Fafabius : grande figure contemporaine de l' "apaisement" à géométrie variable et à l'égard des pires crapules au profit de leurs annonceurs et des seuls intérêts de ses commanditaires atlantistes.
À l'occasion de la date anniversaire des accords de Munich, Geoff Roberts nous a proposé de traduire et diffuser son excellent article sur la politique "d'apaisement" (sélectif et réversible) que nous observons aujourd'hui dans une géométrie inversée ( les allemands sont maintenant les gentils tandis que les russes demeurent les méchants) chez nos classes dirigeantes atlantistes, sa généalogie et ses conséquences historiques.
Quand l'apaisement
mène au déshonneur
Geoffrey Roberts
article publié initialement par l'Irish Examiner
Le Premier ministre britannique Neville Chamberlain rentra de Munich, où il avait rencontré Adolf Hitler fin septembre 1938, en brandissant le bout de papier qui, selon lui, assurerait «la paix avec l'honneur» et la «paix pour notre temps».
Churchill lui répliqua: «On vous a donné le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre. "
Le Premier ministre britannique Neville Chamberlain revenant des discussions avec Hitler en septembre 1938 en brandissant le bout de papier qui, selon lui, assurerait "la paix pour notre temps".
Churchill avait raison. En six mois, la prétendue paix de Chamberlain fut anéantie lorsque Hitler passa à l'offensive et qu'un an plus tard, en septembre 1939, il envahit la Pologne. Avant la débâcle de Munich, l’apaisement était considéré comme une posture honorable de la géopolitique diplomatique: rechercher la paix par la conclusion de compromis raisonnables. Mais après l’échec de ce genre d'accord amiable, avec Hitler à Munich et le conflit mondial qui suivit, l'apaisement est devenu synonyme de comportement loufoque et de capitulation politique face aux dictateurs amoraux.
L’engagement désastreux de Chamberlain auprès d'Hitler a donné naissance à ce que l’on a appelé le syndrome de Munich - l’idée que l’apaisement des dictateurs est toujours une erreur funeste. De l’avis général, les dirigeants français et britanniques auraient dû s’opposer à Hitler lors de la conférence de Munich, car leur reddition aux revendications hitlériennes concernant le démembrement de la Tchécoslovaquie n'eut pour résultat que d'enhardir et renforcer le dictateur nazi.
Symétrique du syndrome de Munich, on en arriva à une analogie rhétorique avec Hitler comme exutoire, qui fut abondamment sollicitée par les hommes politiques, et qui consiste à comparer n'importe quel adversaire au dictateur nazi pour justifier les mesures extrêmes qu'ils souhaitent mettre en œuvre, y compris les initiatives militaires offensives.
Tout au long de la guerre froide, les États-Unis ont défendu leur impasse nucléaire avec l'Union soviétique en faisant constamment référence aux épouvantails de Hitler et de Munich.
Lorsque les Britanniques, les Français et les Israéliens investirent et occupèrent le canal de Suez en 1956, ils prétendirent que le chef de l’Égypte, le colonel Nasser, était un nouvel Hitler.
Le président George W. Bush comparait Saddam Hussein à Hitler pour justifier sa guerre contre l’Irak, tandis que Bashar al-Assad (Syrie) et Vladimir Poutine (Russie) ont également été comparés au dictateur nazi par les partisans d’une intervention militaire occidentale en Syrie et en Ukraine. Dénoncé comme apaisement illusoire et néfaste, l’accord nucléaire de 2015 entre Barack Obama et l’Iran fut récusé à ce motif par ses adversaires républicains avant d'être répudié par son successeur à la présidence des États-Unis, Donald Trump.
Un des problèmes que pose l’utilisation de telles comparaisons est qu’elles occultent le caractère exceptionnel de Hitler et du régime nazi. Hitler était engagé dans une voie d'expansionnisme, de guerre et d'extermination raciale. Avec l'Allemagne gouvernée par Hitler et les nazis, une nouvelle guerre mondiale était pratiquement inévitable. Hitler était le genre de dictateur qui ne pouvait pas être raisonné . Mais on ne peut en dire autant de tous les " dictateurs". Joseph Staline et ses successeurs à la tête de l'Union soviétique, par exemple, étaient parfaitement ouverts aux démarches d'apaisement, dont résultaient compromis et transactions mutuellement bénéfiques pour eux comme pour leurs adversaires.
Pourtant, le recours à l'analogie de Munich et de Hitler dans le discours politique international s'est généralisé avec pour effet d'obérer toute possibilité de négociation, sans pourtant décourager l'absolutisme moral supposé ni la posture adverse que visait cette rhétorique inconsistante. Les demandes irréalisables et les concessions irréalistes attendues de «l'autre» allaient devenir la norme. Ce faisant, la recherche de la solution parfaite devint l'ennemi de la solution en matière de politique internationale et les efforts déployés par les diplomates pour négocier le règlement de problèmes difficiles furent entravés par le risque de s'exposer au soupçon de trahison.
L'utilisation abusive de ces analogies a également permis de simplifier à l'extrême l'histoire complexe qui avait conduit à la trahison de la Tchécoslovaquie en 1938.
Alors que le carnage de 1914-18 était encore présente dans tous les esprits, les gouvernements britannique et français décidèrent à Munich de concéder à Hitler le territoire des Sudètes sous le prétexte d'éviter ainsi le massacre de millions de personnes dans une nouvelle guerre mondiale.
L'apaisement de Chamberlain à l'égard d'Hitler à Munich fut extrêmement populaire à l'époque, bien que cette popularité fût principalement occasionnée par le soulagement que la guerre semblait ainsi évitée. Chamberlain et Edouard Daladier, le Premier ministre français, furent donc accueillis chez eux comme des héros. Chamberlain fut même célébré comme un artisan de la paix et reçut 20 000 lettres et télégrammes de soutien. Le président américain Franklin Roosevelt en vint à décrire Chamberlain comme un «homme bon», tandis qu'Éamon de Valera le saluait comme un «chevalier de la paix». Le public allemand était tout aussi effusif, bien qu'Hitler en tirât moins de satisfaction. En réalité, Il cherchait un prétexte pour entrer en guerre et se sentit frustré par la reculade de Chamberlain.
L'apaisement d'Hitler à Munich fut l'aboutissement d'une politique franco-anglaise de long terme visant à éviter la confrontation avec l'Allemagne nazie et à négocier un règlement amiable des griefs allemands en regard des conditions de paix censément punitives imposées après la Première Guerre mondiale. Lorsque Hitler en arriva à répudier les clauses restrictives de dimensionnement des forces armées allemandes, les Britanniques et les Français acquiescèrent. Lorsque Hitler remilitarisa la Rhénanie en mars 1936, ils protestèrent mais sans prendre aucune mesure. Pendant la sauvage guerre civile en Espagne, la Grande-Bretagne et la France poursuivirent leur politique de non-intervention ce qui permit un soutien massif des nazis aux fascistes de Franco et à sa mutinerie contre la république espagnole. Seule l'Union Soviétique se tint aux côtés du gouvernement républicain assiégé en Espagne. Puis, quand Hitler prit le contrôle de l'Autriche en mars 1938, Londres et Paris n'étaient pas disposés à discuter des propositions soviétiques d'un front uni contre l'agression future de l'Allemagne. Les Soviétiques disqualifièrent cette politique de "concessions » faites aux dépens et sur le dos de pays tiers et accusèrent ( à juste titre) les Britanniques et les Français de tenter de canaliser la menace hitlérienne vers une croisade anti-bolchevique.
Les gouvernements britannique et français comprenaient en effet nombre de féroces anticommunistes en leur sein, dont certains avaient les yeux de Chimène pour le nouveau chancelier allemand*, mais ils avaient également d’autres motifs d’apaisement : la terreur d’une guerre totale, une surestimation de la puissance militaire de l’Allemagne et le souci de préserver leurs empires. L’Allemagne nazie n’était pas la seule menace pour les forces britanniques et françaises débordées dans les années 1930. Ils devaient faire face aux défis du Japon impérial et de l'Italie fasciste, ainsi qu'à de nombreuses révoltes populistes anticoloniales en Asie et en Afrique. L'apaisement leur semblait une stratégie judicieuse pour gagner du temps jusqu'à ce que les réarmements britannique et français soient achevés.
* NdT : fortement encouragés par le patronat et la finance d'époque : Cf. Annie Lacroix-Riz "Le choix de la défaite" :
La crise de Munich fut provoquée par l'exigence de Hitler de transférer le territoire des Sudètes - les régions frontalières de la Tchécoslovaquie - sous contrôle allemand. La Tchécoslovaquie avait des pactes de défense avec la France et l'Union soviétique, et les Britanniques étaient de facto alliés aux Français. Convaincu de pouvoir éviter une guerre majeure en Europe, Chamberlain rendit visite à trois reprises à Hitler en septembre 1938 afin de plaider en faveur de la paix. La "capitulation finale" eut lieu lors de la conférence à Munich sous la médiation du dictateur italien Benito Mussolini.
La décision de Chamberlain et Daladier d'obliger les Tchécoslovaques à concéder les Sudètes a souvent été défendue au motif que la Grande-Bretagne et la France n'étaient pas prêtes à faire la guerre à l'Allemagne en 1938. Mais malgré toute ses fanfaronnades, il est douteux qu'Hitler y fut tellement mieux préparé à ce moment de l'histoire. Certes, les Soviétiques pensaient qu'il bluffait et furent les seuls (avec les tchécoslovaques évidemment) à exhorter les grandes puissances à respecter leurs engagements vis-à-vis de la Tchécoslovaquie, un pays petit mais défendable, doté de ses propres forces armées.
La stratégie de confrontation de Moscou comportait cependant le risque d’une guerre dans laquelle ni les Britanniques ni les Français n’étaient prêts à s'engager. L’Union soviétique fut exclue de la conférence de Munich, de même que la Tchécoslovaquie. Moscou condamna l'accord signé par la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne et l'Italie le 29 septembre 1938, en tant que diktat qui permettrait à Hitler de formuler de nouvelles demandes et de mener davantage d'actes d'agression. Les Soviétiques avaient raison.
En mars 1939, Hitler répudia son engagement de respecter l'indépendance de la Tchécoslovaquie après le détachement des Sudètes et fit marcher les troupes allemandes sur Prague, la capitale du pays. En conséquence, la France et la Grande Bretagne commencèrent à douter des bienfaits de leur politique de complaisance et entamèrent une douloureuse prise de conscience qui leur imposait une alliance avec l'Union soviétique, visant à contenir Hitler et ses ambitions "exagérément" expansionnistes. La Pologne était l'étape suivante dans l'ordre des visées belliqueuses d'Hitler, puisqu'elle contrôlait le port allemand de Dantzig et occupait le soi-disant Corridor du même nom, une bande de territoire qui divisait l'Allemagne en deux et donnait aux Polonais l'accès à la mer Baltique. Confrontée à la demande de Hitler de reprnendre le contrôle de Dantzig, la Grande-Bretagne et la France firent le choix de soutenir la Pologne alors qu'elles n'étaient pas en position de défendre le pays des attaques allemandes. La géographie suggérait que seul le grand voisin de la Pologne, l’URSS, pouvait le faire. Cependant, les dirigeants Polonais russophobes et anticommunistes ne voulaient pas confier leur sécurité aux Soviétiques. Pourtant Staline avait clairement appelé à une triple alliance avec la Grande-Bretagne et la France, car il ne croyait plus que Hitler pourrait être dissuadé de lui faire la guerre. Pour Staline, la triple alliance devrait être une coalition de guerre, une alliance militaire opérationnelle avec des garanties mutuelles et solides que les Britanniques et les Français ne se retourneraient pas pour "apaiser" Hitler et abandonner l'Union soviétique au sort funeste que lui réservait Hitler*.
* NdT : une option très présente à l'époque dans les milieux "occidentaux" , celle de "mains libres à l'est pour Hitler" destinée à conjurer la "menace communiste".
Le pourparlers de la triple alliance échouèrent parce que Staline ne faisait pas confiance* aux Britanniques et aux Français.
*NdT : et d'autant moins qu'à l'époque Chamberlain négociait avec les émissaires nazis pour concocter une variante de sa politique d'apaisement (en réalité "d’alliance objective") sur le dos des russes (et des "rouges" français). cf. la remarquable étude de Leibovitz ci-contre .
Staline jugea plus prudent un accord avec Hitler qui tiendrait l’URSS à l’écart de la guerre tandis que l’Allemagne attaquerait la Pologne, différant ainsi la menace sur l'Union Soviétique. L’apaisement de Hitler par Staline fut plus lucide et cynique que celui de Chamberlain, mais avec un succès très limité. Lorsque la France fut tombée aux mains de Hitler en été 1940, les Soviétiques occupèrent l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie, verrouillant ainsi la porte de la Baltique à l'expansion allemande. Staline prit également des mesures pour renforcer sa position dans les Balkans. Ces initiatives provoquèrent la colère de Hitler et précipitèrent l'inéluctable crise dans les relations germano-soviétiques qui devait aboutir à l'invasion de l'URSS par les nazis.
Juin 1941.
À ce moment-là, Churchill a succédé à Chamberlain en tant que Premier ministre britannique et immédiatement tendu la main de l'amitié à l'Union soviétique. C’était maintenant au tour de Churchill de jouer l’apaisement - cette fois-ci à l'égard de Staline - une politique qui avait du sens dans un moment où l’Armée rouge était engagée ( victorieusement) dans de gigantesques batailles contre les Allemands sur le front oriental. Churchill se rendit deux fois à Moscou pour des réunions bilatérales prolongées par les sommets à Téhéran, Yalta et Potsdam. Les deux hommes se voyaient comme des camarades de combat et, en octobre 1944, Churchill proposa même à Staline de diviser une partie de l'Europe en sphères d'influence britannique et soviétique, pour ensuite, après la guerre, dénoncer le «rideau de fer» qui traversait l'Europe... et l'expansion soviétique et communiste vers l'ouest.
Pourtant Churchill continua de privilégier la coopération avec Staline. Comme il se plut à dire :
«L'apaisement peut être bon ou mauvais selon les circonstances. L'apaisement inspiré par la faiblesse et la peur est futile et fatal. L'apaisement en situation de confrontation déterminée est magnanime et noble, et pourrait bien être la seule et la plus sûre voie vers la paix dans le monde. »
Churchill perdit le pouvoir en 1945, mais lorsqu'il revint au pouvoir en 1951, il continua d'insister sur le fait que le menton contre menton avec les Soviétiques valait mieux que le baston sur baston. Comme avait dit plus tôt son ancien adversaire Neville Chamberlain: «La guerre ne gagne rien, ne guérit rien et ne met fin à rien.»
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