Maillots jaunes,
un polar joué en Malaisie.
Le Premier, premier voleur.
Un arrêté du 25 août 2015 émanant du ministère de l’Intérieur malaisien avait interdit la vente de vêtements jaunes alléguant que cela pourrait ‘porter atteinte à l’ordre public et serait préjudiciable à l’intérêt national’. Depuis plusieurs semaines, un mouvement réclamait la démission du Premier Ministre Najib Razak. Les manifestants de Bersih4 (à la fois substantif signifiant propre et acronyme en malais pour Coalition pour des élections propres et justes) portaient en effet des vêtements jaunes pour s’identifier. La Coalition regroupe une centaine d’ONG, elle revendique depuis 2007 dans un pays dirigé depuis l’indépendance par le même parti une réforme électorale en plusieurs points, entre autres un accès libre et équitable aux médias et un délai minimal de 3 semaines pour les campagnes électorales. Le chiffre ordinal 4 indique que des manifestations publiques avaient eu eu lieu après les premières de 2007 en 2011 puis 2012.
Près de 500 000 Malaisiens étaient sortis entre le 29 et le 30 août 2015 dans les rues de Kuala Lumpur demander le départ de celui qui a détourné de l’argent du fonds souverain 1MDB créé dès son arrivée au pouvoir en 2009. La preuve qu’il avait reçu sur son compte privé une somme de près de 680 millions de dollars était avérée et éventée. Ne pouvant nier un tel transfert il l’avait justifié en alléguant qu’il provenait d’un don d’un prince saoudien. L’appel à la mise en examen de Najib Razak provenait de l’opposition mais aussi de jeunes membres de son propre parti. Razak a limogé par la suite tous les membres de son gouvernement et de l’administration publique favorables à une enquête sur la provenance des fonds.
L’un premier grand scandale financier du 21ème siècle venait d’éclater grâce à un lanceur d’alerte genevois ou un maître chanteur selon les versions, un ancien administrateur de PetroSaudi. Il avait confié après son départ mal négocié de la firme une clé USB bourrée d’informations et d’email échangés à un média alternatif britannique, Sarawak Report.
1MDB résulte du rachat d’un groupe privé par le Ministère des Finances. Il a été annoncé comme devant être un levier formidable pour investir dans le développement industriel du pays. Il s’est révélé n’être qu’une construction financière factice conçue pour générer une dette odieuse contractée par le peuple malaisien. Une véritable industrie sophistiquée de détournements de fonds et de blanchiment d’argent a présidé à sa naissance, elle a fait intervenir de nombreuses banques internationales, de multiples sociétés écran et les inévitables paradis fiscaux et cabinets d’audit.
La 14ème élection générale le 9 mai 2018 a donné pour la première fois la victoire à l’opposition (Alliance de l’Espoir) destituant le règne de plus de 60 ans de la coalition dirigée par l’Organisation nationale de l’Unité malaise. Elle a évincé Najib Razak, clé de voûte du système de la dette et de son opacité. Dès le 15 mai, elle a satisfait la demande déposée par Mahathir Mohamed, ancien Premier Ministre passé à l’opposition, que soit rendu public le rapport de l’audit de 1MDB réalisé en 2015 vite classé secret. Avant même que ne soit conduit un nouvel audit par la firme PwC sur commande du nouveau ministre des Finances, 1MDB a été déclaré insolvable, dans l’incapacité d’honorer ses dettes par son PDG désormais limogé.
Comme Benalla, Razak aime les selfies
A l’avant-scène, des Arabes pétroleurs.
Toute l’histoire de 1MBD officiellement fondée en juillet 2009 est celle d’une série de transactions spéculatives, fusions-acquisitions, émissions de titres obligataires en nombre considérable avec des destinataires de fonds opaques à l’envi. La création dès septembre 2009 d’une coentreprise établie aux Îles Caïman PetroSaudi et 1MDB fut l’une des premières opérations réalisées. Elle a donné lieu à des allers-retours multiples pour échange de ses titres entre les deux entités de départ avec perte de substance à chaque passage. L’accord prévoyait que le fonds malaisien y injecte 1,3 milliards de dollars en échange de parts dans des champs pétrolifères en Argentine et au Turkménistan. Dès le lendemain, 700 millions de ces dollars sont déjà détournés et versés sur un compte bancaire auprès de la RBS Coutts de Zurich. Ce compte appartient à la Good Star Limited, société basée aux Seychelles et dont le bénéficiaire économique est Jho Low, ami de Najib Razak à la tête de 1MDB. A noter que pour simplifier la tâche, pas moins de quatre sociétés étaient alors enregistrées sous le même nom PetroSaudi. Les puits se sont avérés quasiment fictifs et n’ont jamais produit le pétrole escompté. Cette manœuvre pose la question de l’objectif du fonds souverain. En quoi emprunter de l’argent pour des opérations spéculatives douteuses est en cohérence avec le développement industriel de la Malaisie ?
L’affaire PetroSaudi venue au jour en 2015 a permis secondairement le dévoilement d’une autre tirelire.
Le fond d’investissement public d’Abu Dhabi, l’International Petroleum Investment Co. ou IPIC, avait garanti l’émission pour 3,5 milliards de dollars d’obligations émises pour l’achat de centrales nucléaires dans le monde. IPIC recevait en contrepartie une option pour 49% des émissions comme ‘collatéral’ pour ‘garantir sa garantie’. Les états financiers de 1MDB mentionnent le paiement d’1,4 milliards de dollars versés à une filiale d’IPIC, Aabar Investments dont nul n’a trouvé trace. A l’occasion de la découverte de ce trou, un autre énorme accroc a été mis en évidence dans la comptabilité d’Aabar. Fin 2013, le cabinet d’audit KPMG LLP a refusé de signer les comptes de 1MDB en l’absence de justificatifs pour un montant de 2,32 milliards de dollars investis aux îles Caïman. Aabar est alors intervenue pour garantir ces mystérieux 2,32 $milliards et c’est le cabinet Deloitte qui a contresigné les comptes après avoir remplacé KPMG LLP.
La déontologie des cabinets d’audit de taille internationale est donc bien plus que suspecte au cas où un quelconque doute était permis à leur propos depuis le scandale de Enron. Mais ici encore, le lien entre le développement de la Malaisie et l’acquisition de centrales nucléaires dans le monde reste à démontrer. Par ailleurs, confier des centrales nucléaires, propriétés publiques par nature, à un fonds d’investissement, fût-il souverain, souligne la déréliction des nations venderesses délestées de toute souveraineté sur la production et la sécurité combien sensible de ce type d’énergie.
Des magiciens patentés en escroquerie.
L’une des premières banques à avoir pâti du scandale de 1MDB éclaté en 2015 fut la banque suisse BSI dont la filiale à Singapour gère une centaine de comptes liés au fonds souverain malaisien. Elle surfacturait la construction de structures sophistiquées par lesquelles transitaient les fonds détournés au profit de personnalités malaisiennes de premier plan dont Najib Razak et le gestionnaire de 1MDB Jho Low. BSI fut purement et simplement fermée par l’organisme suisse contrôleur des marchés financiers, la FINMA, en mai 2016 après enquête du gouvernement fédéral. En quelques mois, BSI était passée par les mains de trois acquéreurs successifs, le groupe italien Generali, le brésilien BTG Pascual impliqué lui aussi dans un autre scandale celui de Petrobras, puis EFG International propriété de la famille grecque Latis à 54,78%.
Dès cette date, la FINMA diligentait des investigations autour d’activités de blanchiment d’argent présumées d’au moins six autres institutions bancaires dont PKB Private Bank et RBS Coutts. Deux autres établissements étaient également examinés, la banque Edmond de Rothschild à Genève et la Falcon Private Bank à Zurich. Les poursuites contre ces banques se sont diluées avec le temps et les sanctions ont été mineures, elles ne sont pas dimensionnées pour décourager les anomalies manifestes qu’elles couvrent et dont elles tirent de substantiels bénéfices. En frappant fort et nettement une BSI agonisante, elle protège la réputation de la place financière helvétique. On apprend par exemple que la banque Edmond de Rothschid condamnée par la Commission des affaires financières du Luxembourg écopera d’une amende de 8,9 millions d’euros fort dérisoire. Le Crédit Suisse pour sa part a été condamné par la Monetary Authority of Singapore à payer 453.000 euros pour les mêmes motifs d’absence de rigueur dans l’examen des origines de fonds. Menu fretin !
Il fait le travail de Dieu, disait-il.
Parmi les affaires dans l’Affaire, celle de Goldman Sachs vaut son pesant de quelques milliards elle aussi. Encore une fois, l’éviction inattendue de Najib Razak par le scrutin de mai 2019 en lien avec une dégradation du niveau de vie et l’approfondissement des inégalités mais aussi le scandale non résolu du fonds 1MDB a enfin permis que la victime, l’Etat de Malaisie, cesse d’entraver la justice et de proclamer qu’il n’y a pas eu crime. Le président de Goldman Sachs pour le Sud Est asiatique avait supervisé une levée de capitaux pour le fonds souverain 6,5 $milliards sur la totalité des 11 $milliards de la dette totale contractée en plusieurs temps. Tim Leissner avait organisé deux placements privés au lieu d’une offre publique en 2012 de 1,75 $ milliards chacun et un troisième de 3 $ milliards en 2013. La banque avait acheté pour son propre portefeuille en utilisant les fonds propres de la banque les obligations émises d’une valeur de 1 $ pour 0,90 $ afin de les revendre et d’empocher le bénéfice. Immédiatement, Najib Razak a vu atterrir sur son compte bancaire 700 $ millions.
Le réel détonateur de l’explosion du scandale fut la réclamation faite par le fonds d’Abu Dhabi du 1,4 $ milliards versé par1MDB mais jamais encaissé. Le Wall Street Journal avait alors publié une série d’articles à la fin de l’été 2015 amenant le FBI et le Département de la Justice étasunien à entamer une enquête sur le rôle de Goldman Sachs pour corruption et blanchiment. C’est en novembre 2018 que l’inculpation de deux ex banquiers GS et de Jho Low a été prononcée par la justice étasunienne. GS n’a pas émis de commentaire mais a mis en congé un ancien codirecteur de la banque d’investissement en Asie, André Vella, compromis également dans la création de titres structurés libyens. La fraude transnationale donne lieu à des enquêtes dans au moins six pays, Malaisie, Usa, Suisse et Singapour. Le titre GS a alors évolué négativement depuis quelques mois, passant de $ 259 en avril 2018 à $ 211 en novembre avant de plonger à $ 175 en décembre janvier en raison de la plainte déposée par le fonds d’investissement de l’émirat d’Abu Dhabi. A la mi-décembre, le procureur général de Malaisie a inculpé GS, plus précisément sa filiale banque d’investissement en vertu de règles judiciaires héritées du colon britannique. L’actuel PDG David Solomon ainsi que l’ancien, Lloyd Blankfein qui a renoncé à son poste opportunément pour ‘convenance personnelle’ en octobre 2018, seront invités à comparaître. Il sera difficile de plaider l’innocence pour une affaire qui a généré au bas mot et de façon directe 600 $millions de commissions en dehors des bénéfices réalisés par la vente sur le marché public des obligations créées. Celui qui déclarait en 2009 faire le travail de Dieu en tant que banquier risque une condamnation d’emprisonnement de dix ans. Si autrefois une condamnation pénale d’une banque valait sentence de mort aux Usa, elle est devenue d’une telle banalité qu’elle n’empêche pas sa survie pourvu qu’elle provisionne l’amende toujours bénigne dont elle est punie. Les régulateurs observent cependant de près le devenir de la mise en accusation de GS et de ses dirigeants de très haut rang car les entités et les personnes en cause engagent pour la première fois la réputation et la fiabilité de la branche investissement et non celle de la salle des marchés.
En dehors d’une crash financier caractérisé, le cours de l’action a chuté de 31,84% sur une période d’une année sanctionnant (sans doute provisoirement) non pas les activités d’escroquerie en tant que telles mais le fait qu’elles aient été divulguées.
L’IA remplace les hommes et leurs paris spéculatifs intuitifs. L’activité de trading sera confiée de plus en plus à des robots qui font tourner des algorithmes transforme le fonctionnement des banques tel qu’institué ces dernières années. Il ne requerra qu’un nombre limité d’intervenants humains, quelques analystes et des négociateurs capables de créer des dettes, bien grasses et bien joufflues, et à partir d’elles des bénéfices. Si la forme du métier évolue, son cœur restera toujours aussi toxique pour les sociétés qui se sont délitées en perdant tout contrôle sur ces entités prédatrices.
Polars sordides.
L’histoire de 1MDB, un vrai roman policier avec des truands à toutes les pages du récit, illustre le pouvoir d’un homme politique corrompu allié à une banque étrangère, celui de piller une nation de richesses qu’elle n’a pas, en réalisant une dette odieuse. L’intervention d’une personnalité charismatique et patriotique, Mahathir Mohamed, a permis une inflexion dans ce drame, le voleur a été congédié de sa fonction et inculpé pour ses escroqueries à grande échelle. On peut aussi compter ce résultat pour une suite réjouissante même oh combien imparfaite des manifestations en maillots jaunes malaisiens de 2015. Les Malaisiens en maillot jaune avaient confectionné et avaient porté lors de leurs manifestations un chèque géant libellé à l’ordre de Najib Razak de l’un des montants qu’il avait encaissés sur son compte personnel.
Qui se lèvera pour porter sur la scène publique que la vente des biens nationaux de la nation française est un crime ? Que céder la section énergie d’Alstom à General Electric est un acte de forfaiture, celle que s’apprête à faire l’équipe de Macron pour les aéroports français une piraterie de haut vol et que la privatisation rampante de la Sécurité sociale par diverses voies en particulier la mise en place d’une complémentaire obligatoire un crime contre la nation ?
Le ‘moins en moins d’Etat’, norme néolibérale, enchante les intérêts privés qui se mobilisent pour faire élire ceux qui dilapident en leur faveur les biens acquis par le travail collectif. Pour faire appliquer les réformes qui ne sont que de simples actes de brigandage et de bradage des biens publics matériels et immatériels, ce ‘moins d’Etat’ a besoin de règles et de réglementation mais surtout d’une police répressive et d’une propagande intimidante.
Les Gilets Jaunes devront faire encore un petit effort pour exiger que soient jugés ceux qui bradent leurs biens à l’encan.
Badia Benjelloun