Salut à toi, Jean...
Autour de Jean Salem, présent parmi nous par l'effectivité de son travail théorique, pédagogique et militant, et avec son communisme marxiste en partage. Quelques amis nous ont rejoints, d'autres nous ont priés de diffuser leurs témoignages d'affection et d'estime en préambule à cette soirée. Dans la sombre période que nous vivons, en cette époque de servitude volontaire, précarisée et normalisée en "sobriété heureuse" et consacrée par le triomphe des maquerons, le legs de Jean Salem est un héritage dont la portée émancipatrice et la valeur sociale utile seront mesurées par tous ceux qui voudront bien se donner les moyens de les re-connaître.
En préambule à cet hommage, ma conférence favorite de Jean Salem. Une intervention filmée en 2015, il y a juste 3 ans, par les films de l'AN 2, où Jean vulgarise impeccablement un aspect fondamental et essentiel à la compréhension et à l'appropriation de la pensée de Marx : le matérialisme de Marx. Une leçon d'histoire et de philosophie et une magnifique démonstration de ce que peut être une véritable éducation populaire marxiste, rationaliste et matérialiste ...
Avec le soutien actif de nos amis des éditions Delga, la librairie a pu dernièrement éclairer le jugement de son public sur une des impostures historiques, sociales, économiques et politiques les plus spectaculairement calamiteuses commises par l'appareil idéologique institutionnalisé : le camouflage de l'agression impérialiste étasunienne que subit le peuple coréen depuis 70 ans .
C'est pourquoi, en premier préambule, nous donnons ici une priorité en quelque sorte matérialiste et historique au témoignage de nos amis, les courageux ( la plupart sont, ont été ou sont menacés d'être emprisonnés) militants du Comité international pour les libertés démocratiques en Corée du Sud (CILD) . Un hommage rendu à leur Camarade Jean Salem, qui depuis toujours fut à leurs cotés et défendit activement leur juste cause, à l'instar de ce que fit naguère son père Henri Alleg pour et avec les algériens, les palestiniens, etc.
Video témoignage du Comite international pour les libertés démocratiques en Coree du Sud (CILD)
Chers amis,
Je voudrais vous dire à quel point je considère la philosophie et la pensée marxistes en France comme durement frappées par le décès prématuré de Jean Salem, ce philosophe qui, avec panache, a continué, par très gros temps, à revendiquer ses options initiales de changement du monde.
Je connaissais Jean depuis plusieurs années, et ai apprécié son séminaire, qui a vaillamment œuvré à maintenir dans une tribune académique, et quelle tribune que celle de la vieille Sorbonne, la pensée marxiste. C’était œuvrer à contre-courant de l’idéologie dominante, non seulement hégémonique, mais en passe de devenir exclusive, puisque se dessine désormais, après le dénigrement, l’interdiction d’accès à tout moyen de communication et de formation (enseignement inclus) de toute pensée critique, désormais systématiquement taxée de complotisme. Les historiens critiques ne sont pas mieux lotis que les philosophes dans le droit à l’expression; ils en sont même encore plus strictement exclus, aucune participation au moindre « débat » ne leur étant jamais accordée, à l’université ou en dehors. C’est dire à quel point je sais gré à Jean, si sensible au fait que la philosophie et l’histoire s’enrichissent mutuellement, de m’avoir à plusieurs reprises invitée à son séminaire et d’y avoir convié bien d’autres intellectuels que le public ne voit ou n’entend jamais.
Je suis désolée de ne pas être présente physiquement à cet hommage, qui certes ne pouvait être différé, mais j’ai eu à choisir entre cet hommage, auquel participeront nombre de mes amis et camarades, et la présence à une manifestation de soutien aux communistes polonais menacés d’interdiction et de prison. Protester contre l’ignominie des héritiers de Pilsudski et de Beck me paraît particulièrement légitime pour une petite-fille de juifs chassés de Pologne vers 1920 par les pogroms et autres exactions orchestrés par les réactionnaires antibolcheviques et antisémites polonais, et à laquelle ses recherches ont confirmé les horreurs qu’on lui avait racontées à ce sujet pendant toute son enfance. Ni Jean, ni son père Henri, symbole de la résistance à l’oppression qui a tant combattu la domination coloniale et la traque des militants antinazis persécutés après 1989 dans toute l’Europe orientale devenue germano-américaine, ne songeraient, je pense, à me le reprocher.
L’un et l’autre sont demeurés fidèles, par leur pensée et leur action, d’une part, aux militants révolutionnaires de 1914 désespérés par l’abdication du mouvement ouvrier de l’époque, et qui ne pouvaient alors imaginer 1917, forgé par les bolcheviques, et, d’autre part, au socialisme réel, car ils savaient que la perte d’une bataille, si décisive soit-elle momentanément, ne signifie pas la défaite. Merci Jean, pour tout ce que tu as apporté à la philosophie progressiste, aux Lumières aujourd’hui si menacées par la coalition des impérialismes dominants, américain et allemand, et des impérialismes dominés, dont le français, singulièrement capitulard, comme tu l’as souvent écrit. Nul ne peut douter que la crise, si profonde et durable du capitalisme, et la reconstruction inéluctable du mouvement révolutionnaire qui lui est liée, ne te donnent les brillants successeurs dont notre pays et notre peuple ont besoin.
Annie Lacroix-Riz, historienne
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Chers amis et camarades
C’est avec une grande peine, et quoique sans illusion lui ayant rendu visite à la fin de novembre, que j’ai appris la nouvelle du décès de mon ami et camarade Jean Salem, professeur de philosophie, militant communiste, défenseur infatigable du marxisme-léninisme, de l’internationalisme prolétarien et de l’histoire de l’édification du socialisme en particulier en URSS.
Je connaissais Jean pour des raisons familiale depuis 1974. Il finissait ses études de philo et se préparait à faire des études de médecine. Je me souviens qu’à la question du pourquoi, il répondait que pour lui il y avait un lien entre la philosophie matérialiste de l’antiquité et la médecine. Car dès cette époque, et dans la lignée de Marx, il était passionné par Epicure, Démocrite, Lucrèce … dont il deviendra un des spécialistes.
Mais nos liens se sont renforcés deux ans plus tard pour des raisons politiques, à un moment particulièrement éprouvant pour les jeunes militants communistes que nous étions : notre opposition, lors de la discussion du XXIIe congrès du PCF, à l’abandon de la dictature du prolétariat et à la dérive anti-soviétique dont nous percevions le caractère liquidateur du parti révolutionnaire de la classe ouvrière. Et en octobre 1981 il m’annonce qu’il participe à la rédaction d’une lettre au Comité Central aux côtés de Jeannette THOREZ-VERMEERSCH, BOUVARD Georges, FRYDMAN Marcel, HENTGÈS Pierre, MÉROT Jean, TIREUX Paul, TURPIN Louis, ZAFFAGNI Jean, et qu’il allait proposer que j’y participe. Lors de ma première réunion la lettre était prête et je n’ai participé qu’à, la rédaction des deuxième et troisième Lettre et à leur diffusion. C’était la première tentative de rassembler les militants du PCF qui entendaient rester révolutionnaires.
En 1985 Jean publie sous un pseudonyme, un pamphlet : Rideau de fer sur le Boul’Mich. Notes sur la représentation des pays dits de l’Est chez l’élite cultivée du peuple le plus spirituel du monde, contre l’antisoviétisme qui fait rage, livre réédité sous son nom par les Editions Delga. Il aidera Jeannette Vermeersch pour la rédaction de son livre de mémoire, La Vie en Rouge, dont il écrira la présentation. Et depuis, avec son caractère, ses interrogations, il est toujours resté fidèle à la conception révolutionnaire du monde ouverte par Marx et Engels et prolongée par Lénine et le mouvement communiste. Il n’a pas flanché quand la contre-révolution l’a emporté en URSS. Il raconte tout cela dans son entretien avec Aymeric, même s’il m’y prête des propos que je n’ai jamais tenu, ce qui nous a bien fait rire d’ailleurs, et interrogé sur les témoignages oraux ! Mais je suis fier qu’il ait voulu évoquer notre amitié.
Pour ma part après 1990 je devais continuer le combat dans la Coordination Communiste, puis dans l’URCF, et aujourd’hui dans le Parti Communiste Révolutionnaire de France. Jean lui s’est concentré sur le travail scientifique, écrivant de nombreux ouvrages et articles, en particulier sur l’histoire du matérialisme antique qui resteront des références. Mais il s’intéressait à tout dans l’esprit du matérialisme dialectique et historique : la Connaissance non pour contempler le monde mais pour le transformer et si le mouvement ouvrier révolutionnaire est le résultat de la fusion de la Science et du mouvement ouvrier, celui qui fait progresser la Science et la Connaissance fait progresser le mouvement ouvrier. Jean était de ceux-là.
Professeur à la Sorbonne il animera en particulier deux séminaires, l’un sur L’histoire du matérialisme (1998-2008), et l’autre sur Marx au XXIe siècle : l’esprit et la lettre, de 2005 à aujourd’hui. Ce dernier, auquel beaucoup des présents ici ont participé, rassemble côte à côte des étudiants de Masters et un public d’auditeurs libres composés de militants ouvriers et de gens curieux de ce que représente le marxisme. C’est un lieu de débats où la réflexion scientifique se renforce de ce que Lénine appelait « l’esprit de parti en philosophie».
Son livre Lénine et la révolution, traduit dans de nombreuses langues, est une bonne introduction à la lecture de Lénine et situe bien la place fondamentale que l’étude de celui-ci occupe pour la récupération du mouvement ouvrier révolutionnaire, et l’élaboration de la stratégie révolutionnaire à venir.
Il s’était engagé, entre autres, pour la solidarité avec le peuple de Corée pour la réunification de sa patrie et avec les démocrates et progressistes victimes de la répression du gouvernement sud-coréen encore une cause que nous avons partagée.
Jean n’était pas membre de mon Parti, il était resté membre du PCF sans illusion sur son avenir, mais il était solidaire et fraternel avec tous ceux qui combattaient pour la reconstruction d’un Parti communiste, qu’ils soient restés au PCF ou qu’ils l’aient quitté pour s’organiser. Jusqu’à sa maladie en 2014, chaque fois qu’à l’époque l’URCF le sollicitait pour participer à une initiative, il répondait présent s’il était libre. Il avait accepté d’être président de l’Association des Amis de l’URSS.
Sa disparition est une grande perte pour le marxisme, pour la lutte pour le communisme. Nous sommes certains que ces travaux, en particulier ceux sur le matérialisme et sur le marxisme-léninisme, seront une source d’inspiration pour les générations à venir.
Maurice Cukierman
Secrétaire Général du Parti Communiste Révolutionnaire de France