Poisson d'avril ?

Paris le 3 mars 2016

Madame la Maire du XIVème arrondissement de Paris,

chère Carine Petit.

Nous accusons réception de votre aimable correspondance en date du 19 février, nous informant des dernières initiatives de « démocratie participative » de Mme la Maire de Paris et nous encourageant vivement à y participer.

Nous vous en remercions au nom de nos adhérents de l'association des commerçants du quartier Pernety, comme au nom des riverains et probablement de tous les habitants du quartier qui, pour être notoirement des citoyens conscients de leurs responsabilités, n'en apprécient pas moins, conformément à la tradition frondeuse de la capitale, les occasions de rigoler.

Je vous confesse que Mme la présidente de l'association et moi-même avons d'abord été un peu surpris en découvrant que nos élus et édiles municipaux avaient l'idée, à première vue assez saugrenue, de nous inviter à nous réunir en fin de journée (à partir de 19h ) avec tous ceux «qui sont en demande d'espace d'expression» et de «partage simple et accessible », pour «discuter toute la nuit» en vue de «partager leurs visions» et «refaire le monde».
Vous imaginez la perplexité que ce genre d'invitation peut susciter chez des gens simples qui, comme Odile Oudin ou moi, travaillent plus de 10 heures par jour, et dans le cas de notre présidente, se lèvent à 4h du matin pour aller acheter leur stock de fleurs à Rungis et finissent leurs journées bien après l'heure annoncée pour le début de ces pittoresques «débats démocratiques» pour noctambules insomniaques (et sans doute assez désœuvrés) .

Je dois à la vérité de vous avouer qu'un bref instant nous avons frisé sinon l'indignation du moins cette sorte d'exaspération qui amène à invoquer ce qu'en franc-parler parisien on qualifie volontiers de « foutage de gueule ».

Et puis, considérant l'éminente dignité des auteurs de ces étonnantes propositions, nous avons relu attentivement la missive, convaincus que, même dans l'état de déréliction intellectuelle et politique dont souffrent actuellement les équipes municipales, et en dépit des multiples gesticulations futiles et dispendieuses dont elles nous avaient gratifiés ces derniers temps, ce genre de provocation grotesque ne pouvait relever que d'une mauvaise lecture et donc d'un malentendu. 

Bien nous en a pris, puisqu'en revoyant la chose de plus près nous nous sommes aperçus qu'une simple coquille avait probablement obéré la portée réelle du projet. Vous noterez en effet que la date annoncée est le 2... avril. Nous en avons déduit qu'en cette année bissextile le calendrier de la mairie a été un peu perturbé et décalé d'une journée... ce qui explique que cette savoureuse et inventive blague de 1er avril s'est retrouvée reportée au ... 2. Du coup, comme vous vous en doutez, elle tombe un peu à plat.

Comme vous voyez, il suffit de peu de chose pour mettre par terre un projet finalement assez sympathique, consistant en quelque sorte à institutionnaliser le poisson d'avril en cette année qui s'annonce assez difficile. Une initiative louable, en dépit de sa très faible portée en matière sociale et en regard des difficultés qu'affrontent vos administrés, du moins pourront-ils au moins officiellement se goberger de celle-là...

Nous faisons d'autant plus amende honorable quant à cette méprise que nombre d'indices auraient du nous alerter sur le tour facétieux pris par la "com" de la mairie de Paris, tel cet habile canular, découvert parmi d'autres sur le site des budgets participatifs de la ville de paris, décrivant un projet dûment distingué par la fine équipe municipale :

Comme on voit, il s'agit d'une très habile contrefaçon des projets bouffonnants dont la ville de Paris a coutume de gratifier ses administrés : même novlangue de bois jargonnante, enrobant la même accablante vacuité de contenu, même rhétorique pontifiante et formatée sur les « valeurs », l'humanisme, la bienveillance, le « lien à créer », le « capital sympathie » qu'il convient de « booster », etc. On croirait un véritable "projet d'avenir" tels que nous les concoctent régulièrement les conciles de bureaucrates parasitaires qui peuplent les cabinets municipaux. Un détail cependant peut mettre la puce à l'oreille : le montant de 190 000 € , bien trop modeste pour être vrai...dans un contexte réel toujours beaucoup plus « ambitieux » pour des projets aussi « innovants ».

Bref , bravo !

Bien joué... beaucoup vont se laisser prendre et espérer pouvoir prochainement viiibreeer de bonheur en croisant d'autres zombis smartfonisés qui "partagent les même valeurs" …

NB : nous vous suggérons de reprendre cette excellente idée, mais dans une version « spécial CAC40 » : pour les courtiers en bourses et les traders, qui pourront ainsi optimiser leur partage quotidien de valeurs et les booster comme il convient dans des conditions de commodité ludique sans pareille !

Nous tenons à conclure cette réponse et le témoignage de gratitude que nous y manifestons en vous assurant que pour ce qui est des « débats démocratiques » Mme Hidalgo doit être rassurée. Vous êtes d'ailleurs bien placée, chère Carine Petit, pour savoir que pour ce qui concerne votre arrondissement et vos administrés, nous bénéficions d'une abondante et permanente production de « débats démocratiques » et d'une créativité en la matière, continuellement renouvelée de la part  des habitants, associatifs et collectifs  de quartier. Il me semble que vous devriez en informer Mme Hidalgo. Du reste, pour les locaux , nous sommes preneurs, mais pas « une nuit » ... toute l'année, il y a de quoi faire.

Recevez donc le témoignage renouvelé de notre gratitude pour votre souci, ainsi que celui de Mme Hidalgo et de ses équipes d' "ambianceurs mondains", de divertir si plaisamment vos administrés en ces temps où les occasions se font plutôt rares.

 

Pour le bureau de l'association des commerçants de la Rue Raymond Losserand : "Les plaisanciers"

Dominique Mazuet

 

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