Depuis quelques temps le capitalisme, dans son éternel affrontement avec la baisse tendancielle du taux de profit, a hérité d'une nouvelle option ( "vintage") qui vient opportunément compléter voire se substituer à sa phase dite "néo-libérale" , c'est à dire en réalité la version écolo-sociétale "de marché" prééminente ces dernières années, mais désormais fragilisée par les conséquences calamiteuses de ses innovations créatives.
Nos amis marxistes U.S. étant aux premières loges pour observer les convulsions de la bête, nous inaugurons cette série consacrée à l'approfondissement de la question :
« De l'injuste résolution des contradictions au sein de la classe exploiteuse »,
par cet excellent article de Greg Godels commentant pour le blog de Zoltan Zigedy les oracles des experts de Wall Street sur l'exacerbation actuelle de contradictions antagonistes au sein de la classe exploiteuse étasunienne, étrangement symétriques de celles qui affligent ses homologues de "l'Eurozone" ...
Le Trumpisme : option par défaut du capitalisme
Par Greg Godels
Publié par Zoltan Zigedy sur ZZ's blog
Beaucoup parmi les gens de gauche aux États-Unis commencent à s’apercevoir que la bataille intense qui oppose au sein de la classe dirigeante, d’un coté Trump et ses adeptes, face aux soi-disant « résistants », n'est rien d'autre que la manifestation bruyante et spectaculaire d'une « scission au sein de la classe dirigeante. »
Cette prise de conscience est d'autant mieux venue qu'elle tend à clarifier certaines des confusions entretenues par la direction du Parti démocrate et par le sensationnalisme puéril et le simplisme pseudo-naïf des médias capitalistes. Avec un peu plus de Russes sous-chaque-lit pour émoustiller l'électorat, les démocrates s’efforcent de vendre un scenario où Trump-le-Traître, assume le rôle de profanateur fasciste en chef. Nancy Pelosi, la face milliardaire du contingent parlementaire du Parti démocratique, a déclaré trois priorités, si les démocrates remportent l'élection provisoire, trois pièces rouillées de fausse monnaie libérale:
la réduction des coûts de la santé et la réalisation d’une sécurité sociale (toujours promise, jamais réalisée ni réalisable dans un système privé),
la hausse des salaires et l'amélioration des infrastructures (non réalisée depuis près d'un demi-siècle et devenu un "teaser" à destination du mouvement ouvrier),
et enfin le « nettoyage de la corruption » (ce qui signifie en pratique la poursuite de l’étrange et obscure chasse aux sorcières du procureur Mueller).
Mais Aucune mention n’est faite par exemple de l’abolition des réductions d'impôts que l'administration Trump à réservé aux riches...
Si on fait un pas de plus sur les herbes folles de la gesticulation politique et qu’on se prend à saisir le fil qui les assemble, on découvre une féroce bataille entre les différents courant d’intérêts qui opposent les plus riches aux plus puissants, un conflit qui donne un sens très concret aux pitreries bizarres de cette ère Trump. Derrière les images terrifiantes et grand-guignolesques d'un démagogue corrompu (Trump) combattu par les protecteurs « héroïques » de la liberté et de la sécurité (le FBI, la CIA, la NSA, etc.)i on aperçoit une représentation réaliste et actuelle de l’histoire, des idées, et de leur rapport avec les conflits d’intérêts et le destin collectif qu’ils déterminent. Somme toute, c’est donc une bonne chose que tout le monde ait été séduit par le divertissement en forme de dessin animé politique fabriqué et vendu par les médias capitalistes. C’est une meilleure chose encore que ce soit maintenant perçu comme un concours entre riches et puissants, confrontant leurs visions divergentes de l'avenir du capitalisme, et produisant politiquement : « une scission au sein de la classe dirigeante. »
« Mon administration est la seule chose entre vous et les fourches vengeresses »
Ces deux dernières années, j’ai souvent évoqué l'émergence d'une alternative au sein de la classe dirigeante, s’opposant à la vision fondamentaliste conventionnelle fondée sur la croyance à « la sagesse du marché » ( autrement dit ce qu’on désigne généralement comme « néo-libéralisme » et « mondialisation »). Je l' ai écrit à propos de la croissance économique et du nationalisme comme expression de cette alternative au sein des économies « avancées ». J’ai postulé que sa popularité croissante parmi la classe dirigeante était fondée sur les dommages causés au « globalisme » : la décélération du commerce, la croissance lente, les déséquilibres financiers, le mécontentement populaire, etc .-- dans le sillage de la crise mondiale qui a commencé en 2007. L’intensification de la concurrence dans la politique énergétique est une tendance matériellement symptomatique du nationalisme économique, comme du désintéret pour l’entretien d’une toile de fond pacifique visant à sécuriser et promouvoir le commerce. Les USA, par exemple, sont plus intéressés par la vente d’armements que par l’éventuelle résolution des conflits qui les mettent en oeuvre (le secrétaire d’État Pompeo aurait ainsi convaincu ceux qui parmi l’administration Trump étaient encore émus par le carnage du Yemen, de ne pas se priver d’un marché potentiel de 2 milliards de dollars).
C’est ainsi qu’un commentaire récent ( « Les dividendes de la colère » , 31/08/2018) du plus influent correspondant national de Bloomberg Businessweek, Joshua Green, prenant en compte la reconnaissance de ce terreau politique produit par la crise et ses développements, en voyait la conséquence comme cause directe du slogan du nationalisme économique de Trump : « Making America great again ». Le sous - titre de cette analyse de Green identifie clairement ce thème : Comment la colère provoquée par le plan de sauvetage de la finance a produit la présidence de Trump.
A travers ses souvenirs d'un entretien avec l'ancien secrétaire au Trésor Timothy Geithner, Green nous ramène aux suites de l'effondrement financier, où un Geithner résigné lui confessait sa grande inquiétude d’une aspiration populaire de « Justice de l’Ancien Testament » à l’encontre du sauvetage des banques par Obama le chouchou des « banksters ».
Green nous rappelle la tristement célèbre réunion d'Obama avec les PDG des grandes banques, à la Maison Blanche, où il leur a dit naïvement : « Mon administration est la seule chose entre vous et les fourches vengeresses.»
La parabole Obama,
et son exégèse par Green :
Dix ans après la crise, il est devenu clair qu'Obama était bien candide de croire que l'opinion publique pourrait être niée ou tenue à distance ... Des millions de personnes ont perdu qui son emploi, qui sa maison, qui sa retraite – et la plupart les trois -- et furent rejetés hors de la classe moyenne. Bien plus stupide encore l’idée qu’on pouvait continuer de l’ignorer en dépit de cette rongeuse anxiété des classes laborieuses. Les salaires ont stagné quand la crise a frappé et ont plafonné tout au long de la reprise. Récemment, le Bureau of Labor Statistics a rapporté que la part de revenus non agricoles des travailleurs américains est tombée au plus bas depuis la Seconde Guerre mondiale.
Cet acte d'accusation mainstream particulièrement rude de la prospérité capitaliste post-apocalyptique saisit pourtant les conditions qui ont attisé sa terreur latente des fourches qui la menacent. Et ne vous trompez pas, vous qui dirigez les grands oligopoles capitalistes : faites bien attention à cette colère, et gardez vous de ne pas y répondre... mais pour mieux la détourner.
Green poursuit: « ... les masses porteuses de fourches finiront par se faire entendre. L'histoire de la politique américaine au cours de la dernière décennie est l'histoire de la façon dont les Obama et les Geithner ont ignoré les forces qui refaçonnaient le monde ... déchaînement des énergies partisanes sur la gauche (Occupy Wall Street) et la droite (Tea Party) ... La critique par les masses des conditions qui ont conduit à Donald Trump ont leur origine dans ce jeu ... »[je souligne]
Bien qu'il puisse être émotionnellement satisfaisant de blâmer Obama et Geithner, si on veut aller plus loin il est plus révélateur de localiser la cause de Trump dans l'échec de l'intégrisme du marché et de bien voir les conséquences déstabilisantes pour le capitalisme du fait qu’aucune alternative n'ait été trouvée. Trump et « Make America Great Again » pouvait donc constituer une parade aux dangers immédiats déchaînés par l’application zélée de l'intégrisme « amok » du marché. Mais la réponse fut.
« Nous avons travaillé très dur pour garder nos doigts sur ces propositions »
Perspicace, Green identifie l’éveil d'une alternative au paradigme politico-économique dominant dans la décision du chef de la majorité républicaine du Sénat Mitch McConnell de dissocier les républicains du « Obama bailouts » -- singulièrement dans sa formule de « ... garder nos doigts sur ces propositions [ le financement TARP des banques] » .
Mais il a fallu attendre comme tout le monde que Trump échafaude une stratégie qui attela avec succès la colère de masse au succès politique. « Au moment où Trump déclare sa candidature en 2015, les Américains de toutes obédiences étaient aigris par la surenchère compétitive d’« élites » des deux partis, une chose que ses adversaires républicains ne comprennent qu'à présent qu’il est trop tard, » note Green.
Trump avait quant à lui su et pu concocter une campagne basée sur une réponse à cette colère, à l’aune du nationalisme économique, du patriotisme, et, paradoxalement, de l'im-partialité politique de la classe ouvrière.
Green explique:
Aujourd'hui, on se figure rétrospectivement sa campagne comme ayant été la plupart du temps orientée par l'animosité anti-immigrés. Mais ... Trump a passé des masses de temps à attaquer Wall Street au nom du petit gars oublié et à exacerber la suspicion que c’était là une cabale des éminences politiques et financières qui avaient elles-mêmes foutu les gens ordinaires dans la merde, minorités et immigrés compris. Quand j’ai interrogé Trump juste après qu'il ait acquis l'investiture républicaine, il m'a dit qu'il avait l'intention de transformer le GOP en « un parti ouvrier. Le parti des personnes qui n'ont pas eu une véritable augmentation de salaires depuis 18 ans, et qui sont en colère ».
Son message de clôture de campagne a évoqué consciemment le dégoût que tant de gens en étaient venus à éprouver envers Wall Street et Washington. Son annonce finale à la veille de l'élection flashait des images de PDG, président de la Réserve fédérale, Janet Yellen et Goldman Sachs, Lloyd Blankfein, et visait à les impliquer, ainsi qu’Hillary Clinton, dans ce que Trump a appelé « une structure de puissance mondiale qui est responsable des décisions économiques ont volé notre classe ouvrière, dépouillé notre pays de ses richesses, et mis cet argent dans les poches des grandes entreprises et entités politiques » ... Il n'est pas surprenant que ce message ait frappé une corde sensible: Qu'est-ce que Trump sinon l'incarnation d'un poing vengeur et le vœu de rendre la justice de l'Ancien Testament?
Bien sûr, l'idée que Trump est l’ébauche d'un parti ouvrier est ridicule, et Green le reconnaît. Mais ce n'est pas le sujet. Le point important est que Trump est non seulement l'anomalie, la figure d’Elmer Gantry, le cynisme, la vulgarité, l’ hypocrisie, mais aussi le chemin tortueux jusqu’au sommet du pouvoir que sa fortune et son accumulation financière permirent seules de masquer. Il n’est pas qu’un personnage de dessin animé coloré en orange, avec des petites mains boudinées, et une moue à la Mussolini. Bien plus et mieux que cela, il figure une composante plausible de la solution qu’a produit la classe dirigeante aux contradictions qu’a engendré le règne sans opposition depuis maintenant près de trente ans de l'intégrisme du marché.
Cependant, il est très important de souligner que Trump a eu lieu comme réponse de la classe dirigeante aux défauts de la classe dirigeante d’une autre époque -celle qui peine désormais, celle qui est régentée par le culte universel et exclusif de la propriété des actionnaires, des États-Unis comme gendarme du globalisme et du commerce lubrifié. Cette dernière idéologie n'a pourtant pas cédé et l'idéologie du nationalisme économique n'est pas encore dominante. Il demeure qu’en aucun cas, la conflit et les divergences entre ces deux orientations ne prennent en compte les intérêts des classes laborieuses ou ne laissent espérer quelque progrès -- toutes deux sont des impasses pour ceux qui prétendent vivre de leur travail. Du reste, Green se rassure en nous rappelant qu’en dépit des dommages causés par la crise économique il est « ... en fait tout sauf certain que la prochaine élection présidentielle, et le successeur possible de Trump, seront façonnés de même. »
Green, avec ses sérieux espoirs libéraux de libéral naïf, croit qu'il y a une chance que les démocrates « autrement » désintéressés reprendront la cause de ceux qui brandissent les fourches. Il voit cette occasion s’incarner en Elizabeth Warren. D'autres lui préfèrent Bernie Sanders ou les ondulations progressistes du DSA en surface du marigot Démocrate.
Mais, depuis la présidence de Lyndon Johnson, la probabilité de voir le Parti Démocrate proposer une réforme qualitative et significative pour la classe ouvrière américaine, est passée de l'espoir à la foi infondée et chimérique. Prendre parti dans cette controverse sur la meilleure façon de servir le capitalisme ne peut aboutir qu’à faire reculer la cause des travailleurs. Et la recherche d'une route éloignant le Parti Démocrate du service du capitalisme, n’est que la vaine répétition de vieilles illusions.
Seul un effort concerté pour créer ou entretenir un mouvement anticapitaliste véritablement indépendant, répondre aux besoins réels et urgents des travailleurs fait sens aujourd'hui, lorsque les partis bourgeois sacrifient volontiers les intérêts des travailleurs au Moloch du capitalisme. Seul un mouvement ayant un but révolutionnaire peut détourner la classe ouvrière des faux prophètes de la démagogie autocentrée, du tribalisme escrologiste, et du spencérien « Survival of the Fittest ».
Greg Godels
iNdt : Très exactement le « conte de faits » libéral que nous sert désormais la petite-bourgeoisie « éduquée » française, de Libération à Mediapart ou Le Figaro, en passant par Le Monde, les anarcho-trotskystes de toutes chapelles et unanimement tous les médias publics « de révérence ».