand la lutte des places tourne à la guerre civile.
Notre petit camarade belge "Benoit" - également connu comme concierge du Musée de l'Europe & de l'Afrique - vient de nous communiquer un extrait assez divertissant de la correspondance qu'il poursuit (un peu par masochisme surréaliste belge sans doute) avec les robots humains de la "presse en ligne" francophone.
L'objet de leur débat est une question candidement posée par notre Belge, s’inquiétant auprès de Mediatarte de savoir si comme cela semble manifestement être le cas, "l'appel citoyen" reproduit compulsivement en ce moment par nos gazettes de révérence petite-bourgeoise éplorée a bien été rédigé par une "IA" bon marché. S'agissant de la part de toute cette presse ("et de gauche et de droite et du reste") du même message formaté en une compilation de phrases creuses et contradictoires, sur fond de rhétorique anxiogène mais pour cela censément "mobilisatrice" des "républicains" français, appelés aux burnes législatives - que Macron vient de sortir de son chapeau, après nous avoir sorti le polichinelle Attal d'un de ses tiroirs et enfin la formule de la dissolution compétitive, tirée de son sac à malices.
Voici donc la réponse de Charline :
Comme le mode de production les a durement traités ! De progrès en promotions, ils ont perdu le peu qu'ils avaient, et gagné ce dont personne ne voulait. Ils collectionnent les misères et les humiliations de tous les systèmes d'exploitation du passé ; ils n'en ignorent que la révolte. Ils ressemblent beaucoup aux esclaves, parce qu'ils sont parqués en masse, et à l'étroit, dans de mauvaises bâtisses malsaines et lugubres ; mal nourris d'une alimentation polluée et sans goût ; mal soignés dans leurs maladies toujours renouvelées ; continuellement et mesquinement surveillés ; entretenus dans l'analphabétisme modernisé et les superstitions spectaculaires qui correspondent aux intérêts de leurs maîtres. Ils sont transplantés loin de leurs provinces ou de leurs quartiers, dans un paysage nouveau et hostile, suivant les convenances concentrationnaires de l'industrie présente. Ils ne sont que des chiffres dans des graphiques que dressent des imbéciles.
Ils meurent par séries sur les routes, à chaque épidémie de grippe, à chaque vague de chaleur, à chaque erreur de ceux qui falsifient leurs aliments, à chaque innovation technique profitable aux multiples entrepreneurs d'un décor dont ils essuient les plâtres. Leurs éprouvantes conditions d'existence entraînent leur dégénérescence physique, intellectuelle, mentale. On leur parle toujours comme à des enfants obéissants, à qui il suffit de dire : "il faut", et ils veulent bien le croire. Mais surtout on les traite comme des enfants stupides, devant qui bafouillent et délirent des dizaines de spécialisations paternalistes, improvisées de la veille, leur faisant admettre n'importe quoi en le leur disant n'importe comment ; et aussi bien le contraire le lendemain.
Séparés entre eux par la perte générale de tout langage adéquat aux faits, perte qui leur interdit le moindre dialogue ; séparés par leur incessante concurrence, toujours pressée par le fouet, dans la consommation ostentatoire du néant, et donc séparés par l'envie la moins fondée et la moins capable de trouver quelque satisfaction, ils sont même séparés de leurs propres enfants, naguère encore la seule propriété de ceux qui n'ont rien. On leur enlève, en bas âge, le contrôle de ces enfants, déjà leurs rivaux, qui n'écoutent plus du tout les opinions informes de leurs parents, et sourient de leur échec flagrant ; méprisent non sans raison leur origine, et se sentent bien davantage les fils du spectacle régnant que de ceux de ses domestiques qui les ont par hasard engendrés : ils se rêvent les métis de ces nègres-là. Derrière la façade du ravissement simulé, dans ces couples comme entre eux et leur progéniture, on n'échange que des regards de haine.
Cependant, ces travailleurs privilégiés de la société marchande accomplie ne ressemblent pas aux esclaves en ce sens qu'ils doivent pourvoir eux-mêmes à leur entretien. Leur statut peut être plutôt comparé au servage, parce qu'ils sont exclusivement attachés à une entreprise et à sa bonne marche, quoique sans réciprocité en leur faveur ; et surtout parce qu'ils sont étroitement astreints à résider dans un espace unique : le même circuit des domiciles, bureaux, autoroutes, vacances et aéroports toujours identiques.Mais ils ressemblent aussi aux prolétaires modernes par l'insécurité de leurs ressources, qui est en contradiction avec la routine programmée de leurs dépenses ; et par le fait qu'il leur faut se louer sur un marché libre sans rien posséder de leurs instruments de travail : par le fait qu'ils ont besoin d'argent. Il leur faut acheter des marchandises, et l'on fait en sorte qu'ils ne puissent garder de contact avec rien qui ne soit une marchandise.
Mais où pourtant leur condition économique s'apparente plus précisément au système particulier du "péonage", c'est en ceci que, cet argent autour duquel tourne toute leur activité, on ne leur en laisse même plus le maniement momentané. Ils ne peuvent évidemment que le dépenser, le recevant en trop petite quantité pour l'accumuler. Mais ils se voient en fin de compte obligés de consommer à crédit ; et l'on retient sur leur salaire le crédit qui leur est consenti, dont ils auront à se libérer en travaillant encore. Comme toute l'organisation de la distribution des biens est liée à celles de la production et de l'État, on rogne sans gêne sur toutes leurs rations, de nourriture comme d'espace, en quantité et en qualité. Quoique restant formellement des travailleurs et des consommateurs libres, ils ne peuvent s'adresser ailleurs, car c'est partout que l'on se moque d'eux.
Je ne tomberai pas dans l'erreur simplificatrice d'identifier entièrement la condition de ces salariés du premier rang à des formes antérieures d'oppression socio-économique. Tout d'abord, parce que, si l'on met de côté leur surplus de fausse conscience et leur participation double ou triple à l'achat des pacotilles désolantes qui recouvrent la presque totalité du marché, on voit bien qu'ils ne font que partager la triste vie de la grande masse des salariés d'aujourd'hui : c'est d'ailleurs dans l'intention naïve de faire perdre de vue cette enrageante trivialité, que beaucoup assurent qu'ils se sentent gênés de vivre parmi les délices, alors que le dénuement accable des peuples lointains. Une autre raison de ne pas les confondre avec les malheureux du passé, c'est que leur statut spécifique comporte en lui-même des traits indiscutablement modernes.
Pour la première fois dans l'histoire, voilà des agents économiques hautement spécialisés qui, en dehors de leur travail, doivent tout faire eux-mêmes : ils conduisent eux-mêmes leurs voitures et commencent à pomper eux-mêmes leur essence, ils font eux-mêmes leurs achats ou ce qu'ils appellent de la cuisine, ils se servent eux-mêmes dans les supermarchés comme dans ce qui a remplacé les wagons-restaurants. Sans doute leur qualification très indirectement productive a-t-elle été vite acquise, mais ensuite, quand ils ont fourni leur quotient horaire de ce travail spécialisé, il leur faut faire de leurs mains tout le reste. Notre époque n'en est pas encore venue à dépasser la famille, l'argent, la division du travail ; et pourtant on peut dire que pour ceux-là déjà la réalité effective s'en est presque entièrement dissoute, dans la simple dépossession. Ceux qui n'avaient jamais eu de proie, l'ont lâchée pour l'ombre.
Le caractère illusoire des richesses que prétend distribuer la société actuelle, s'il n'avait pas été reconnu entre toutes les autres matières, serait suffisamment démontré par cette seule observation que c'est la première fois qu'un système de tyrannie entretient aussi mal ses familiers, ses experts, ses bouffons. Serviteurs surmenés du vide, le vide les gratifie en monnaie à son effigie. Autrement dit, c'est la première fois que des pauvres croient faire partie d'une élite économique, malgré l'évidence contraire. Non seulement ils travaillent, ces malheureux spectateurs, mais personne ne travaille pour eux, et moins que personne les gens qu'ils payent : car leurs fournisseurs mêmes se considèrent plutôt comme leurs contremaîtres, jugeant s'ils sont venus assez vaillamment au ramassage des ersatz qu'ils ont le devoir d'acheter. Rien ne saurait cacher l'usure véloce qui est intégrée dès la source, non seulement pour chaque objet matériel, mais jusque sur le plan juridique, dans leurs rares propriétés. De même qu'ils n'ont pas reçu d'héritages, ils n'en laisseront pas."
Guy Debord
In girum imus nocte et consumimur igni
1977
50 ans déjà que ça se trame ...