Pour celles et ceux qui se sont assoupis pendant la conférence des ambassadeurs et ambassadrices, ou qui n'ont pas eu le privilège d'y assister. Une recension scrupuleuse et perspicace par nos amis marseillais de COMAGUER.
initialement publié sur
http://comaguer.over-blog.com
Bulletin n° 392 - 08 Septembre 2019
Ça plane pour lui !?
Le 27 Aout le Président de la République s’est adressé, comme il le fait chaque année, aux ambassadeurs et ambassadrices de France réunis à l’Elysée. Une sorte de discours de rentrée. Il ne s’agit pas de donner à chacun des consignes précises au moment où il va rejoindre son poste mais d’insuffler à ces diplomates une énergie renouvelée pour défendre les intérêts de la France là où ils la représentent.
Ce long discours : 18 pages dans la version officielle de l’Elysée, mérite quelques annotations et commentaires sans cependant prétendre à une analyse critique intégrale. Ce qui frappe c’est l’altitude jupitérienne à laquelle se situe l’orateur, si haut qu’il peut donner avec le ton et les gestes de la conviction qui caractérisent son personnage son sentiment personnel sur toutes les grandes affaires du monde. L’exécution de sa politique est quant à elle, en pleine conformité avec le texte et l’usage de la Constitution de la V° République, confiée au premier ministre et au gouvernement. Le couple Macron/Philippe fonctionne comme a fonctionné le couple Sarkozy-/Fillon. Il est d’ailleurs piquant de noter qu’Edouard Philippe aurait probablement été le premier ministre d’un François Fillon à l’Elysée si ce dernier n’avait pas été abattu en vol par la DCA macronienne. Porteur de la politique de la droite Edouard Philippe a été installé à Matignon par Macron pour exécuter cette politique, celle du grand capital.
Vont se succéder de nombreux témoignages d’autosatisfaction tempérés cependant ici et là par la reconnaissance du fait que les grandes visions élyséennes n’ont pas toujours été concrétisées. Difficile de faire prendre des vessies pour des lanternes à cet auditoire très averti qui sait que les saillies macroniennes et ses propos de Maitre Jacques de la politique mondiale ne sont pas toujours appréciés par les gouvernements ou l’opinion des pays où ils exercent leurs fonctions.
Le premier de ces témoignages concerne le G7 de Biarritz.
"C’est la troisième fois que nous nous retrouvons dans ce format et qu'il est bon d'avoir du suivi et qu'au fond le faire après ce G7 que la France vient d'organiser, nous donne encore plus de sens. D'abord pour vous dire que le succès de ce G7 est le vôtre, celui des diplomates qui l'ont organisé, des élus qui l'ont accompagné, des équipes qui avec beaucoup de professionnalisme au sein de l'État dans nombre de ministères s'y sont impliqués."
Et il ajoute car ses auditeurs connaissent les coulisses de l’évènement et il est inutile de leur raconter des histoires :
"La part d'insuffisance, d'échecs relatifs Je crois aussi que ce G7 s'est inscrit dans une démarche profonde, cohérente avec notre stratégie. Celle de mettre la France au cœur du jeu diplomatique, elle nous revient collectivement chefs d'État et de gouvernement parce que nous n'avons pas suffisamment avancé.
Car il s’agit bien là d’insuffisances et d’échecs collectifs qui ne sauraient remettre en cause l’infaillibilité présidentielle, corset d’acier de cet esprit fragile."
Il en vient ensuite à la politique étrangère.
"Je crois aussi que ce G7 s'est inscrit dans une démarche profonde, cohérente avec notre stratégie. Celle de mettre la France au cœur du jeu diplomatique……je suis frappé chaque jour de voir combien pour nos concitoyens l'action qui est la vôtre a de plus en plus d'importance. Je crois que c'est l'âme profonde de notre pays et c'est aussi les transformations du monde qui conduisent à cela."
Mais une ombre fugace traverse aussitôt ce tableau idyllique de « l’âme de la France »
(encore l’inconscient pontifical).
Nous sommes quand-même un pays où malheureusement et nous l'avons condamné avec force, on va détruire des permanences d'élus ou agresser des élus parce qu'on signe un traité de libre-échange avec le Canada. Ce petit caillou dans sa chaussure vite oublié le messager aux pieds ailés (ce n’est plus le père : Jupiter, c’est le fils : Mercure) reprend sa course magnifique.
« …je voulais très rapidement partager avec vous au fond une espèce de tableau rapide du monde et de ses désordres et dans ce contexte, de nos priorités. Parce que je crois que c'est ce qui très profondément doit inspirer notre action en France, en Europe et à l'international.…
…l'ordre international est bousculé de manière inédite mais surtout avec, si je puis dire, un grand bouleversement qui se fait sans doute pour la première fois dans notre histoire à peu près dans tous les domaines, avec une magnitude profondément historique. C'est d'abord une transformation, une recomposition géopolitique et stratégique. Nous sommes sans doute en train de vivre la fin de l'hégémonie occidentale sur le monde. Nous nous étions habitués à un ordre international qui depuis le 18ème siècle reposait sur une hégémonie occidentale, vraisemblablement française au 18ème siècle, par l'inspiration des Lumières ; sans doute britannique au 19ème grâce à la révolution industrielle et raisonnablement américaine au 20ème grâce aux 2 grands conflits et à la domination économique et politique de cette puissance. Les choses changent. Et elles sont profondément bousculées par les erreurs des Occidentaux dans certaines crises, par les choix aussi américains depuis plusieurs années et qui n'ont pas commencé avec cette administration mais qui conduisent à revisiter certaines implications dans des conflits au Proche et Moyen-Orient et ailleurs, et à repenser une stratégie profonde, diplomatique et militaire, et parfois des éléments de solidarité dont nous pensions qu'ils étaient des intangibles pour l'éternité même si nous avions constitué ensemble dans des moments géopolitiques qui pourtant aujourd'hui ont changé. Et puis c’est aussi l'émergence de nouvelles puissances dont nous avons sans doute longtemps sous-estimé l'impact.»
NdE : on notera la gradation des locutions adverbiales qui nous permet de comprendre le sens que (le scribe de) Macron veut donner à cette (son) "histoire" :
"sans doute" (occidentale), puis "vraisemblablement" ( française), puis "raisonnablement" (américaine) : d'où évidemment on conclura à l'inéluctable rationalité de ce "new world order" : l'impérialisme étasunien.
Pas de surprise à part cette affirmation de l’hégémonie française vraisemblable sur le monde au 18° qui a un petit air d’oral de bac en histoire et qui s’attirerait certainement la réplique de l’examinateur « expliquez-vous, jeune homme !»
Et il poursuit :
« Le risque dans cette grande bascule se double également d'une bascule géopolitique et militaire, nous sommes dans un monde où les conflits se multiplient et où je vois 2 principaux risques.
Le premier, c'est que ces conflits font de plus en plus de victimes civiles et changent de nature. Regardez les théâtres d'opérations partout dans le monde. Et la deuxième chose, c'est que l'ensauvagement est reparti et là aussi, l'ordre sur lequel reposaient parfois nos certitudes et notre organisation est en train de disparaître. On abandonne les traités de contrôle des armements qui venaient là aussi de la fin de la guerre froide, chaque jour dans l'innocence et le silence. »
« On » abandonne ….Macron évite de citer nommément Trump car il se méfie et veut éviter le tweet ravageur en retour de volée.
« Ça doit nous conduire à interroger notre propre stratégie parce que les 2 qui ont aujourd'hui des vraies cartes en main dans cette affaire, ce sont les États-Unis d'Amérique et les Chinois. »
Macron écarte implicitement de la scène la Russie dont il minimisera plus loin le poids économique car il veut d’une part contribuer à faire éclater l’alliance sino-russe d’autre part occulter le fait que dans l’équilibre militaire stratégique global et en particulier nucléaire la Russie est le seul interlocuteur des Etats-Unis, l’arsenal français étant comparativement minuscule et de fait intégré dans la politique de l’OTAN.
Puis sans s’appesantir il dit quelques mots sur l’économie :
« Dans ce même moment, nous vivons une crise inédite de l'économie de marché. »
Qui dure depuis 2008 qui affecte la France et l’UE et qui n’est inédite que parce que personne n’en voit le bout et que sa persistance impose l’idée redoutée par les défenseurs du Capital d’une crise terminale.
Et son ennemi à lui, l’ancien banquier, comme à un certain François Hollande mais qui était déjà désigné comme tel en 1916 dans « l’impérialisme stade suprême du capitalisme » de Lénine c’est la finance :
« Cette économie de marché qui a été pensée en Europe par l'Europe a progressivement dérivé depuis quelques décennies….D'abord elle s'est profondément financiarisée et ce qui était une économie de marché, que certains avaient pu même parfois théoriser en parlant d'économie sociale de marché et qui était au cœur des équilibres que nous avions pensé est devenue une véritable économie d'un capitalisme cumulatif où, il faut bien le dire, d'abord la financiarisation puis les transformations technologiques ont conduit à ce qu'il y ait une concentration accrue des richesses chez les champions, c'est-à-dire les talents dans nos pays, les grandes métropoles qui réussissent dans la mondialisation et les pays qui portent la réussite de cet ordre…Dans nos économies, la France l'a vécu ces derniers mois, très profondément mais en fait nous le vivons depuis des années et dans le monde entier. Et cette économie de marché produit des inégalités inédites qui au fond viennent bousculer en profondeur là aussi notre ordre politique. »
Sur le fond de son écran mental passe alors un énorme gilet jaune
qu’il décrit à sa façon :
« Cette économie de marché produit des inégalités inédites qui au fond viennent bousculer en profondeur là aussi notre ordre politique. D'abord, elles viennent bousculer la légitimité même de cette organisation économique. Comment expliquer à nos concitoyens que c'est la bonne organisation lorsqu'ils n'y retrouvent pas leur part. Mais cela vient questionner aussi l'équilibre de nos démocraties. Parce qu'au fond, là aussi, nous vivions depuis le XIXème siècle dans des équilibres où les libertés individuelles, le système démocratique et le progrès continu des classes moyennes avec l'économie de marché constituaient une espèce de trépied sur lequel nous avancions. Quand les classes moyennes qui sont le socle de nos démocraties n'y ont plus leur part, elles doutent et elles sont légitimement tentées ou par des régimes autoritaires ou par des démocraties illibérales ou par la remise en cause de ce système économique. »
Arrêtons-nous un instant sur cette dernière phrase. Les « classes moyennes » sont un des ponts aux ânes de la sociologie politique. Ce pluriel cache l’absence de réalité d’une classe qui aurait une position et une conscience. Il s’agit d’un assemblage de couches à revenus intermédiaires : techniciens et cadres moyens, professions libérales, artisans, qui vivent des situations très diverses et dont les membres sont pour la majorité d’entre eux soumis au risque de tomber de l’échelle sociale. Un problème de santé, une entreprise qui ferme, un divorce, les motifs de chute sont divers et aléatoires. Les cas de passage de la petite à la grande bourgeoisie sont rares.
La sociologie marxiste préfère le concept de « petite bourgeoisie » qui n’a rien d’infamant mais qui souligne que ses membres ont le regard tourné vers le haut en ce sens qu’ils attendent que la « grande bourgeoisie », celle qui gouverne les pays capitalistes leur distribue des miettes du festin. Que disait Bergeron le dirigeant historique de Force Ouvrière s’adressant à ceux qui le possèdent « donnez moi du grain à moudre ». Depuis qu’il a été élu Macron n’a de cesse de diminuer la ration. Il a donc par ses actes contribué à la remise en cause du système économique et il redoute les conséquences politiques de ses actes : « régimes autoritaires » ou « démocraties illibérales ». Cette innovation langagière mérite notre attention. Macron est conscient du fait que des façades démocratiques peuvent cacher des régimes très oligarchiques mais au lieu de s’auto-analyser, au lieu de reconnaitre qui l’a porté au pouvoir, il regarde ailleurs. Il va citer plus loin la Hongrie, puis la Russie sans voir que son parlement mal élu, avec son écrasante majorité est le produit d’une constitution monarchique qui donne des pouvoirs excessifs à un président qui en abuse. La démocratie il libérale c’est la France de Castaner, de BFM, des gilets jaunes éborgnés, des procès à la chaine, des chômeurs radiés, des agriculteurs asphyxiés par d’un côté des marchés qu’on leur ferme (embargo de la Russie) de l’autre des vannes ouvertes à des importations dévastatrices (CETA, MERCOSUR), des urgentistes débordés, de la sécurité sociale grignotée. Mais un éclair de conscience se glisse dans une phrase
« Au fond, ce que les brexiteurs ont proposé(s) (la faute de grammaire - le s -corrigée par Comaguer vient de la Présidence) au peuple britannique qui était un très bon mot d'ordre : reprendre le contrôle de nos vies, de notre nation. »
Encore un effort et il va proposer d’inclure les référendums d’initiative citoyenne (pas le RIP de Sarkozy) dans la Constitution. Ce qui l’arrête c’est que dans un RIC complet comme il existe par exemple au Venezuela serait inclus le droit à la destitution du président par référendum en cours de mandat.
Puis émerge sur son écran intérieur bien que dans une forme contournée l’inquiétant Gilet Jaune électronique mondialisé : les réseaux sociaux, internet qui prive le pouvoir du monopole du discours à diffusion de masse.
« Troisième grand bouleversement que nous vivons c'est évidemment la révolution technologique. Elle est inédite. Celle de l'internet, des réseaux sociaux, maintenant de l'intelligence artificielle, c'est d'abord une mondialisation formidable de l'intelligence, des progrès technologiques qui acquièrent une rapidité inédite. Mais c'est aussi une mondialisation de l'imaginaire, des émotions, de la violence, de la haine, là aussi, une contribution forte à l’ensauvagement du monde que nous vivons chaque jour. C'est un changement anthropologique profond qui touche nos démocraties et c'est aussi un espace nouveau qui se constitue sous nos yeux qui nécessite de repenser des règles, un ordre international qui aujourd'hui n'existe pas. »
Après une référence obligée et sans surprise au « bouleversement écologique » qui s’ajoute à ceux qu’il a énoncés précédemment vient évidemment la question de l’exécutif : « Que faire ? » Et revoici Jupiter en sauveur :
« Je peux vous le dire avec certitude. Nous savons que les civilisations disparaissent, les pays aussi. L'Europe disparaîtra. L'Europe disparaîtra avec l'effacement de ce moment occidental et le monde sera structuré autour de deux grands pôles : les Etats-Unis d'Amérique et la Chine. Et nous aurons le choix entre des dominations….Je crois que la vocation de la France est ce qui correspond à la nécessité du temps présent, c'est d'essayer de peser sur cet ordre du monde avec les cartes qui sont les nôtres pour ne pas céder à quelques fatalités que ce soit, mais tenter de bâtir un ordre nouveau, dans lequel non seulement nous aurions notre place mais nos valeurs, nos intérêts au fond pourraient l'avoir. Et donc, je ne crois qu'à une chose. C'est la stratégie de l'audace, de la prise de risque…Ce qui est aujourd'hui mortel c'est de ne pas essayer compte-tenu de tout ce que je viens de dire. C'est la stratégie de l'audace, de la vision et c'est d'essayer de retrouver dans ce contexte qui caractérise profondément l'esprit français et au fond à mes yeux de refonder ce qui est profondément la civilisation européenne. Je crois que c'est cela ce qui doit être notre objectif dans notre pays, dans notre stratégie européenne et au niveau international. »
Où Jupiter qui a des accents D’antoniens (« DE L'AUDACE, ENCORE DE L'AUDACE, TOUJOURS DE L'AUDACE ! » DANTON, 2 septembre 1792) rappelle qu’à l’étroit dans le ciel français il ambitionne de régner sur l’Europe car comme tous les dirigeants français bourgeois depuis 1945 à l’exception de De Gaulle il ne rêve que de troquer son habit national contre un vêtement plus ample et de parler au nom de 450 millions d’habitants en omettant trois choses : la première que la stratégie militaire de l’Union Européenne est entre les mains des Etats-Unis via l’OTAN, la seconde que sa stratégie économique est dictée par les multinationales capitalistes, la troisième est qu’il n’est pas très populaire dans de nombreux pays de la dite Europe. Dans le monde multipolaire qui se met en place et qui repose sur le principe de l’égalité des Etats il voudrait, comme tous les dominateurs, prendre la tête d’une équipe de première division, être un « grand ».Cette Europe de rêve :
« Nous sommes le seul espace géographique qui a mis l'homme avec un grand H au cœur de son projet à la Renaissance, au moment des Lumières et à chaque fois que nous avons eu à nous réinventer. »
lui fait oublier que cette Europe a aussi été le berceau du colonialisme, a inventé deux fascismes et a engendré deux guerres mondiales. Pareil bilan devrait inciter à un peu de clairvoyance. Il finit d’ailleurs par en percevoir certaines limites :
« Le projet de civilisation européenne ne peut pas être porté
ni pas par la Hongrie catholique,
ni par la Russie orthodoxe. »
Il y aurait donc de bons et de moins bons européens et le voici pris dans sa contradiction sur la Russie qu’il affirme européenne par ailleurs pour l’éloigner de la Chine. Il en vient d’ailleurs à déplorer les reculs des droits de l’homme dans certains pays d’Europe
« Dans des pays parfois en Europe, en matière de recul des droits, d'indépendance de la Justice, de menace sur les défenseurs des droits »
Manifestement il n’a pas pris connaissance du rapport très critique du Conseil de l’Europe sur ce recul des droits de l’homme en France depuis l’irruption des gilets jaune.
Son tableau du monde à grands traits achevé il va présenter à ses auditeurs les 5 axes d’action de la France et donc de la leur pour les années à venir.
« Il y a 5 choses importantes que je voudrais vous dire après vous avoir rapidement expliqué comment je voyais cet ordre du monde et au fond notre objectif dans ce contexte. La première chose, c'est que pour parvenir à cet objectif dans ce désordre, je crois que ce que nous devons faire très profondément, c'est jouer notre rôle, au fond, de puissance d'équilibre. Puissance d'équilibre, c'est d'acter que nous sommes une grande puissance économique, industrielle même si nous avons perdu, quand je regarde les dernières décennies, sur beaucoup de points, que nous avons à rebâtir et que nous devons rebâtir pour pouvoir rester cette puissance-là. »
La principale manifestation de puissance est militaire :
« Nous sommes en passe de devenir de manière indiscutable la première armée européenne par les investissements que nous avons décidés, par la loi de programmation militaire, par la qualité de nos soldats et l'attractivité de notre armée. »
Il omet de préciser que ce faisant la France obéit avec un zèle particulier et unique en Europe aux injonctions de Trump qui exige des membres de l’OTAN qu’ils consacrent chaque année 2% de leur PIB aux dépenses militaires et aussitôt après il aborde le dossier iranien où les intérêts du capitalisme français sont contrariés par les sanctions étasuniennes et leur retrait de l’accord JCPoA. Façon de dire « la France n’est pas d’accord en tout avec les Etats-Unis » mettant le doigt sur ce que les géopoliticiens nomment classiquement un conflit entre impérialismes ou plus précisément dans le cas présent un conflit entre l’impérialisme dominant et un sous-impérialisme.
La Russie le préoccupe, ce qui a été confirmé par l’invitation à Brégançon.
« Dans cette capacité à repenser les grandes relations il y a notre relation avec la Russie. ….Je n'ai aucune naïveté en voulant revisiter cette relation. Mais j'ai quelques évidences. Nous sommes en Europe, et la Russie aussi. Et si nous ne savons pas à un moment donné faire quelque chose d'utile avec la Russie, nous resterons avec une tension profondément stérile. Nous continuerons d'avoir des conflits gelés partout en Europe. Nous continuerons à avoir une Europe qui est le théâtre d'une lutte stratégique entre les Etats-Unis d'Amérique et la Russie. »
Cet éclair de lucidité lui fait occulter l’histoire du siècle écoulé qui a vu l’Europe ou plus exactement sa partie occidentale, France comprise, tout faire avec les Etats-Unis pour détruire le régime né de la révolution de 1917 , d’abord en participant troupes à l’appui à la « guerre civile » de 1919 à 1922, ensuite en laissant les mains libres aux nazis pour envahir l’URSS en 1941, enfin en s’inscrivant pleinement dans une guerre froide inspirée par Churchill et déclarée par Truman. Mais ce qui motive son changement d’attitude c’est le fait que comme disent les sportifs, l’allié américain « joue perso ».
Université d'été LREM
(atelier de préparation du G7 : accompagnement idéal pour cette lecture)
La dénonciation par Washington de l’accord sur les armes nucléaires de portée intermédiaire et la probable non reconduction de l’accord sur les armes nucléaires stratégique (START II) démontre que l’Europe n’a aucun poids dans le rapport entre les deux seules grandes puissances nucléaires et que, en cas de conflit nucléaire, l’Europe alliée des Etats-Unis (26 états européens dans l’OTAN) serait au cœur du champ de bataille. Cette inquiétude a certainement été nourrie par Poutine à Brégançon et s’est concrétisée sans tarder par la visite à Moscou de Jean Yves Le Drian et Florence Parly pour y rencontrer leurs homologues russes. Incidemment il convient pour améliorer les relations avec la Russie de sortir de la catastrophique impasse ukrainienne. La France, signataire avec l’Allemagne des accords de Minsk I et Minsk II, n’a rien fait pour les mettre en œuvre et a de fait laissé les Etats-Unis manœuvrer de loin, conseillers militaires, crédits et fascistes locaux à l’appui, pour entretenir ce qui n’est pas un conflit russo-ukrainien mais un abcès mortifère à la frontière de la Russie.
« Et évidemment l'un des sujets décisifs pour pouvoir avancer en ce sens c'est notre capacité à avancer sur le conflit russo-ukrainien, donc la mise en œuvre des accords de Minsk. A ce titre, les discussions récentes ont permis de voir des avancées concrètes qui nous conduiront avec la Chancelière à proposer pour les prochains jours un nouveau sommet en format Normandie. »
Mais le grand dessein est autre :
« Je pense que la vocation de la Russie n'est pas d'être l'alliée minoritaire de la Chine et donc nous devons aussi savoir par ce dialogue exigeant et les conditions que nous poserons, offrir à un moment donné une option stratégique à ce pays qui va immanquablement se la poser, immanquablement, et c'est à nous de le préparer et de savoir avancer sur ce point. »
Et il porte son regard sur la Chine
« La Chine a un véritable génie diplomatique pour jouer de nos divisions et nous affaiblir. C'est pourquoi j'ai voulu pour la première fois inviter la Chancelière MERKEL et le Président JUNCKER à cette visite, et nous avons pour la première fois eu un véritable agenda stratégique pas simplement franco-chinois mais aussi sino-européen. »
En clair Macron chef putatif de l’Europe sait bien que nombre de pays européens du centre et de l’est ont des rapports approfondis avec la Chine, qu’ils prennent toute leur place dans les nouvelles routes de la soie et il voudrait que l’Europe se montre plus unie face à elle. La France a une carte supplémentaire dans ce rapport de l’Europe à la Chine c’est qu’elle est une puissance coloniale.
« Ce qui veut dire qu'il nous faut jouer d'abord comme nous puissance indopacifique : la France a plus d'un million d'habitants dans cette région à travers ses territoires ultramarins, nous avons plus de 8 000 soldats, nous sommes l'une des principales puissances maritimes de cette région, parmi les seuls à faire des vraies opérations militaires en mer de Chine, et sur ces océans. »
En effet l’immense domaine maritime français auquel Macron attache (comme à gauche Jean Luc Mélenchon) une grande importance n’est le second du monde que parce que la France demeure une puissance coloniale avec des iles sur tous les océans et même au sens strict du terme la dernière, la domination étasunienne étant de type impérial (influences multiples sur les pays soumis mais pas de gestion directe). Que la Nouvelle Calédonie ou les territoires du pacifique autour de Tahiti obtiennent leur souveraineté, ce qui ne les empêcherait pas de conserver des liens étroits avec la France, le domaine maritime « français » se rétrécirait considérablement.
Vient ensuite à propos de l’Europe un éclair de lucidité
« Souverainisme est un joli mot. Il renvoie à ce qui est au cœur de notre démocratie et notre République, c'est le fait qu'à la fin, celui qui est souverain, c'est le peuple. C'est lui qui décide. Mais si nous perdons la maîtrise de tout, cette souveraineté ne mène à rien. Et c'est une aporie démocratique qui consiste à ce que le peuple puisse souverainement choisir des dirigeants qui n'auraient plus la main sur rien. »
Dans le vocabulaire de la philosophie l’APORIE est une impasse, une question sans réponse et le raisonnement Macronien aboutit à une APORIE car à vouloir imposer une souveraineté européenne sur tous les sujets il livre la France à des commissaires européens non élus, à des technocrates européens encerclés par des lobbys surpuissants et à une banque centrale indépendante Pour autant il ne se résout pas à revendiquer une Europe fédérale car il n’y serait plus que le gouverneur d’une province ce que son inconscient refuse.
La seconde aporie européenne est celle de la Défense. Tout fier d’avoir porté le projet d’initiative européenne de défense Macron concède bien que tout cela se fait dans le cadre de l’OTAN et qu’en conséquence une certaine autonomie ne peut être effective qu’avec l’accord des Etats-Unis lesquels voient d’un très bon œil une augmentation des dépenses militaires européennes qu’ils jugent aujourd’hui insuffisantes dans le cadre de l’OTAN.
« Ce n'est pas une initiative qui vise à remettre en cause l'OTAN, mais elle est complémentaire de celle-ci, très profondément parce qu'elle nous redonne là aussi de la marge de manœuvre et de l'autonomie stratégique. »
Sur un problème plus immédiat et plus brulant politiquement celui des migrations il est bien obligé de reconnaitre que sa chère Europe n’est guère unitaire.
« Je le dis dans un contexte où la France est en train de devenir le premier pays européen de demandes d'asile. Ne soyons pas naïfs. Ce n'est pas les gens qui prennent le bateau en Libye notre problème. C’est inacceptable, cette scène, inacceptable sur le plan humanitaire que nous vivons. Ce sont tous les gens qui rentrent partout chez nos voisins européens, qui ont déjà commencé à demander ailleurs l'asile et qui viennent parce que nous sommes un pays assez mal organisé sur ce plan, auquel nous ne sommes pas assez ni efficace ni humain. Nous devons intensifier là-dessus très profondément notre travail…..…accélérer les retours de ceux qui n'ont pas vocation à venir en Europe.»
C’est donc l’Europe qui va décider qui a « cette vocation ». Avec pareil critère dépourvu de base légale le règne de l’arbitraire est assuré.
Abordant plus loin les relations avec l’Afrique il affirme
« Il nous faut pouvoir réinvestir ce lien là aussi de manière nouvelle, équilibrée. Sans les oripeaux ni du colonialisme ni de l’anticolonialisme. »
Entre ces deux oripeaux se trouve un néocolonialisme lui bien vivant avec les forces militaires françaises installées en permanence dans plusieurs ex colonies, avec le franc CFA qui devrait avec la complicité de tous les dirigeants actuels d’une France Afrique toujours vivante changer de nom pour être plus présentable. Pour ce qui est des opérations militaires en cours Macron est obligé de reconnaitre que la lutte contre le terrorisme au Sahel ne progresse pas beaucoup.
« Et donc dans ce contexte, nous continuerons d'être engagés évidemment avec l'opération Barkhane, avec force, en étant mobiles sur le plan opérationnel comme nous le sommes. Mais il est indispensable que cela se double d'un réengagement de nos partenaires africains ce que nous avons voulu à travers d'une part le G5 Sahel et d'autre part l'Alliance pour le Sahel, le pilier militaire et le pilier de développement, et à travers un élargissement de cet engagement de la communauté internationale et des états voisins comme nous l'avons lancé avant-hier avec la Chancelière MERKEL et le Président KABORÉ dans ce nouveau Partenariat de stabilité et de sécurité pour le Sahel qui permet le réengagement d'états du Golfe de Guinée qui étaient spectateurs, mais qui commencent à voir les conséquences de ce conflit, qui permet les partenariats entre Etats africains sur ce sujet et qui permet aussi une implication de la communauté internationale sur ce sujet sécuritaire pour aider chacun d'entre eux. »
Ce qui n’est pas dit clairement c’est que l’engagement de la « communauté internationale » c’est l’adoption par l’OTAN qui confirme ainsi sa vocation de force impérialiste à spectre mondial d’un programme africain. En effet le rapport « Sécurité et stabilité en Afrique- Défis et priorités pour l’OTAN » présenté en Juin 2019 à l’assemblée parlementaire de l’OTAN définit une politique africaine approuvée dans son principe au sommet de Varsovie dés 2016. Donc l’annonce du nouveau partenariat pour la mobilité et la sécurité pour le Sahel est une simple mesure d’application du programme de l’OTAN c'est-à-dire une intervention accrue des Etats-Unis dans la zone d’influence française avec, et ceci comble Trump d’aise, une participation militaire et financière de la France confirmée à Biarritz.
Il aborde ensuite longuement le sujet climatique pour se féliciter de son activisme sur ces questions
« Plus largement sur ces sujets, il nous faudra mener plusieurs réflexions pour poursuivre cet agenda et mener plusieurs actions. On voit que le cadre international change. La première c'est que quand on parle de l'Arctique, de l'Antarctique, des océans, de la forêt amazonienne ou de la forêt africaine qui brûlent aussi, tout en respectant la souveraineté des états qui ont des compétences territoriales sur ces régions, nous parlons très clairement de biens communs géographiques inséparables de notre biodiversité et du sujet climatique. »
« Biens communs » ce nouveau slogan écologiste est repris ce qui permet dans le cas de l’Amazonie comme dans les autres de détourner le regard des immenses intérêts capitalistes qui sont en jeu dans la déforestation non accidentelle, mais organisée, dans les exploitations minières menées dans des pays où la législation de protection de la nature est mince ou violée et où quand elle existait arrive au pouvoir avec la complicité des puissances impérialistes un quelconque Bolsonaro qui lâche aussitôt la bride aux intérêts prédateurs.
Enfin parlant du commerce international il manifeste son inquiétude, celle du capitalisme français face aux guerres commerciales lancées par les Etats-Unis et il appelle à réformer l’OMC dont il confirme la crise. Cette crise a plusieurs racines et la politique de solitaire de Trump l’a amplifiée mais son origine vient de l’entrée de la Chine à l’OMC. En 2000 quand la Chine adhère à l’OMC et ouvre ses frontières aux investissements industriels et aux produits étrangers, le grand capital multinational se frotte les mains : un marché de plus d’un milliard de consommateurs lui est offert mais son libre échangisme proclamé est tout théorique, c’est un libre échangisme à sens unique, un libre échangisme « gagnant-perdant ». Or il va se trouver que la Chine qui avait réfléchi au problème et s’était organisée en conséquence, au lieu d’être envahie de produits étrangers va se mettre à exporter plus qu’elle n’importe, qu’elle va exporter des produits de technologie de plus en plus avancée et se mettre finalement à concurrencer les industries occidentales de pointe. La récente crise de la 5G en est l’illustration.
Macron nous livre ainsi un bel exercice oratoire dans lequel Jupiter montre qu’il a l’œil vif, qu’il perçoit depuis les nuées où il séjourne tous les accidents du terrain dans le monde entier mais que son audace, sa confiance en soi, son activisme sur tous les sujets, son usage du NOUS pour parler de lui (le roi dit : nous voulons) vont permettre à la France qu’il veut incarner de les surmonter, voire d’en tirer avantage.
MYTHOLOGIE POUR MYTHOLOGIE, LE CHAR DE L’ETAT N’EST PAS CONDUIT PAR JUPITER MAIS PAR PHAETON.