« Macron se prend pour ‘l’émanation du goût du peuple français pour le romanesque’ »
Gorgé d’ignorance et plein du vide dont il est à chaque instant près d’éclater, l’employé de banque présidentié à coups de millions, le penseur printanier au portrait imprimé en milliers d’exemplaires, le philosophe autoproclamé qui postillonne avec assurance sur toute la micrologie du cirque médiatique, vient de sortir la meilleure de toutes ses blagues (involontaires) : après avoir fait semblant d’être une disciple de Paul Ricœur, après avoir mis en avant l’indicibilité de sa pensée complexe, après avoir barbouillé ses élucubrations d’un immanentisme salonnard, l’occupant nécessaire de l’Élysée vient de nous expliquer qu’il n’est, en réalité, que « l’émanation du goût du peuple français pour le romanesque”.
Ça lui va bien de parler du peuple français, un peuple dans lequel on trouve ceux qui ne sont rien, des ouvrières presque illettrées, des porteurs de tee-shirts qui cherchent à lui faire peur, des infirmières adeptes de l’argent magique et des privilégiés du rail qui, dans les gares, font grève et menacent le projet grandiose que l’Union européenne, ce cheval de Troie que la finance anglo-saxonne a mis sur pied, dans le secret et à coups de dollars, pour détruire les sociétés occidentales et les remplacer par des amas d’individus désorientés et gouvernables au bobard sucré. Il est bien placé pour parler de peuple, de ce peuple qui, lorsqu’il manifeste, se transforme en bétail à lacrymos et à coups de matraques.
Si Emmanuel Macron était une figure romanesque, qui serait-il ? Le personnage central d’un Bildungsroman écrit par Jacques Attali ? Un arriviste forcené ? Un propulsé de chez Rothschild ? Mais qui lirait ce roman ? En s’imaginant romanesque, Emmanuel Rubempré essaie, sans doute, d’oublier qu’il doit tout aux vieux partis politiques – à commencer par le parti socialiste ; Bel-Ami Macron essaie sans doute d’oublier qu’il doit tout aux milliardaires qui ont fourni le kérosène pour son décollage et qu’il n’est pas le héros providentiel qu’il imagine, porté en triomphe par un peuple en délire jusqu’au donjon suprême d’où il nous bombarde maintenant d’un feu grégeois destiné à faire tomber l’État providence.
Non content de s’inventer une vie, non content d’écrire une histoire qui satisfasse son goût personnel pour un romanesque de pacotille, le voici qui invoque la figure de Gabriel García Márquez, qu’il nous présente comme l’un des romanciers sud-américains qu’il aime tant. Mais se rend-il seulement compte de ce qu’il dit ?
Sait-il au moins que le colombien García Márquez a toujours été un ami proche du cubain Fidel Castro? Sait-il que la plupart des romanciers sud-américains ont portrayé et dénoncé les gringos, ces vilains blancs américains qu’il aime tant et dont il essaie de parler la langue avec un naturel qui ne vient pas ? Aime-t-il donc le guatémaltèque Miguel Ángel Asturias, qui a dépeint l’avidité et les crimes de la multinationale américaine United Fruit dans une trilogie, dite bananière, qui est un monument de poésie et de dénonciation ? Aime-t-il donc le péruvien José Maria Arguedas qui, toute sa vie, a cherché à remettre au premier plan une culture andine écrasée par les violences de l’impérialisme culturel occidental? Aime-t-il donc cet autre péruvien qu’a été Manuel Scorza qui, dans une pentalogie romanesque mémorable, a élevé au rang de mythologie l’opposition de quelques figures quechuas des hauts plateaux à l’invasion et à la dépossession d’une société minière occidentale, la Cerro de Pasco Corporation ? Aime-t-il donc le dominicain Juan Bosch, auteur d’un ouvrage intitulé El pentagonismo et qui dénonce – qui ne l’aura pas deviné? – l’oppression exercée par les yanquís sur le continent sud-américain ? Mais peut-être préfère-t-il l’uruguayen Eduardo Galeano, auteur de la somme historique Les veines ouvertes de l’Amérique latine, un volume à l’épaisseur inquiétante, qui détaille l’ensemble des crimes dont se sont rendus coupables les européens puis les américains dans leur conquête d’un continent regorgeant de richesses et, pour cette raison, condamné à l’oppression et à l’injustice et où le sang du pauvre crie depuis cinq siècles en réclamant vengeance.
C’est sans doute pour se donner un genre que l’apprenti parisien président – que l’apprenti président parisien – aura cité au hasard le plus connu des auteurs latino-américains en prétendant les aimer – et donc les connaître – sinon tous, du moins presque tous. Il aura cherché à briller, il aura parlé avec légèreté, aveuglé sans doute par la lumière qu’il croit voir dans l’aura fadasse qui suinte de ses expressions rissolantes de satisfaction.
Sans compter qu’il aura, en évoquant l’Amérique latine, proféré un propos déplacé.
Car évoquer l’Amérique latine et sa littérature, évoquer le continent de la révolte des libertadores et des revolucionarios – de Simón Bolívar à Hugo Chávez en passant par José Martí, Emiliano Zapata, Augusto Sandino, Jacobo Arbenz, Salvador Allende, Jaime Roldós, Omar Torrijos, Ernesto Che Guevara, Fidel et Raul Castro, pour ne citer qu’eux – au moment où lui-même sert une Union européenne qui n’est que le cheval de Troie d’un capital qui se veut sans frontières et sans limitation d’aucun ordre – surtout pas moral –, c’est vraiment insulter la logique la plus élémentaire et la mémoire de tous ceux qui ont lutté – souvent au prix de leur vie – contre la mise en place de programmes économiques de pillage néolibéraux sous Pinochet au Chili (3000 morts), sous Videla en Argentine (30000 morts), sous Bánzer et d’autres en Bolivie, sous Stroessner au Paraguay et j’en passe.
Non, décidément, l’occupant de l’Élysée, ce président si cultivé porté aux nues par une France à l’esprit si romanesque, affiche une inquiétante propension à (se) raconter des âneries lorsque qu’on lui retire le mors que les propagandistes de profession coincent entre les dents des politiques – ces têtes de gondoles de la farce électorale parrainée par le grand capital – pour qu’ils braient les éléments de langage que les Français à grandes oreilles prennent depuis des décennies pour des promesses sincères puisque caressantes dans le sens du poil.