Vous trouverez ci-après ce texte que le Figaro a accepté de publier.
L'Olympisme est liberticide
Marc Perelman
Du «Dossier de candidature Paris 2024» à la «Loi olympique et paralympique» en passant par le «Contrat de ville hôte», l'«olympisation» du monde tant souhaitée par le baron Pierre de Coubertin avance à pas de géant. Elle a déjà trouvé en France ses aficionados et même quelques séides à travers la presque totalité du spectre politique actuel de la représentation parlementaire. Les Français semblent, de leur côté, peu intéressés par les Jeux olympiques (JO) sinon de plus en plus hostiles du fait de leur coût réel et ce malgré les tentatives d'intoxication préolympique dues à un matraquage visuel et sonore permanent de la part de la Mairie de Paris, une propagande digne du glacis soviétique stalinien d'antan et une authentique croisade idéologique sur le front des valeurs de l'Olympisme pourtant régulièrement battues en brèche par la réalité.
Pour la droite et la gauche, les JO fondent et déploient la liberté de tous à travers une organisation compétitive de l'élite.
Schématiquement, à droite, les JO favorisent les obsessions d'ordre, créent l'illusion d'une nation forte grâce aux médailles remportées par ses athlètes, cultivent la croyance que le sport associé à l'effort physique contribue naturellement à l'effort national (par exemple à la lutte contre le chômage). À gauche, les JO représentent ou symbolisent l'émancipation, la solidarité, le peuple. Pour la droite et la gauche, les JO inventent une nouvelle Humanité par le biais des exploits sportifs de sa jeunesse, ils dessinent un nouveau corps sportif (santé et bonheur), ils fondent et déploient la liberté de tous à travers une organisation compétitive de l'élite. Les JO, de fait, ont suscité un consensus général qu'aucun autre phénomène d'échelle mondiale n'a pu atteindre à un tel niveau de masse. En effet, grâce à la télévision et à la multiplication des écrans excités par l'Internet, presque la moitié des habitants de la planète assiste en direct aux compétitions olympiques. On peut aujourd'hui affirmer que les JO sont devenus un média à part entière.
Quelques voix, pourtant, s'opposent fermement et durablement au principe même des Jeux olympiques et à l'organisation des JO Paris 2024. Une opposition qui, certes pointe les conséquences financières, sociales et politiques désastreuses du fléau olympique, environnementales et urbaines également, mais surtout qui veut analyser les Jeux olympiques, leur nature politique réelle et non pas rêvée ou fantasmée, leurs ressorts politiques et idéologiques. Autrement dit, cette opposition cherche à savoir en quoi les Jeux olympiques qui se veulent une «fête», une «trêve», le lieu de l'«amitié entre les peuples», etc. ne sont que l'organisation d'une vaste compétition vis-à-vis de laquelle l'ensemble des partis politiques est fasciné et auxquels finisse par adhérer une portion importante des populations qui, après les JO, souvent le regrette.
La question des libertés publiques, de la liberté en tant que conquête et projet, pourtant peu négociables en France, est au cœur de la propagande olympique devant laquelle les édiles français se sont couchés, totalement soumis aux ordres et dictats du CIO et de son surgeon français le CNOSF.
À la lecture des documents liés à l'organisation des JO, on en arrive parfois à se demander si la souveraineté de notre pays, de l'État français, ne lui sera pas tout simplement retirée au profit du CIO. Au moment des JO de 2024, le CIO ne dirigera-t-il pas la France puisqu'il sera doté d'une législation à sa mesure, mise en œuvre et livrée en temps et en lieu par nos propres représentants? Le CIO, faut-il encore le rappeler, est une organisation internationale non gouvernementale, à but non lucratif, à durée illimitée, de droit privé suisse…
Dès la publication en janvier 2016 du «Dossier de candidature Paris 2024», on avertit que le plan de communication mis en œuvre bien avant le début des compétitions «veillera […] à réduire tout risque potentiel de perception négative des Jeux. Il s'emploiera à ne recueillir que des retours positifs de la part des différentes communautés, et particulièrement pendant la phase de planification et des travaux de construction». L'opposition n'existe pas puisqu'on ne lui donne pas la parole! Une telle stratégie de communication doit sans doute faire partie des valeurs de l'Olympisme…
Après la magistrale victoire sans adversaire à la session du CIO du 13 septembre dernier à Lima, le «Contrat de ville hôte» qui a été signé entre Mme Hidalgo et le Président du CIO, M. Bach, stipule qu'«aucune manifestation, conférence ou autre réunion majeure qui pourrait avoir un impact sur le succès de la planification, de l'organisation, du financement et de la tenue des Jeux ou sur leur exposition au public et aux médias, ne se tiendra dans la ville hôte même, dans ses environs ou dans les villes accueillant d'autres sites de compétition ou dans leurs environs, pendant les Jeux ou pendant la semaine qui les précède, ou celle qui les suit, sans l'accord écrit préalable du CIO […]». Là encore, là à nouveau, le CIO soumet les libertés publiques à sa souveraine décision. Il n'y aura donc pas d'opposition puisque c'est interdit par le CIO! On pouvait alors s'attendre à une réaction. Elle vint, à sa façon, de Bernard Thibault, représentant syndical français à l'Organisation internationale du travail (OIT). L'ancien dirigeant de la CGT déclarait dans Libération (le 12 avril 2017) que «si l'on se réfère à l'histoire, il y a peu de chance qu'une grande grève se produise en août 2024 pendant les Jeux. Le dernier mouvement enregistré en France un mois d'août remonte à 1944: c'était l'insurrection des cheminots pour libérer le pays. Depuis, les Français ont manifesté en de nombreuses occasions et pour différentes causes, mais jamais contre les JO. Ainsi, quand des mouvements sont survenus en 2005, pendant que le Comité international olympique visitait les installations françaises, dans le cadre du projet de candidature de Paris 2008, nous avions défilé avec des drapeaux favorables aux JO. Pour montrer qu'on ne se trompait pas de cible. […] En France, le but des syndicats n'est pas de s'opposer aux Jeux olympiques mais de travailler suffisamment en amont pour veiller à ce qu'ils se déroulent dans de bonnes conditions».
Sept années avant le début des JO, assurer le CIO que les syndiqués, le doigt sur la couture, pardon sur les trois bandes de leur survêtement ne déclencheront aucune grève durant ces mêmes JO, voilà sans contestation possible un syndicalisme plein d'avenir… L'insoumise Danielle Simonnet avait tenu des propos pas très éloignés, affirmant qu'elle n'était pas du tout «anti-sport» ni «anti-JO». «Ce qui est magnifique dans les JO, précisait-elle, c'est que vous découvrez plein de femmes et d'hommes qui sont extrêmement impressionnants dans leur grand courage, leurs prouesses et leur dépassement de soi» (Le Monde, 23 février 2017). Le «dépassement de soi» est aujourd'hui totalement lié au dopage de masse.
Voté prochainement par l'Assemblée nationale, dans une procédure accélérée (sans la navette parlementaire habituelle avec le Sénat), le projet de «Loi olympique et paralympique» se présente comme le plat de résistance ou plutôt l'ordre de soumission aux oukases du CIO. Dès les premières lignes du projet, on pourra relever une belle faute, disons de calcul. En effet, ce n'est pas «quarante ans après que Pierre de Coubertin a proclamé le rétablissement des jeux olympiques [en 1894]» que la deuxième édition des Jeux en 1924 a eu lieu, mais trente ans… Cela laisse-t-il augurer d'autres «erreurs» de calcul à venir? Pour l'essentiel, l'ensemble des articles n'est qu'une suite ininterrompue de dérogations, de simplifications et d'exemptions vis-à-vis de la loi française actuelle. Sans parler de «procédure d'extrême urgence», d'«exception aux règles procédurales», de «procédure d'expropriation», de «sécuriser juridiquement» et cette «autorisation» hautement symbolique qu'est «la création de voies réservées au déplacement des délégations et des athlètes». À coup, si l'on peut dire, de «langue olympique» et de la pure invention d'une «génération olympique» inexistante, le projet de loi ne cesse de réglementer, d'interdire ou d'autoriser, mais encore une fois tout cela en dépit de la loi française et même souvent contre elle. Une véritable police de la langue, justement, se met en place avec l'accord de nos représentants. Interdiction d'employer les termes: «Jeux olympiques», «olympique», «olympiade», «olympisme», «olympien», «olympienne», le sigle «JO» et le millésime «ville+année». Idem pour les JO paralympiques. Le CNOSF devient le propriétaire de ces mots.
Autorisation, par contre, est donnée pour «la publicité faite au profit des partenaires de marketing politique dans un périmètre de 500 mètres de distance de celui de chaque site lié à l'organisation et au déroulement des Jeux olympiques et Paralympiques 2024». En conséquence: aucune publicité dans les stades mais open bar à l'extérieur. Dans le même ordre d'idée, la publicité du TOP (The Olympic Partners) (Coca-Cola, Alibaba, Visa, Omega, Samsung, Panasonic…) est autorisée «sur les monuments naturels et dans les sites classés ; sur les immeubles présentant un caractère esthétique, historique ou pittoresque ; sur les immeubles classés ou inscrits au titre des monuments historiques accueillant les compétitions». On va donc assister à l'enveloppement général des principaux édifices de Paris ; et de fait, à leur disparition derrière le drapeau olympique entremêlé aux bannières d'entreprise. Paris sera colonisé par le CIO.
On le constate partout. À coups d'injonctions, de plans, de propagande, le sport doit désormais s'infiltrer dans les moindres recoins de la société civile et devenir le rapport spontané et hégémonique que les individus ont avec la société. L'occasion des JO à Paris semble trop belle pour la laisser filer et ne pas l'intégrer au vaste processus de «sportivisation» en cours de nos sociétés. En parallèle aux JO, un nouveau plan intitulé «Sport 2024+» se déclinera ainsi autour de trois objectifs: «Pas un Français loin du sport» ; «Tous citoyens du sport» ; «La croissance durable par le sport». Des actions prioritaires seront mises en œuvre par le biais: d'un «programme national d'éducation à la citoyenneté et aux enjeux de santé, de vivre ensemble, d'égalité et de mixité sociale au travers des valeurs olympiques» ; d'«un concours national autour de l'Olympisme» prévu dans les établissements scolaires français ; et enfin d'«un plan national de promotion des valeurs olympiques» avec encore et encore des compétitions scolaires et l'organisation de grands événements sportifs…