Corbyn a deux défauts majeurs.
Pour chacun d’entre eux,
il mérite d'être l’homme à abattre.
Badia Benjelloun
Programme Keynésien
Pour le premier, il défend une politique résolument « anti-austérité ». Il brise le dogme ontologique TINA, ‘There Is No Alternative’ institué par Thatcher selon lequel la société n’existe pas, il n’existe que des individus. Etendu à la sphère économique, il a été traduit par la privatisation des services publics et la réduction avec dans certains cas la suppression des conquêtes sociales protégeant les travailleurs. Cette pionnière a promu un capitalisme sans règles, le blairisme ou la Troisième Voie n’ont fait que reprendre ses antiennes. Il a créé au Royaume Uni (RU) le prototype d’un monde où 1% de la population pompe les bénéfices extirpés aux 99% et où le fossé des revenus entre ces deux catégories ne cesse de se creuser.
Corbyn préconise la renationalisation des secteurs de l’énergie, du chemin de fer et de la santé, défaillants depuis qu’ils sont passés sous contrôle privé.
Il s’oppose aux réductions itératives des aides sociales.
Il souhaite la création de banques nationales et régionales qui soutiennent des projets d’infrastructures. Pour ce faire, plutôt que de déverser la fabrication de monnaie par la Banque centrale vers le rachat des dettes d’entreprises ou publiques, totalement stérile du point de vue de la production et du PIB, il souhaite l’orienter vers des investissements publics créateurs d’emploi.
Il envisage de sortir le RU de sa spécialisation financière, principale contributrice du PIB.
Ce programme économique n’en fait pas un marxiste fossilisé, comme le prétendent ses détracteurs au sein de son parti et en dehors, toute la presse, des tabloïds au Guardian, s’attachent à le discréditer, mais cela en fait en revanche un simple keynésien. C’est à peu près ce qui fut appliqué avec succès par la France au sortir du désastre de la guerre de 39-45 sous l’égide de la coalition gaulliste et communiste.
Ses prédécesseurs ont échoué à réduire les déficits par les coupes budgétaires, bien au contraire, le PIB s’est contracté, les recettes fiscales également, ce qui ne cesse d’alourdir le poids de la dette. Ainsi, il a donné de l’espoir à la génération qui n’a connu que le blairisme, sa casse sociale et son bellicisme à la remorque des néoconservateurs sionistes étasuniens. L’espoir est si grand que le Labour qui était descendu à près de 150 000 adhérents est remonté à plus de 400 000, frisant le demi-million, faisant de lui le parti le plus nombreux en Europe.
Ce programme est si peu aberrant qu’il a rallié à lui nombre d’économistes, et les analystes du FMI ne le renient pas. Un simple programme social-démocrate comme il fut pratiqué en Europe occidentale quand l’URSS exerçait de par son existence même des pressions positives en faveur des travailleurs en dehors de sa sphère.
Les élus de la Chambre basse du Westminster, membres d’une corporation quasiment tous issus de la upper middle class, sont calibrés pour défendre les intérêts de la City, à défaut d’y avoir pu faire carrière. L’étiquette sous laquelle ils sont entrés au Parlement importe peu, ils sont tous strictement interchangeables, sans autre conviction que les consignes des lobbies.
Depuis qu’il a été élu par la base du Parti en septembre 2015, à savoir les sections locales du Labour revitalisées par le retour d’anciens travaillistes écoeurés par la politique de Blair et alter et l’afflux massif de jeunes enthousiastes, nombre de manoeuvres de déstabilisation ont tenté de le pousser à la démission. Corbyn a tenu bon, mandaté par plus de 60% des membres du Labour mais par à peine 40 députés de son parti. 172 députés travaillistes avaient adopté une motion de défiance en juin 2016 (1). La masse de la population précarisée, mais non lumpénisée et non assujettie à toutes sortes d’addiction, est suffisamment forte et cohérente pour rendre insubmersible leur candidat.
Défense du peuple palestinien.
Le deuxième défaut quasi-rédhibitoire pour qui veut se lancer en politique, c’est son soutien apporté au peuple palestinien. La nouvelle définition de l’antisémite est désormais un aphorisme bien connu. ‘Auparavant, un antisémite, c’est celui qui n’aime pas les Juifs. Maintenant, c’est celui que les sionistes n’aiment pas.’
Jeremy Corbyn est en train de l’éprouver avec une grande rudesse.
A partir du moment où il est apparu qu’il fallait compter avec Corbyn et qu’il avait toute chance d’arriver en tête du pouvoir de la première démocratie bourgeoise éclose en Occident, les sionistes ont apporté leur aide pour régler son compte à cet importun. Là aussi, des accusations ont été déclinées sur tous les modes possibles et en cascade ininterrompue, elles ont visé l’antisémitisme allégué de J Corbyn.
En 2014, sur invitation du gouvernement tunisien qui organise une commémoration tous les ans, il est allé porter une gerbe sur les tombes des 47 martyrs palestiniens de l’OLP assassinés par Israël en Tunisie en 1985. Des photos ont été exhumées et il est aussitôt attaqué pour avoir rendu hommage aux auteurs de l’attentat de Munich. Dans le cimetière de Hammam Chott sont enterrés tous les Palestiniens qui n’ont pu être rapatriés sur la terre de leurs ancêtres. A une quinzaine de mètres de l’endroit où se tenait Corbyn, sont situées les tombes de Palestiniens assassinés par le Mossad à Paris dans les années 90 et soupçonnés d’avoir été les organisateurs de Munich. Selon les sionistes, Corbyn aurait honoré les membres de Septembre Noir qui ont pris en otage puis exécuté 11 athlètes israéliens aux JO de 1972 et qui ne reposent pas dans ce cimetières.
En 2012, il s’était imprudemment opposé à l’effacement demandé par les sionistes d’une fresque de rue qui montrait des banquiers reconnaissables dont seulement quelques-uns sont juifs mais la majorité ne l’est pas, jouant au Monopoly sur le dos de Noirs courbés. Six ans plus tard, on fouille dans la masse des tweet de Corbyn et est exhibé le soutien de Corbyn à l’artiste américain qui a réalisé la peinture murale.
Dans un article paru dans Le Monde Diplomatique, le journaliste Alain Gresh relate le contenu d'un documentaire sur le lobby pro-israélien aux Etats-Unis. La chaîne qatarie al-Jazeera, qui l'avait réalisé, a finalement décidé de l'interdire.
Acte trois et loin d’être le dernier. Les sionistes dépêchés par Israël ‘qui ne se mêlent surtout pas des politiques intérieures des autres nations’ (2) déterrent des faits ‘d’antisémitisme’ allégué de dirigeants pro-Corbyn dans les réseaux sociaux, datant d’avant l’arrivée de Corbyn à la tête du Parti et les contraignent à démissionner. Tous sont des défenseurs de la cause palestinienne et la plupart sont juifs ou d’ascendance juive. Livingstone, l’ancien maire de Londres, a été suspendu sine die en avril 2018. Il avait tenu des propos mal formulés qui pouvaient être récupérés par les chasseurs à l’antisémite. Sur une radio, au cours d’une interview sur l’antisémitisme, il a déclaré ‘Hitler soutenait le sionisme avant de devenir fou et de tuer six millions de juifs’ (3). Hitler avait effectivement favorisé l’émigration des Juifs en Palestine en coopération avec l’Organisation sioniste mondiale et les organisations sionistes américaines. Elles avaient lancé des actions s’opposant aux campagnes de boycott des produits du 3e Reich lancées par les organisations juives antisionistes et la gauche des Etats-Unis (Zionism in the Age of the Dictators, Paperback, February 4, 2014 by Lenni Brenner). La Antidefamation League a figuré en bonne place dans cette opération anti-boycott. En effet, jusqu’en 1939, selon un accord signé en 1935 alors que les pogroms avaient débuté en 1933, ils avaient le droit de prendre une part de leurs avoirs en monnaie allemande contre une compensation laissée au gouvernement nazi selon un accord passé avec des dirigeants sionistes. Ceci est fait historique avéré, documenté, incontestable. Peut-être le péché de Livingstone n’est pas tant d’avoir traité de fou Hitler ou de s’être trompé d’ année, 1932 versus 1935 mais d’être un soutien infaillible au peuple palestinien spolié, chassé, dépossédé de sa terre et de sa patrie en subissant une occupation des plus destructrices et meurtrières. La déclaration bien plus atrocement scandaleuse et révisionniste de Netanyahu qui avait considéré qu’Hitler voulait juste chasser les Juifs mais qu’il les a brûlés sur le conseil du mufti de Jérusalem El Husseïni n’a jamais reçu en revanche la condamnation qu’elle méritait.
Peu importe le vrai, comme toujours, aussi bien du fait que du propos rapportés, la politique, c’est de la communication. C’est-à-dire de la propagande persuasive et éducative par la répétition et surtout l’orchestration des mêmes mensonges provenant de sources apparemment diverses et convergentes alors qu’elles obéissent au même donneur d’ordres.
L’un des épisodes les plus récents et fameux de ce feuilleton a consisté en débats houleux au Parlement britannique sur l’antisémitisme au cours desquels des députés travaillistes s’en prenaient à leur propre parti, l’accusant d’être fortement atteint par cette maladie endémique. Une enquête avait été menée par une commission parlementaire britannique publiée en octobre 2016, elle n’avait pas trouvé de foyers infectieux probants dans le Labour (5), pas plus qu’ailleurs. Pourtant, le Labour a été sommé d’adopter une nouvelle définition de l’antisémitisme, celle forgée par l’organisation International Holocaust Remembrance Alliance (6) plus extensive et plus floue que jamais. L’antisémitisme ne serait plus seulement la haine du Juif parce qu’il est juif, mais c’est aussi avoir des croyances et les affirmer d’une façon qui peut être perçue comme offensante.
Peut-il échapper aux deux bandes de redresseurs de torts
à ses trousses ?
Corbyn tente d’éteindre les foyers à chaque nouvelle poussée de fièvre. Presque piteusement. L’infamie de l’antisémitisme risque de lui faire perdre des adhérents et des votes. Il devrait bien au contraire mener une campagne clarificatrice, simple et sans ambiguïté car clairement ce sont des groupes organisés, à l’intérieur même du Parti, en particulier le Jewish Labour Movement, qui mènent cette campagne de diffamation. Cependant, un groupe de Juifs du Labour, Jewish Voice for Labour, vient de se créer en soutien à Corbyn.
Les intérêts convergents des blairistes, refusant l’arrivée d’un keynésien qui articulerait quelques réformes restituant un pouvoir organisationnel de l’économie à l’Etat et des membres du JLM, redoutant celle d’un fervent partisan de la justice pour le peuple palestinien aura-t-elle raison de Corbyn ? Faire le constat que sionisme et capitalisme effréné sont compatibles et synergiques sera bientôt considéré comme antisémite, même si, par ailleurs, certains veulent faire admettre que la critique de l’impérialisme Us et de la finance internationale est aussi de l’antisémitisme (7) à force de raisonnement spécieux et capillarotractés.
Le succès de ce nouveau Labour, rompant avec le ‘New Labour’ blairiste, risque de catalyser l’arrivée de gauches centristes dans toute l’Europe, et alors adieu à la privatisation de ce qui reste des services publics déjà bien démantelés sur le continent. Une petite victoire de cet ordre, et c’est de nouveau un espoir et des luttes de peuples anesthésiés par Charlie et les actes de terrorisme au rabais, sans même une arme à feu, simplement à l’arme blanche. Terrorisme psychologique visant la gauche anti-impérialiste et terrorisme violent donnant de l’islam une vision conforme à l’idéologie du ‘clash de civilisation’ huntingdonien constituent les deux tenailles d’une alliance au moins objective ciblant tous les opposants réels au chaos mondialiste.
Le peuple britannique est épuisé par plus de trente ans de thatchéro-blairisme, résumé en austérité, pauvreté, désindustrialisation, précarisation et guerres à profusion. Pourra-t-il infléchir cette évolution par les urnes ?
Badia Benjelloun
6 septembre 2018
** Que le lecteur français de ces lignes ne se montre pas offusqué que soit créé cette catégorie de crime de la pensée (qui est un crime contre la pensée), elle risque d’être agréée et appliquée dans son pays avant même qu’il ne s’en soit aperçu.
Notes :
2. Un journaliste infiltré d’al Jazeera avait montré comment un agent du Mossad, membre de l’ambassade d’Israël à Londres, Shaï Massot, travaillait avec le Jewish Labour Movement et le groupe de Labour Friends of Israel pour salir et compromettre un député conservateur, Alan Duncan, favorable au peuple palestinienn et à la campagne BDS.
https://www.aljazeera.com/
3. https://www.bbc.com/news/uk-
5. https://publications.
6.https://www.