Diana Johnstone, dont nous pouvons attester qu'elle existe réellement, pour l'avoir souvent accueillie à la librairie, a bien voulu nous autoriser à traduire, adapter et publier l'article qu'elle a initialement rédigé pour le site de Paul Craig Roberts . Un texte de circonstance de Noël aux U.S.A. et qui nous a semblé d'actualité en cette période, car il n'est pas sans faire écho aux péripéties françaises actuelles, au moment ou Maqueron "monte au créneau" contre les infâmes sites et médias à la solde de Poutine et prétend légiférer contre les propagateurs de "fausses nouvelles"...
PANIQUE à WASHINGTON
ou la charge de la brigade invisible
(des trolls du Kremlin)
Par Diana Johnstone
Il n'y aura pas de trêve des confiseurs dans la guerre de propagande. En ce jour de Noël, le Washington Post a offert à ses lecteurs une livraison anxiogène intitulée «Les trolls du Kremlin brûlés sur Internet alors que Washington soupesait ses options». De ce long article - près de 4000 mots, la seule partie qui a des chances d'être lue en ces périodes de très courts intervalles de temps de cerveau disponible, est le titre, dont les deux thèmes sont riches en messages subliminaux.
- Premièrement, une opération de saccage et de massacre menée par une armée de trolls du Kremlin est en train de dévaster Internet.
- Deuxièmement, Washington, dans son innocence bienveillante, a du mal à faire face à cette pressante menace.
Considérons distinctement ces deux thématiques.
L'Invasion de l'armée des Trolls
La cheville journalistique de cette saga est une pigiste fantôme nommée Alice Donovan dont le «premier courriel est arrivé dans la boîte électronique de CounterPunch, un site d'opinion et d'opinion américain de gauche, à 3:26 - le milieu de la journée à Moscou».
Ahaha!
S'appuyant sur ses sources abondantes parmi la « communauté du renseignement » américain, l'article de WaPo poursuit: «Le FBI suivait Donovan depuis plusieurs mois dans le cadre d'une d'opération de contre-espionnage identifiée sous le nom de code « NorthernNight » ( « Lumière du nord » ). Les rapports du bureau interne la décrivent comme un fantassin sous pseudonyme dans une armée de trolls dirigés par le Kremlin et cherchant à saper les institutions démocratiques américaines...
Partant de là, il est intéressant d’observer que la seule trace de "l'armée des trolls russes" (l'expression apparaît de nouveau) évoquée dans cet article serait l’existence « réelle » de ce simple fantassin sous pseudonyme nommé Alice Donovan. Et cette existence serait avérée par les nombreux articles publiés sur une douzaine de sites Web au cours des deux dernières années. Pourtant, lorsque CounterPunch a tenté, alarmée par le FBI, de découvrir qui elle était, le site fut incapable d'en identifier concrètement l'auteur.
Donc, dans cette troublante histoire, un fantassin insaisissable devient la preuve « vérifiée » que nous avons affaire à une «armée».
Cela devrait immédiatement susciter quelques autres interrogations. Par exemple, pourquoi le FBI enquêtait-il sur quelqu'un dont la seule trace d'existence était la paternité d'articles de sites Web?
Il ne pouvait pas enquêter sur "une personne", puisque apparemment personne ne sait encore aujourd’hui qui est cette personne. Donc, il enquêtait sur un écrivain de site Web. Pourquoi?
Quel était son motif?
"Alors que les élections présidentielles de 2016 se sont accélérées", poursuit l'article, Alice Donovan "semblait faire le jeu du Kremlin en attisant le mécontentement envers la leader démocrate Hillary Clinton et en vantant les mérites de WikiLeaks, qui selon les autorités américaines était un instrument de la manœuvre des services russes visant à fausser l’élection présidentielle. "
En bref, "attiser le mécontentement" envers Hillary devient un symptôme révélateur d’une manipulation orchestrée par les services russes... Incidemment, il y a beaucoup d'entre nous qui ont fait exactement la même chose. Je suis d'ailleurs l'une d'entre eux, ayant écrit tout un livre de critiques, susceptible d’alimenter le « mécontentement envers Hillary ». Je me demande donc si nous sommes tous sous enquête du FBI?
Je me demande aussi si il relève des missions du FBI de mener une opération de contre-espionnage enquêtant sur des contributeurs de sites Web qui s'écartent de la ligne officielle de Washington relativement à la personne d'Hillary Clinton, ou sur la Russie ou sur la Syrie? Alice Donovan l'a fait mais ses critiques étaient relativement anodines. En quoi justifiaient-elles d'être distinguées dans la cadre d'une opération de contre-espionnage du FBI?
Pourquoi CounterPunch a-t-il été alerté sur Alice Donovan, et seulement elle et non pas contre nous tous qui écrivions de tels articles?
Le message, pas si subliminal que ça, était :
Tout article soumis à un site Web et contredisant la ligne officielle propagée par les services secrets de l’État U.S. ne peut qu’être l'œuvre d'agents du sinistre Kremlin.
La preuve : ils en ont trouvé un !
Son nom est Alice Donovan.
Alors désormais faites très, très attention à ce que vous publiez !
Bien sûr, la "preuve" est tout aussi vaporeuse que toute la série de "preuves" de la subversion russe produite jusqu'à présent par les agences de sécurité américaines. Personne n'a vu Alice Donovan. Personne n'a parlé avec elle. Jusqu'à présent, il n'y a aucune preuve qu'elle ait jamais existé, mais aux yeux du FBI cela même constitue sans doute une "preuve" supplémentaire.
Pourtant, cela n'a pas empêché les principaux médias américains "de confiance" de la présenter à leur public comme pièce à conviction décisive, la pièce A (pour Alice), susceptible de justifier les poursuites judiciaires requises contre Vladimir (Ras)Poutine et ses proliférantes créatures de l'ombre, pour «atteinte à notre démocratie».
Selon le WaPo"Le FBI, conformément à sa pratique habituelle des enquêtes de contre-espionnage, a gardé un contrôle étroit sur les informations concernant Donovan et d'autres personnalités russes soupçonnées de colporter des messages à l'intérieur des Etats-Unis". Une ligne de sage prudence professionnelle qui ne va pas cependant jusqu'à s’abstenir de suggérer avec insistance aux éditeurs de CounterPunch qu'ils facilitaient la guerre cybernétique de l’ombre menée sourdement par le Kremlin, ou de transmettre des rapports de renseignements (confidentiels) au journal le plus influent de la capitale fédérale, avec lequel la CIA entretient de longue date des liens étroits. Mais, si Alice Donovan est une si redoutable menace, pourquoi ne pas révéler son identité à ceux qu’elle abuse?
Réagissant aux mises en garde du FBI, CounterPunch a fait sa propre enquête...
et a mis en lumière quelques faits significatifs.
Tout d'abord, comme il était impossible de retracer "Alice Donovan", le FBI a dû être alerté par ses écrits, et non par la personne. Quand et comment les fins limiers du FBI ont-ils découvert qu'elle utilisait (apparemment) un pseudonyme ? Savaient-ils cela dès le début, c'est-à-dire que le FBI aurait d'emblée assimilé les noms de plume à la subversion russe, négligeant le contenu, au profit de la signature ? Et ignorant le fait que tout au long de l'histoire, les auteurs ont utilisé des noms de plume comme protection contre de possibles persécutions.
Assez clairement les échanges du FBI avec CounterPunch dénotent leur intention de mettre en garde les sites web de gauche à l’encontre d'articles anonymes, ce qui peut être interprété de la part de ce genre d'organisme répressif comme un premier pas vers la mise à l'index d'individus qui ont quelque chose à dire mais qui craignent d'avoir des problèmes en les rendant publiques. Spécialement dans cette période d'intensification de la chasse aux sorcières aux U.S.A. . Mais le fait le plus important qui ressort de la propre enquête de CounterPunch est que les articles d' "Alice Donovan" ne constituent en aucune manière une innovation ou même une nouvelle variante de propagande russophile dans le cyberespace américain. Ils n'étaient pas du tout originaux. Tout bien considéré, le commentateur fantôme a pris des fragments d'articles trouvés ici et là sur des sites Web gauchisants, et les a amalgamés sous son nom. Du copié-collé de plagiaire amateur.
On a donc là un pistolet qui a fait long feu, et sur lequel les empreinte digitales ne sont pas du tout celles des professionnels russes.
Alors, dans la mesure où il n'y avait rien de nouveau, rien de sensationnel ou particulier, pas de grande révélation ni de «fausses nouvelles» dans la prose de Donovan, qu'est-ce que le «Kremlin» pouvait espérer y gagner ?
L'habile et sournois Poutine en serait-il réduit à tenter de "saper notre démocratie" avec quelques ragots périmés?
Cela n'a tout simplement aucun sens, sinon dans le cadre psychotique des prédictions auto-réalisatrices, source la plus souvent sollicitée par le "narratif" propagé dans les "milieux du renseignement" étasuniens.
Il y a cependant une autre hypothèse qui a du sens. Il était clair dès la création de l'opération « NorthernNight » que le FBI avait été chargé de produire la preuve que la dissidence sur Internet relève essentiellement d'un complot de Poutine. Mais dès lors qu’une telle preuve s'avère difficile ou impossible à dénicher, elle tend à être fabriquée - tout comme un certain nombre de «complots terroristes» ont été fabriqués en attirant un imbécile crédule dans une manipulation. À voir la peine que le FBI se donne pour essayer de coincer les publications de gauche dans la publication d'articles qui pourraient être «exposés» comme de la «propagande du Kremlin». Il est évident que l'État profond a désespérément besoin de «preuves» pour étayer son conte de fées de l’agression occulte de la Russie. L'invention d '«Alice Donovan» arrive à point pour fournir de telles «preuves».
Dans son innocence candide, Washington est dangereusement dépourvu face à cette sourde menace.
Si vous étiez un faussaire du FBI, chargé de rédiger des articles à signer par "Alice Donovan", comment vous y prendriez-vous? En tant que hacker du FBI, vos valeurs et votre honnêteté spontanée font que vous n'avez probablement aucune idée de la rhétorique requise pour rédiger un tel article. Votre professionnalisme et votre conscience professionnelle vous incitent donc à vous renseigner sur ce que des auteurs présumés de "gauche" peuvent écrire et penser, pour vous en inspirer. De fait, les "Donovan papers" n'ont rien ajouté à ce qui était déjà notoirement public. Ils ne disaient rien que d'autres n'avaient pas déjà écrit, et ne visaient qu’à rabâcher les mêmes révélations subversives défraichies comme repoussoir à l'usage des Américains les plus crédules. Ce dangereux agent russe apparaît donc comme un copieur-colleur compulsif et très peu créatif, et le moyen le plus commode et "réactif" d'«inventer» dans l'urgence un "troll russe" par ailleurs insaisissable - répandez-le parmi les sites pour ensuite «révéler» le scandale. Juste une nouvelle mouture des stratagèmes à deux balles si prisés du FBI, digne de scénaristes hollywoodiens de série Z. Une variante bas de gamme des classiques opérations d'infiltration : nous vous incitons à faire quelque chose dont nous pourrons vous accuser. Naturellement ce sont les sites «gauchistes» qui sont nécessairement candides et donc attirés par la publication de ce genre de «fausses nouvelles» concoctées par les «trolls du Kremlin».
Ça leur apprendra à faire attention à ne pas publier n'importe quoi !
Colin Powell administrant les preuves convaincantes de la fiabilité et du sérieux des informations fournies publiquement par la communauté du renseignement étasunien.
Évidemment, il n'y a pas plus de preuve qu' "Alice Donovan" soit une création de l'opération d'infiltration du FBI connue sous le nom de "NorthernNight", qu’il n’y en a que "Alice Donovan" soit une création d'une campagne de désinformation du Kremlin. Cependant, il existe une preuve que l'opération d'infiltration du FBI a eu lieu. Selon ses "sources secrètes", le Washington Post révèle qu'un «ordre non divulgué jusque là - une décision présidentielle radicale visant à combattre les cybermenaces mondiales - a incité les agences d'espionnage américaines à planifier une demi-douzaine d'opérations spéciales pour contrer la menace russe». Donovan n’aurait-elle donc pas été une de ces opérations?
D'autre part, la campagne de désinformation du Kremlin est toujours une affaire de spéculations - malgré toutes les relations officielles et fondées, comme celui-ci le prétend, sur «des entrevues avec des dizaines de hauts fonctionnaires américains actuels et anciens à la Maison Blanche, le Pentagone, le Département d'Etat et les services de renseignement américains et européens, ainsi que des représentants de l'OTAN et des diplomates européens de haut niveau. "
Puisque toutes ces interviews sont anonymes, qu'est-ce qui les rend plus crédibles qu'un blogueur anonyme? Où est la preuve - de quoi que ce soit?
Diana Johnstone
Traduction ( et adaptation au site) : Viktor Yugov